Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog de Bernard Collot
Le blog de Bernard Collot
Derniers commentaires
18 septembre 2022

1940-2021 (143) – 1994, une rencontre Erasmus d’une semaine en Bretagne

La Bretagne, Erasmus

 

erasmus

Du fait de la présence de nombreux Bretons du mouvement Freinet et des classes uniques dans notre réseau des CREPSC, d’une part avec les enfants de ma classe nous y avions fait plusieurs voyages-échanges mémorables, d’autre part j’y ai été souvent invité à diverses occasions, y compris à l’université de Rennes par Jean-Jacques Morne. D’ailleurs par la suite lorsque je fus en retraite, j’y suis retourné aussi souvent, mais cette fois c’était à l’invitation des écoles alternatives qui ont fleuri là-bas.

Cette année-là, il y avait Rennes qui était pour une semaine le passage d’une rencontre ERASMUS en France organisée par Jean-Jacques Morne et Christian Derrien, le thème qu’ils avaient choisi était l’école rurale. Comme il fallait bien un « expert » français de l’école rurale, tous deux m’avaient demandé d’être cet expert. J’étais ravi de passer une nouvelle semaine en Bretagne et l’autorisation d’absence, demandée par une université ( !), m’avait été accordée. Comme normalement il ne devait y avoir que des universitaires dont tous les frais étaient payés par l’Europe, sur le document officiel ils n’avaient indiqué que mon nom et le lieu Moussac en omettant toute fonction pour que je sois remboursé. Si bien que je n’avais même pas été hébergé comme les étudiants que je n’étais pas non plus, mais comme ces messieurs et dames professeurs d’université dans un luxueux hôtel trois ou quatre étoiles. Il y a même eu un moment cocasse où un professeur d’une université finlandaise m’a demandé :

- Mais où est située en France cette université de Moussac ? Imperturbablement, je lui avais répondu :

- Oh, c’est une toute petite université, j’y occupe, la seule chaire de maître de conférences, mais je n’y donne aucun cours, c’est ma quinzaine d’étudiants de 4 à 10 ans qui me donnent des leçons.

Cela l’avait rendu perplexe, ces Français avaient un drôle d’humour, et il n’avait pas insisté.

Dans le programme, très léger pour qu’étudiants et profs étrangers puissent profiter de la France, il y avait la visite du remarquable musée de l’école rurale à Trégarvan. Il y avait une magnifique salle reproduisant exactement ce qu’étaient la plupart des petites écoles. Comme j’étais le seul à savoir et avoir vécu ce qui s’y passait autrefois, et puis c’était moi « l’expert », je fus convié à l’expliquer. Pour ce faire, j’enfilai la blouse grise et pris l’indispensable baguette d’osier, signe de l’autorité magistrale et menaçante du maître parmi la panoplie d’objets du musée indispensables à l’école, les fis tous asseoir à une place où ils se cognaient les genoux sur le dessous des bureaux fixes, leur distribuai une ardoise et une craie, et leur fis utiliser le procédé La Martinière. En prenant l’air autoritaire :

- Restez assis, posez vos mains sur la table, regardez bien ce que j’écris au tableau.

J’écrivis alors la suite de chiffres du problème que j’avais lu dans « L’encyclopédie des savoirs relatifs et absolus » du livre « Les fourmis » de Bernard Werber :

1

1 1

2 1

1 2 1 1

1 1 1 2 2 1

- Vous avez une minute pour réfléchir, et écrire logiquement la ligne suivante, ce n’est pas très compliqué, mais ne prenez pas vos craies et vos ardoises avant que je le dise.

- Prenez vos ardoises. Écrivez !

Trois ou quatre secondes, puis

- Levez les ardoises ! Vous aussi là-bas, obéissez, levez !

- Mais je ne peux pas trouver de réponse, je suis professeure de littérature pas de mathématique, il y a longtemps que j’ai tout oublié !

- Tout le monde doit lever son ardoise, c’est comme ça !

Bien sûr toutes les ardoises étaient vierges sauf une dont le possesseur se marrait. Et j’ai jubilé de leur faire une leçon, toujours avec ma blouse grise.

- Vous voyez, vous étiez dans la situation scolaire où est mise la quasi-totalité des enfants du monde très civilisé. Puisqu’il y avait des chiffres, vous avez pensé qu’il ne pouvait que s’agir d’un problème mathématique alors que je ne l’ai pas du tout dit. Un instituteur ne pouvait que poser des questions inscrites dans la matière d’un programme. Vous avez cherché désespérément une réponse scolaire, mathématique plus ou moins avec les réflexes acquis dans vos souvenirs scolaires. C’est comme cela que l’école formate les esprits sans même s’en rendre compte. Et puis, est-ce que vous vous rendez compte que les problèmes de calculs et les questions auxquelles doivent répondre les enfants ne sont en réalité que des histoires en langage verbal qui en elles-mêmes n’ont rien de mathématique ? Il faut que les enfants les transforment en représentations mathématiques qui n’ont plus rien à voir avec ce que fait imaginer l’histoire verbale initiale. Il y a toujours une confusion entre la traduction du langage écrit verbal en langage verbal oral et la même transposition du langage écrit mathématique.  Là, je vous ai fait faire une transposition orale inverse ! Mais trop scolarisés et bien scolarisés, vous ne pouviez pas la faire, votre champ de recherche et d’investigation était limité par tout ce que vous avez « appris »… à l’école.

Bon, cela a été mon seul petit coup d’éclat, très relativement apprécié et qui n’avait provoqué aucune discussion si ce n’est que c’était une bonne blague. Je devais intervenir pour raconter mes histoires sur les classes uniques le dernier après-midi ; la plupart étaient repartis se préparer pour le festin de fin de séjour ! Il n’y avait que les Finlandais qui étaient tous restés, ce qui n’était pas surprenant, vu que c’était déjà ce qu’était en train de devenir l’école finlandaise ils s’intéressaient à d’autres expériences.

Cette plongée dans le monde universitaire et Erasmus aurait pu me faire penser que ces rencontres n’étaient que pour offrir à tout le monde de belles vacances à l’étranger aux frais de l’Europe. C’était quand même un peu le cas pour les profs d’université. Jean-Jacques Morne m’expliqua qu’ils formaient comme une petite bande de potes : je t’invite chez nous, tu m’inviteras chez toi l’an prochain, et ça tourne entre les un et les autres d’une année sur l’autre. Ils avaient même formé une amicale pour préparer au mieux cela. Ils étaient un peu comme les princes d’une monarchie et pour eux ce n’était pas seulement aux frais, mais aux grands frais de la princesse européenne. Chaque repas se terminait par le digestif et le cigare pour quelques-uns. Comme je disais à un amateur gallois de whisky qu’en fait, pour moi, ce n’était que de la gnôle, vexé, il appela le maître d’hôtel et lui demanda de nous apporter une bouteille de telle marque et de telle année. Effectivement, ce n’était pas la gnôle qui sortait de l’alambic ambulant de nos campagnes. Curieux, je demandai discrètement en sortant au garçon quel devait être le prix de cette bouteille. Avec, j’aurais pu me payer je ne sais combien de bons repas dans un petit resto du Poitou !  

Ceci dit, pourquoi cracher dans la soupe ? Et même, puisque j’étais avec eux, ce devait être que je devais occuper momentanément la même position qu’eux, c’était flatteur.  J’en ai bien profité et sans vergogne.

D’accord, Erasmus n’est certainement pas du tout cela, c’est moi qui extrapole, probablement par jalousie !

Prochain épisode : Christian Derrien et le festnoz -  épisodes précédents ou index de 1940-2021 – La lutte pour l’école rurale

Commentaires