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Le blog de Bernard Collot
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20 décembre 2022

1940-2021 (170) 1997 – Écriture de mon premier livre

1997 L'harmattan

Dès que j’ai eu pris ma décision de partir en retraite, pour qu’elle ne sonne pas la fin de la classe unique et sachant que les classes uniques n’attiraient toujours pas d’enseignants et que l’EN en profiterait pour se débarrasser de Moussac[1], j’avais informé tout le réseau des CREPSC que le poste allait être libre. Quelques-uns ont ainsi postulé et c’est à l’ancienneté que Patrick Galand venant de la Provence l’a obtenu. L’école a ainsi perduré dans le même sens pendant une quinzaine d’années. Au départ à la retraite de Patrick, cette fois l’Éducation nationale y mit fin. Moussac a ainsi été l’expérience de 3ème type d’une école publique communale qui a duré le plus longtemps (35 ans).

Bien qu’habitant encore pendant un an à Moussac, à partir de ce moment, je me suis interdit de me mêler en quoi que ce soit de comment Patrick menait la barque de la classe. Je savais juste par l’intermédiaire de René Bouzier que la classe unique poursuivait tranquillement sa vie comme auparavant. J’y ai juste remis les pieds une matinée au bout de trois mois : Marcel Trillat, voulant compléter la première émission de 1993 pour ajouter un complément d’enquête dans « Envoyé spécial » pour informer de ce qu’était devenue la classe unique m’avait invité à y venir avec lui. Je fus définitivement rassuré, la vie y continuait son cours comme si rien ne s’était passé, ce qui confirmait ce que je pensais : un système lorsqu’il est devenu vivant s’autopilote si la personne qui l’aide l’accepte et Patrick s’y était simplement intégré.

Normalement j’aurais donc dû voguer vers d’autres intérêts, aller à la pêche, voyager bien que je n’avais jamais su faire le touriste, apprendre à jouer de la guitare… mais dans la décision de partir je m’étais donné comme une des raisons d’être libéré pour mieux m’occuper de la revue « École rurale, école nouvelle », et ce n’était pas qu’un prétexte. De ce fait je restai de plain-pied dans les CREPSC. Des événements narrés dans le volume précédent se sont donc prolongés dans les premières années de la retraite jusque dans les années 2 000 où j’étais complètement disponible et pouvais me déplacer comme je le voulais que ce soit pour les rencontres des CREPSC, pour ma collaboration avec Michel Authier pour les Arbres de connaissance ou pour la Fédération de l’école rurale. En somme c’était la poursuite tranquille de la période précédente, sauf que je n’avais plus à m’occuper d’une école, sauf que jusqu’en 2 002 j’ai été beaucoup moins occupé par les tâches matérielles quotidiennes et j’ai été pris par… l’écriture.

Nous avions tous compris que pour vraiment défendre nos petites structures hétérogènes et une autre approche de l’école il fallait étayer nos arguments en particulier sur « comment se construisent les apprentissages » puisque pour tout le monde l’école était faite pour cela, ce qui devait être conduit par des « experts ». Dans les reportages qui avaient eu lieu, voir des enfants heureux à l’école et qui apprenaient faisait certes envie, mais cela ne condamnait pas l’école traditionnelle puisque là aussi des enfants apprenaient. Et puis nous donnions l’impression de faire tout cela au hasard, sans méthode. La méthode ! Je ne sais pas si c’est depuis Descartes, mais plus rien ne peut se faire, dans quelque domaine que ce soit, s’il n’y a pas une méthode à appliquer, prouvée non pas par ses effets, mais par des « scientifiques », avec ses étapes à suivre et à contrôler et sous prétexte d’égalité à appliquer par toutes les écoles. L’approche analytique avait abouti à l’ère industrielle et au taylorisme, l’école était et est toujours dans cette ère. À défaut de méthode, il fallait théoriser pour justifier ce qui était plutôt une « non méthode ». Un autre paradigme qui s’est élaboré de façon empirique ne commence à être considéré que si a posteriori on peut l’étayer par des arguments plus ou moins scientifiques. Comme pour l’agriculture biologique, l’approche systémique a été la piste dans laquelle il fallait s’engouffrer.

Nous avions tous plus ou moins entrepris cette réflexion et cette écriture. Entre nous dans nos rencontres et échanges dans les messageries[2], dans les préparations des interventions que nous faisions, pour des articles dans des périodiques, et surtout dans notre revue « École rurale, école nouvelle ». Mais c’était trop disparate. En dehors de la préparation de la revue (en moyenne une quarantaine de pages bien tassées tous les deux mois), de ce que j’allais dire dans les interventions (je ne suis pas un conférencier et je cogitais avant par écrit !), je me lançai dans un vrai bouquin, « une école du 3ème type ou la pédagogie de la mouche ». 

Ma principale occupation en dehors des déplacements pour des interventions devint l’écriture. Heureusement qu’il y avait l’ordinateur, son traitement de texte et son correcteur ! Ce premier bouquin m’a occupé jusqu’en 2 001. J’y ai repris pas mal de textes et d’idées disparates écrits depuis 1989, dont « la pédagogie de la mouche », j’ai beaucoup relu les Edgard Morin, Karl Popper, Albert Jacquard, Henri Laborit etc., découvert des relations inattendues entre nos pratiques et les notions mises en avant par des physiciens comme Ilya Prigogine avec sa notion de structures dissipatives.

Puis j’ai cherché un éditeur et découvert les lois du marché de l’édition : un éditeur doit subodorer que ce qu’il va publier va trouver un public. Soit c’est très littéraire, soit c’est d’actualité, soit c’est polémique, de toute façon il faut que cela rentre dans une case. Je ne rentrais dans aucune de ces cases, il est vrai que j’écrivais surtout pour nous, les « 3èmes types » comme nous nous dénommions, ce qui ne représentait qu’une minuscule poignée de lecteurs potentiels. Et puis la chasse aux éditeurs te demande d’envoyer de nombreux exemplaires de ton tapuscrit ce qui nécessite une quantité de photocopies des trois ou quatre cents pages que tu as pondues, mes moyens toujours limités ne le permettant pas.

Cependant, surprise, en 2 001 l’Harmattan accepta la publication. J’étais très fier ! Je n’ai compris qu’ensuite que l’Harmattan pouvait publier pratiquement n’importe quoi parce qu’il ne prenait aucun risque : 1/ Tu devais leur fournir un prêt à clicher effectué avec une imprimante laser, autrement dit c’était toi qui devais faire tout le travail de mise en page tel devait être le livre. 2/ Un correcteur professionnel regardait dix pages au hasard de ce que tu avais envoyé, s’il y avait une faute, une ponctuation mal mise, une erreur typographique, tu devais tout recommencer et le correcteur word n’était pas aussi performant qu’aujourd’hui. 3/ Lorsque tu avais obtenu le bon à tirer et que ton livre était imprimé, tu recevais quelques exemplaires… ton livre était dans le catalogue… et tu devais te débrouiller pour en assurer la promotion. 4/ Aucun droits d’auteur pour les 500 premiers exemplaires vendus, puis réduits jusqu’au 1 000ème, ordinaires ensuite[3]. Seul intérêt : tu n’avais pas à faire les démarches légales pour la publication d’un livre sur le marché, mais ton livre ne t’appartenait plus.

Pour tous les bouquins que j’ai écrits par la suite, avec la généralisation du numérique je me suis contenté de l’apparition de ces nouvelles entreprises robotisées à qui tu envoies le fichier, puis il suffit de le commander, de payer, la machine fabrique le livre et l’entreprise te l’envoie. Tu as le plaisir d’avoir l’objet que tu as créé et si des amis y trouvent un intérêt, ils n’ont eux aussi qu’à le commander, tu n’as rien à faire ! Jusqu’au jour où… mais j’en reparlerai.

1997 - L'harmattan 2

  


[1] La secrétaire de l’inspection raconta à un instit ami que le fameux inspecteur qui avait été humilié par Marcel Trillat clamait « Collot étant parti, je vais enfin être débarrassé de cette classe unique »

[2] J’ai réuni des messages échangés sur un ou deux ans dans notre réseau dans un bouquin « Conversations décousues » qui voulait donner une idée de l’intensité de la réflexion collective.

[3] J’ai finalement atteint les mille exemplaires… au bout de 20 ans !

Prochain épisode : Philippe Ruelen -  épisodes précédents

Commentaires
C
Le passage à l'écriture est toujours une fixation de quelque chose et une prise distance; la retraite c'est aussi une prise distance qui permet grâce à un détour sur ses expériences de fixer une pensée, des idées, des méthodes, des approches. Dès que j'ai lu le manuscrit, j'ai senti qu'il y avait en germe un message qui dépassait la traduction d'un vécu en un témoignage, mais une "théorie" qui pouvait devenir un éclairage pour d'autres expériences. Pour ma part, je regrette que les enseignants ne passent pas à l'écriture. C'est vrai que l'on ne les accompagne pas dans cette démarche.<br /> <br /> <br /> <br /> Bonne année et à bientôt grâce à l'écriture.
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