Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog de Bernard Collot
Le blog de Bernard Collot
Derniers commentaires
26 décembre 2022

1940-2021 (173) - 2009 : Le procès d'Erwan

erwan0_1

Erwan Redon faisait partie des plus actifs des CREPSC. Instituteur dans une école des quartiers Nord de Marseille, il avait entrepris d’y introduire les pratiques du 3ème type qui allaient bien au-delà de la classique pédagogie Freinet, et il y réussissait à la satisfaction des familles. Oui, mais Erwan était aussi un militant syndical et politique très remuant, donc très dérangeant. Il fallait que l’inspecteur d’académie s’en débarrasse.

Il reçut un jour l’annonce de sa parution devant la commission disciplinaire des Bouches du Rhône d’abord pour « insuffisance professionnelle », puis pour « faute professionnelle » ce qui ne pouvait qu’aboutir à sa révocation. On va voir que ces « commissions disciplinaires » s’apparentent tout à fait aux tribunaux des armées… qui eux n’existent plus !

Erwan sachant que je connaissais bien ce qu’il faisait me demanda de participer à la préparation de sa défense ainsi qu’au procès comme témoin. Je connaissais bien les conseils de discipline où sont convoqués les élèves, mais je n’imaginais pas que les enseignants se retrouvant à leur tour devant ces véritables tribunaux pouvaient aussi être en but à l’acharnement d’un inspecteur d’académie dans une parodie assumée de procès. La préparation de la défense d’Erwan dura trois mois, fut organisée par le syndicat SUD-éducation et pilotée par Jean-François Fontana et Claude Didier.

erwan

Jean-François était un personnage étonnant. Jeune, il était passionné de droit et avait commencé des études qui auraient dû le conduire à devenir avocat. Mais comme il faut bien subvenir à ses besoins, à la fin de la première année il s’était fait embaucher par un cabinet d’huissiers. Le problème c’est qu’il passait son temps avant le passage de l’huissier à prévenir les susceptibles d’être saisis et à leur expliquer ce qu’ils devaient faire pour ne pas être saisis. Ses employeurs finirent par s’en apercevoir et il fut évidemment licencié. Exit une brillante carrière dans le droit. Pourquoi ne pas devenir instituteur, les enfants méritant aussi d’être défendus. Le syndicat le plus révolutionnaire de l’Éducation nationale, SUD-éducation, s’aperçut bien vite de ses immenses talents et il fut détaché pour diriger le service juridique du syndicat. Jean-François a ainsi défendu des dizaines d’enseignants dans toute la France.

Dans le dossier d’accusation il n’y avait effectivement rien qui justifiait que l’enseignant, qui les années précédentes avait eu des rapports d’inspection parfois élogieux, brutalement soit devenu incompétent. Manifestement l’inspecteur qui avait effectué une inspection très sommaire et rédigé le rapport de l’accusation avait été envoyé en service commandé par l’inspecteur d’académie. Bref, nous avons démonté pièce par pièce tous les éléments d’un dossier fabriqué de toute pièce. Nous étions fin prêts pour le jour J.  Arrivé un ou deux jours avant chez Erwan, Jean-François nous annonça mystérieusement qu’il ne fallait pas que nous nous en fassions, le procès était gagné d’avance, mais il ne voulut pas nous en dire plus ! Nous rentrâmes dans le hall où nous les témoins devions attendre, Jean-François et Claude entrèrent dans la salle d’audience avec Erwan en nous faisant un clin d’œil. Un quart d’heure après ils en ressortirent : « le procès est gagné, c’est annulé » Jean-François avait tout simplement découvert je ne sais plus quel vice de forme et s’était bien gardé de le révéler à l’avance. 

C’était le 7 juillet 2 009. Si l’IA fut bien obligé d’annoncer un non-lieu, dans la foulée il assigna à nouveau Erwan devant la commission disciplinaire en passant du motif d’insuffisance professionnelle à celui de faute professionnelle de telle façon à pouvoir le licencier.

erwan4

Le nouveau procès eut lieu en septembre.  Devant l’inspection d’académie, il y avait un monde fou venu de Marseille, des Bouches du Rhône, de l’Isère, pour soutenir Erwan.À 15 heures, nous les témoins durent rentrer dans le hall dans lequel nous fûmes confinés avec interdiction d’en sortir tant que nous n’aurons pas été auditionnés… ce qui dura jusqu’à trois heures et demie du matin. Paradoxalement cette longue attente confinée fut très intéressante pour moi : parmi la douzaine de témoins, il y avait six mamans de la classe d’Erwan. Avec elles, c’était comme un huis clos de plus de 12 heures avec tout Marseille et ses quartiers nord ! Prudentes, elles avaient même fabriqué et apporté chacune qui des loukoums, qui des croquants, qui des macarons, qui des crêpes… pour soutenir le moral de tous. On se serait cru en bas de leurs immeubles. Elles étaient aussi prêtes à tout casser pour soutenir leur instituteur. Je n’ai pas eu le temps de m’ennuyer.

À trois heures et demi du matin, alors que plus de la moitié de la commission dormait, la défense refusa de plaider devant cette parodie et quitta la salle. À quatre heures le verdict tomba : déplacement d’office.

Le lendemain, Erwan a dû abandonner sa classe et se retrouver dans une école lointaine. L’inspecteur d’académie croyait avoir triomphé et pouvoir partir en retraite satisfait, mais c’était sans compter l’opiniâtreté d’un Jean-François Fontana. Celui-ci porta l’affaire devant le tribunal administratif de Marseille et le verdict final tomba en décembre : le TA ordonnait l’annulation de la sanction et la réintégration d’Erwan dans son école. Dans son ordonnance, le juge des référés avait considéré que la procédure inique qui s'était déroulée devant le conseil de discipline était irrégulière, d'une part au regard de la partialité de son président, l'Inspecteur d'Académie, qui n’avait pas hésité à prendre parti publiquement, d'autre part du fait de l'irrégularité du vote des membres de la commission disciplinaire.

erwan2

Le nouvel inspecteur d’académie annula définitivement toute sanction et réintégra Erwan dans sa classe. Pour une Éducation nationale qui prétend être au service des familles et des enfants quel gâchis. Ce mammouth, État dans l’État, se situe souvent hors du cadre commun. Nous l’avions déjà largement constaté lors de la bagarre pour les petites écoles lorsque les décisions des tribunaux administratifs ordonnant la réouverture d’écoles n’étaient pas exécutées, l’Éducation nationale usant, parfois pendant des années, des procédures d’appel, jusqu’à ce que de toute façon il n’y ait plus d’enfants dans les villages ou que mairies et parents aient abandonné de guerre lasse.

Si Erwan finit bien son année dans son école, à la rentrée suivante, il quitta l’Éducation nationale. Il passa d’abord plusieurs mois à Copenhague pour la création d’une école de 3ème type. Puis, de retour à Marseille, il se lança dans la création d’un lieu éducatif alternatif, toujours dans les quartiers nord, « Bric-à-brac ». Moitié école pour les enfants, moitié lieu de vie et de culture pour les familles, malgré toutes les difficultés en particulier financières de tout ce qui est alternatif, Bric-à-brac poursuit toujours sa route. Erwan avait réussi le rêve de beaucoup devenu impossible dans l’Éducation nationale.

erwan7

Prochain épisode : SUD-éducation - épisodes précédents

Commentaires