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Le blog de Bernard Collot
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23 décembre 2022

1940-2021 (172) - 1998 Jean-Louis Chancerel, Lausanne.

Jean-Louis-Chancerel-Un-topique-educative

« Je suis en quelque sorte un mercenaire des neurones », c’est ainsi que se définissait avec humour Jean-Louis Chancerel. Docteur ès lettres, psychologue, statisticien… directeur de recherche et expert auprès des organismes internationaux, Jean-Louis était un brillant intellectuel qui avait l’art d’analyser des situations, des pratiques, puis de les conceptualiser afin de mettre en lumière leur cohérence ou leur incohérence. Il avait été, entre autres, conseiller scientifique pour les réformes éducatives en Grèce et au Portugal, lorsque je l’ai connu, il occupait cette fonction auprès de l’École normale de Lausanne. Et surtout c’était un ami de Michel Authier.

À Lausanne, il avait conçu puis piloté une réforme intitulée « École vaudoise en mutation » (EVM). Ce qui était très original dans ce projet, c’est que ladite réforme devait être élaborée en continu par les enseignants volontaires eux-mêmes au cours de réunions successives dans l’Institution. Inimaginable en France ! Dans ces réunions, il faisait intervenir diverses personnes qui pouvaient donner d’autres visions de l’éducation ou faire connaître d’autres pratiques dans l’école.

Ami de Michel Authier, il connaissait bien les « Arbres de connaissance » et envisageait leur introduction dans le projet EVM. C’est donc par l’intermédiaire de Michel qu’il m’invita un jour à participer à une réunion d’EVM à Lausanne.

Auparavant, j’étais souvent allé dans pas mal d’endroits de toute sorte pour discuter d’école, j’avais dormi dans toute sorte de canapés ou chambres d’amis, mais en Suisse ce fut autre chose. Là-bas, j’ai été hébergé dans un hôtel avec des étoiles. À peine arrivé je fus appelé dans le bureau du directeur de l’École normale, Eric Walther, un gars sympathique qui te tutoyait d’emblée, et il me mit une enveloppe entre les mains : « C’est ta participation. » ; à l’intérieur, l’équivalent de quatre ou cinq cents euros d’aujourd’hui ! Cela a été la seule fois où, sans même l’avoir demandé, j’ai été rétribué comme si j’avais été un expert. Il est vrai que sur les trois intervenants qui avaient été invités il y avait Daniel Pennac et Eric Walther tenait à traiter tout le monde sur le même pied ! Par contre Pennac, lui, nous a complètement ignorés : pardi, les vedettes ça vient assurer une prestation, ça assure la présence d’un public, mais ça ne se mélange pas au menu fretin !

J’ai beaucoup aimé Lausanne et surtout j’ai été étonné par les questionnements existentiels que ne cessaient de se poser toutes les personnes que j’y ai rencontrées, y compris sur les terrasses. Je croyais que les Suisses, neutres et riches, n’avaient qu’à se laisser aller, mais je me demande s’ils ne s’interrogeaient pas plus que nous sur le devenir de la société et de la planète.

Dans le pilotage de l’école vaudoise en mutation, Jean-Louis Chancerel, contrairement à beaucoup d’intellectuels experts catalogués comme pédagogues, ne cherchait pas à conduire les enseignants là où lui aurait voulu qu’ils aillent. Il ne cessait de répéter qu’il n’était pas un pédagogue. Il portait surtout à la connaissance des enseignants qui avaient soif de changement un grand nombre d’informations, les intervenants comme moi n’étant qu’une source d’informations parmi les autres, il les aidait à les mettre en relation, à les confronter avec leurs propres pratiques, à leur faire exprimer ce qui dans leurs pratiques n’était pas cohérent, à mettre en forme leurs idées, etc.  Bref, ce que l’on demande aux intellectuels. C'est avec lui qu'avait été lancé pendant un an des échanges entre enseignants suisses et français expérimentant l'usage des "Arbres de connaissance" dont j'ai déjà parlé.

Jean-Louis a été celui qui a accepté de lire et de décortiquer le tapuscrit de mon premier livre publié chez l’Harmattan. Il m’avait fait cette remarque : « Ton écrit ne va pas trop plaire aux praticiens parce que tu ne te contentes pas de décrire une pratique, pas plus qu’aux théoriciens parce que tu marches sur leurs plates-bandes sans utiliser leur langage ! » Il s’est avéré qu’il avait vu juste ! En somme, je suis entre deux chaises sans avoir les langages et les compétences de chacune des deux chaises !  

Jean-Louis m’a beaucoup appris sur ce qu’est la rigueur intellectuelle, le travail que cela nécessite, du coup j’ai eu ensuite un autre regard sur l’utilité et l’apport de ceux qui sont qualifiés parfois péjorativement d’intellectuels… enfin seulement pour quelques-uns et pas ceux qui grenouillent dans les médias ! C'était (et c'est toujours !) un architecte et un accompagnateur de la pensée.

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