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Le blog de Bernard Collot
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22 septembre 2022

1940-2021 (148) – 1996. Le film, « Les enfants d’abord » de Suzanne Forslund.

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 1996. À l’occasion du centenaire de la naissance de Freinet, Suzanne Forslund, Québéco-Suédoise directrice de la télévision éducative suédoise, réalisa un long documentaire sur les écoles Freinet. C’était une coproduction entre la 5 en France, la télé éducative suédoise et une télé québécoise. Elle avait choisi une ou deux écoles de chacun de ces pays. En France c’était la classe de Joël Blanchard à Aizenay, l’école de Pierrick Descottes à Rennes et la classe unique de Moussac. Nous nous connaissions depuis longtemps. Au Québec il y avait la classe de Marc Audet avec lequel je suis resté en relation jusqu’à aujourd’hui même si nous ne nous sommes jamais rencontrés.

Cette fois, le tournage fut décontracté et un vrai plaisir : nous étions avec des ami-e-s et de vrais connaisseurs. Dans son équipe il y avait Frédérique, la fille de Monique Ribis institutrice très connue du mouvement Freinet. Le cadreur était un Lapon qui sans besoin qu’ils se parlent devinait ce que cherchait à montrer Suzanne, voire la précédait. C’était étonnant de voir comment se construisait une œuvre collective.

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Il y a eu de nombreux bons moments pendant ce tournage de trois jours. Un après-midi l’équipe avait suivi un groupe de trois ou quatre enfants qui, leur propre caméscope SVHS sur l’épaule, allait faire une enquête pour des correspondants chez Dédé, le paysan d’autrefois dont je vous ai déjà parlé. En fin d’après-midi tout le monde était revenu, sauf Suzanne. Au bout d’un moment je commençai à m’inquiéter lorsque je la vis enfin revenir : charmée par Dédé elle était restée avec lui auprès de sa cheminée à discuter et déguster des liqueurs de sa fabrication !

Suzanne nous avait aussi conviés à suivre avec l’équipe les tournages qu’elle effectuait à Rennes et à Vence dans l’école Freinet, ce qui m’était possible en raison de la demi-décharge de deux jours par semaine dont je vous ai parlé plusieurs fois. À Vence ce fut un peu particulier. Elle n’avait pas prévu de tourner là-bas, mais la 5 y tenait, pour le cocorico ! Elle avait aussi invité plusieurs « anciens » et « anciennes » du mouvement Freinet et nous étions ravis de nous retrouver. C’est vrai que nous avons été quelque peu surpris et perplexes par ce qu’était ce mythe, figé volontairement à la mort de Freinet par Elise puis par sa fille pour que cela reste tel cela était du temps de Célestin et racheté par l’État français, peut-être pour récupérer à son compte ce qui par ailleurs était connu du monde entier. En somme un musée vivant.  Le cadre restait magnifique et nous avions assisté à la traditionnelle réunion coopérative, en plein air dans ce qui était un peu comme un théâtre de verdure. Les enfants sur un petit amphithéâtre, en bas et face à eux les quatre devant présider et donner la parole. Nous fûmes alors estomaqués de voir une réunion coopérative se transformer en une sorte de tribunal où une « coupable » en pleurs se trouva jugée par des enfants se transformant en commissaires politiques. « Si c’est cela la pédagogie Freinet, alors je ne suis plus Freinet » s’exclama Jean-Paul Blanc, un vieil ami qui a quitté par la suite le mouvement : il lui avait été reproché, au début du numérique, de faire un logiciel éducatif sans passer par l’instance ICEM (Institut coopératif de l’école moderne), le mouvement n’était pas toujours un fleuve tranquille.

Dans cet épisode il y eut aussi un autre événement qui a montré comment il est difficile de faire un documentaire dont une infime partie aurait pu dénaturer l’ensemble : une séquence devait réunir d’anciens élèves de Freinet, tous âgés. Or, parmi eux, il y en a eu un, celui qui s’exprimait le mieux et qui, contrairement aux autres, n’avait pas apprécié son séjour à Vence. Il n’avait pas supporté le paternalisme lui paraissant autoritaire de Célestin et surtout d’Élise. En particulier l’obligation de plonger tous les matins et par tous les temps nu dans la piscine. Élise était adepte du naturisme à la Kienné de Mongeot, un naturisme assez rigide et austère y compris pour la nourriture[1]. Il faut évidemment replacer tout cela dans le contexte de cette époque et qui n’était que l’attention qu’il fallait porter aussi bien à la santé des enfants qu’au développement de leur intelligence, mais ce passage a posé un vrai problème à toute l’équipe qui passa une partie de sa soirée à discuter pour savoir s’il fallait couper ce passage ou le laisser. Finalement Suzanne avait tranché, inutile de laisser ce qui risquait d’être mal interprété et utilisé par les pourfendeurs de la pédagogie Freinet.

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Vraiment pas évident de réaliser un documentaire : à Moussac il y avait une séquence sur le canard adopté par les enfants. Au cours de cette séquence, il y avait un passage où l’instituteur, moi, n’était vraiment pas à la hauteur. Bien sûr, au montage le passage avait disparu. Puis elle avait fait un autre montage des rushes spécialement pour les Suédois dont elle m’avait envoyé la maquette pour avis. Là encore le passage avait disparu, or pour moi il était important parce que démonstratif a contrario. Je lui demandai alors de ne pas le couper, ce qu’elle fit. Elle m’expliqua par la suite qu’elle avait eu beaucoup de mal pour convaincre ses monteurs qu’il fallait le laisser. Je me suis par la suite beaucoup servi de l’émission suédoise pour les quelques interventions que j’ai pu faire dans les stages Freinet : ce qui permet le mieux la réflexion, ce sont les erreurs !

C’est encore pour ce documentaire que Suzanne m’avait fait aller à Paris pour jouer à l’interviewer. De retour à Stockholm, elle voulait inclure une séquence de Michel Authier sur les arbres de connaissance. Comme je le connaissais bien et qu’elle ne pouvait revenir en France pour le faire, elle m’avait demandé de le faire à sa place avec un cadreur parisien en freelance. J’avoue qu’heureusement Michel n’avait pas besoin d’être interrogé pour parler et que le cadreur était un grand professionnel !

Cela dit, le film a bien été diffusé en deux parties sur Antenne 2 et constitue un des documents conservés par l’ICEM où on peut acheter le DVD.https://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/60952  : sur cette page une intéressante interview de la réalisatrice, Suzanne Forslund


[1] Dans un épisode précédent j’ai expliqué les différences entre le naturisme de Kienné de Mongeot et celui populaire d’Albert Lecoq.

Prochain épisode : l'ACEPP, association des collectifs enfants, parents, professionnels - épisodes précédents ou index de 1940-2021 – La lutte pour l’école ruraletous les épisodes  sur l’école et l’éducation

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