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Le blog de Bernard Collot
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20 décembre 2022

1940-2021 (171) - 1998 à 2021, Philippe Ruelen

L’affaire du pédophile avait quelque peu mis les CREPSC en sommeil, mais je continuais à intervenir en leur nom dans les lieux et manifestations où je pensais que nos idées devaient être défendues.

philippe duny

En 1998 je fus invité à l’IUFM de Bourg par André Duny. André était un prof atypique, militant politique quelque peu gauchiste et dérangeant. Il avait organisé hors du temps scolaire, un mercredi 1er avril, une journée des pédagogies différentes. Il y avait des représentants de tous les grands mouvements pédagogiques, tous habitués à des présentations bien rodées des pratiques qu’ils préconisaient, ce qui était attendu par les étudiants futurs enseignants.

Je me suis retrouvé quelque peu embarrassé devant une quinzaine d’étudiants plutôt curieux de ce que pouvaient être ces crepsc dont ils n’avaient jamais entendu parler. Lorsque tu ne sais pas trop dérouler le baratin d’un conférencier normalement suivi des traditionnelles questions du public, tu fais l’inverse : tu commences directement par les questions ! J’avais fait le coup à l’université de Grenoble lorsqu’après l’événement provoqué par Marcel Trillat une profe m’avait fait revenir pour une intervention dans un module de préparation au choix du métier d’enseignant. Il y avait d’abord eu une projection de l’extrait de l’émission « Vive les instits » où il était question de ma classe unique, puis, au moment où il fallut que je prenne le micro, je me contentai de dire que j’attendais leurs questions et j’attendis effectivement impassible. Il y avait eu un très long silence qui apparut comme interminable à la profe organisatrice, les étudiants se regardant plus ou moins ricanant puis de plus en plus gênés devant le carnet où ils devaient prendre des notes en bons étudiants, jusqu’à ce que finalement il y en ait un qui pige que je ne les aiderai pas et qu’il ait compris qu’il fallait renter dans le jeu. Les questions n’ont alors plus arrêté et il a fallu quitter la salle et les poursuivre dans les couloirs lorsque le cours suivant nous a chassés.

Je fis donc la même chose ce jour du 1er avril (sans extrait vidéo) et ce n’était pas un poisson. Ce dût être très décousu, je ne pense pas que c’était ce qu’attendaient ces futurs enseignants, sauf un qui à l’inverse fut très intrigué : Philippe Ruelen. Il m’appela le E.T. du 1er avril comme s’il avait vu débarquer un extraterrestre !  

 

philippe 2

Philippe, après avoir été un brillant élève, avait d’abord été un brillant ingénieur informaticien. Il participa à l’automatisation du métro de Lyon, travail qui le passionnait avec une très belle situation. Mais, comme il y en a eu d’autres qui ont abandonné des métiers enviés parmi les instituteurs des CREPSC, à trente ans il se demanda quels étaient le sens et l’utilité de ce qu’il faisait, abandonna la facilité lucrative et rentra à l’IUFM de Bourg pour devenir instituteur. Étonnant comme démarche. Et, comme d’autres qui avaient fait ce choix après un autre vécu, il avait été assez stupéfait de l’infantilisation et de la « scolaritude »[1] de cette formation.

Des relations s’établirent immédiatement entre Philippe et moi-même qui très vite devînmes des relations d’amitié, je les qualifierais de fraternelles comme si les différences d’âge n’existaient pas entre un retraité et un débutant dans l’enseignement (c’était moi le gagnant qui oubliait mon âge !). 

Et Philippe devint celui qui redynamisa la liste de diffusion des CREPSC, incita beaucoup d’autres à y participer en particulier ses collègues du groupe de l’école moderne de l’AIN. Les CREPSC renaissaient de leurs cendres alors que les « vieux » n’en étaient plus l’âme. Une espèce d’ectoplasme sans frontières ou une auberge espagnole où l’on ne te demande rien d’autre que ce que tu as pour y entrer et d’où tu t’en vas quand tu veux sans rien avoir à expliquer. En 2 003 il relança sur internet la liste de diffusion du réseau en l’intitulant carrément « 3ème type ».

Philippe 5_1

Je vous ai déjà narré que je collaborais avec Michel Authier pour la diffusion des Arbres de Connaissance et j’avais obtenu que sa société, Trivium, qui développait l’outil informatique Gingo le prête à quelques classes, dont celle de Philippe. Ce ne pouvait que titiller l’ancien ingénieur informaticien et dès 2 006 il reprit l’idée et commença à développer sur internet un outil de communication qui y ressemblait : arbustes.net. Cet outil qu’il n’a cessé de faire évoluer est aujourd’hui utilisé par de nombreuses classes de l’école publique, des écoles alternatives et des familles en IEF (instruction en famille)[2].

Du fait de nos relations, j’ai particulièrement suivi Philippe dans son périple dans l’Éducation nationale.

philippe 92

D’abord directeur d’une école à 5 classes à Saint-Sorlin dans l’Ain, il mit en œuvre les idées que nous avions développées, mais dans une classe à trois niveaux qu’il avait réussi à instaurer. Son idée était de pouvoir mettre en œuvre dans une école urbaine ce que nous réalisions dans nos classes uniques rurales. Cela perturba quelque peu l’école, mais tout se passait cependant très bien pour ses élèves jusqu’au jour où arriva ce que j’avais déjà vu pour de nombreux autres collègues depuis l’affaire Freinet (1930 !) : un parent monta une cabale qui n’avait strictement rien à voir avec la pédagogie. Ces affaires ont détruit ou ont fait renoncer bon nombre d’enseignants. On imagine mal combien le fait de faire vivre différemment l’école par les enfants peut devenir insupportable pour des parents aussi bien d’ailleurs que pour des collègues, paradoxalement surtout quand manifestement les enfants réussissent mieux que les autres. Ceci n’est jamais abordé par tous les experts psychologues en tout genre. Philippe vécut cela comme une expérience où l’on apprend les moteurs cachés des comportements qui sont une partie de ce qui fait une société agressive et stupide. L’école, peut-être plus que la famille, pèse ensuite sur les façons d’être et de réagir de beaucoup. D’ailleurs, de par sa dénomination, « l’instituteur » est celui qui doit « instituer » ce que chacun doit être dans la société où il est et, finalement, elle y réussit. Philippe arriva à rétablir la vérité et à confondre ses détracteurs qui voulaient se débarrasser de lui.

philippe7_1

Fort de cette expérience et voulant pouvoir faire vivre pleinement une école du 3ème type à des enfants, il obtint une classe unique dans les monts du Beaujolais. En cinq ans il la transforma en ce qui a été probablement la dernière école publique que l’on a pu appeler « du 3ème type ». Tout paraissait solide, même l’administration le supportait. Mais en 2 016 mêmes causes, mêmes effets : malgré cette fois son expérience des comportements des adultes, malgré les résultats prouvés des enfants au collège, malgré le soutien de la majorité des parents, l’un d’entre eux essaya à nouveau de déstabiliser l’école et de le faire partir.

Cette fois il en eut assez. Si l’on veut comprendre pourquoi peu d’enseignants osent se lancer dans des pratiques radicalement différentes, il faut comprendre qu’ils vont alors se heurter à bien d’autres problèmes que ceux des enfants, ce ne sont même plus ces derniers qui vont leur prendre leur temps, mais tout ce qui est hostile au changement autour de l’école. Il leur devient alors pratiquement impossible de pouvoir se consacrer uniquement à ce qui devrait être leur métier qui est avant tout un métier du vivant, pas celui de la fabrication d’objets.

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En 2016, Philippe abandonna donc l’Éducation nationale et se tourna vers l’alternative. Il se rendit quelques mois en Nouvelle-Calédonie faire ce qu’on appelle « le facilitateur » d’une école alternative au très joli nom « La petite école qui regarde la montagne ». Là, il découvrit un autre problème qui est celui de beaucoup d’écoles ou lieux alternatifs et qui est toujours celui des adultes : la gestion collective d’un groupe. Comme pour la démocratie participative, en théorie, c’est-à-dire sur le papier, ce devrait être simple. Il y a d’ailleurs des « méthodes » (il y a des méthodes pour tout) qui s’appellent sociocratie, holocratie…qu’il suffirait d’appliquer, mais elles ne tiennent pas compte des égos, des pulsions, des envies ou aspirations différentes, de ce qui fait les pouvoirs diffus, des affects qui font, défont ou empoisonnent les relations. À la différence des enfants, les adultes sont bien plus formatés par leur passé et moins aptes à s’en débarrasser pour affronter des présents différents. Ce n’est d’ailleurs pas que pour l’école et l’éducation, on le voit cruellement aujourd’hui où l’on sait que sans nos transformations de nos savoir-être et savoirs « être avec les autres » nous allons à l’effondrement.

Après avoir accumulé toutes ces expériences, Philippe se consacra alors à aider le mouvement des écoles alternatives dans leurs projets, à consolider les liens des enseignants de l’école publique et des écoles hors contrat en recherche vers une école du 3ème type par l’animation de la liste de diffusion comprenant les uns et les autres ainsi que des parents, par l’organisation de rencontres. Il continua à développer les deux outils internet à la disposition des classes, des enfants en instruction en famille : arbustes.net et numéricole.net qui sont devenus des outils très sophistiqués de plus en plus utilisés.

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Il est intervenu, a aidé et a visité un grand nombre de ces écoles hors contrat. Après avoir été ingénieur des systèmes informatiques, il devint ingénieur des systèmes vivants ! Il est vrai que pour que des écoles qui ne devraient être que des lieux d’accueil d’enfants deviennent des systèmes vivants autonomes cela demande une véritable ingénierie. Contrairement aux systèmes informatiques, les systèmes vivants ne sont jamais définitivement installés, doivent sans cesse évoluer. La permaculture humaine est plus difficile que la permaculture agricole et, tout au moins pour l’instant, elle a besoin de jardiniers.

Nous avons participé tous deux en comparses à quelques périples, j’en reparlerai. Nous nous sommes retrouvés souvent et continuons à le faire, chez lui ou chez moi, et continuons à nous titiller les neurones sur ce que pourrait être et devrait être ce qui devrait être permis aux enfants pour qu’ils vivent autre chose qu’une société en voie de perdition.


[1] Terme inventé par Jean-Louis Chancerel désignant le triomphe de la forme scolaire comme outil de transmission des savoirs et de la culture.

[2] Auparavant, le réseau d’écoles utilisait seulement les listes de diffusion dans la messagerie. Ce vieil outil datait des années 1980 lorsque nous avions introduit la télématique dans nos classes. S’il a toujours un intérêt, par contre ce que proposait Philippe introduisait toutes les possibilités de communication nouvelles qu’offrait l’internet que nous connaissons aujourd’hui (voire plus) et bon nombre d’enseignants du réseau et leurs classes délaissèrent la liste de diffusion pour utiliser arbustes.net. On aurait pu penser (et je le pensais) que cela allait provoquer l’enthousiasme de tout le réseau. À la grande surprise du simple observateur que j’étais devenu cela provoqua à l’inverse un clash chez les CREPSC, en particulier de quelques-uns qui étaient très actifs dans l’utilisation de la liste de diffusion des classes. Philippe fut accusé de jouer son propre jeu, un peu d’ailleurs comme nous avions plus ou moins été accusés par les instances du mouvement Freinet lorsque nous avions créé notre propre serveur Marelle ou comme l’avait été Jean-Paul Blanc bien avant lorsqu’il avait créé des logiciels avec une micro-entreprise de ses amis sans en référer à l’ICEM. Ce qui provoque les délitements des organisations que l’on croit constituées d’amis est rarement rationnel, les égos sont toujours prêts à ressurgir. Toujours est-il que si quelques-uns quittèrent sous ce prétexte l’ectoplasme de l’école du 3ème type celui-ci perdura et perdure toujours en continuant d’évoluer.  

Prochain épisode : Lausanne et JL Chancerel - épisodes précédents

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