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Le blog de Bernard Collot
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2 janvier 2023

1940-2021 (175) - 1999, chez les "terroristes" de Tarnac

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La seconde fois, du stage de Ligoure je partis en direction de Tarnac où m’avaient invité les parents de la classe unique.

Tarnac était devenu célèbre : le village avait été stigmatisé par les services de l’État comme hébergeant des terroristes ! Ce qui m’attirait d’autant plus !

Curieuse histoire de ce village corrézien. 400 habitants répartis sur un territoire de 67 000 ha, il a subi comme tout le milieu rural du plateau de Millevaches la désertification continue. De ce fait de nombreuses habitations étaient abandonnées ou à vendre pour une bouchée de pain, ce qui attira comme dans d’autres régions une nouvelle population. La Creuse, la Corrèze sont des départements plutôt rudes, la vie n’y est pas très facile, si bien que ce ne furent pas les citadins habituels en mal de verdure et de soleil qui vinrent s’y installer, mais toute une mouvance plus ou moins libertaire venant aussi bien de France que de toute l’Europe, le bouche-à-oreille faisant office d’agence de renseignements. Lorsque l’on veut essayer de vivre autrement, autant chercher les territoires plus ou moins perdus.

Si une partie de cette mouvance ne faisait que d’y rester quelque temps, l’autre s’installa au milieu de la population locale et se mit à faire revivre non seulement la vie locale, mais aussi l’économie moribonde. 

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Une de leur première opération fut de constituer je ne sais plus quelle forme de société coopérative pour racheter une scierie plus ou moins abandonnée, en faire une entreprise autogérée (égalité des salaires, gestion collective, décisions prises démocratiquement…) exploitant les ressources du bois, du débitage à la menuiserie jusqu’à la construction d’habitats. Ceux qui m’hébergeaient me l’ont fait visiter et c’était impressionnant.

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Ils m’expliquèrent aussi comment au début les différentes familles y vivaient d'une façon communautaire, avec les moyens du bord dans des conditions précaires, dans l’entraide et la mutualisation, avant que les unes et les autres s’installent dans les maisons du village ou des hameaux et fassent vraiment partie du village.

 

 

tarnac9Tous ces néoruraux ne se contentèrent pas de vivre à leur façon. C’est toute la vie économique et culturelle locale qu’ils redynamisèrent. Au cœur du bourg ils reprirent une ancienne épicerie qui menaçait de mettre la clé sous la porte et la transformèrent en « Magasin général ». Ils n’avaient rien changé dans son aménagement intérieur, si bien que lorsque j’y suis rentré j’ai cru me retrouver dans ce qu’étaient les boutiques des westerns du Far West où l’on trouve de tout, que ce soit pour manger, réparer, clouer… Jouxtant l’épicerie, ils avaient fait un café, restaurant, salle de rencontres… le tout géré collectivement, les permanences étant assurées à tour de rôle. Le « magasin général » était devenu le cœur du bourg.

Il fallait bien sûr qu’une greffe s’opère avec les « autochtones ». Pas facile pour ces derniers d’accepter d’une part que grâce à ces « étrangers » le village renaissait et d’autre part qu’en même temps ils bouleversaient les vieilles habitudes. S’ils ne constituaient pas une communauté à part comme dans les communautés hippies ou anarchistes et que chaque famille avait son propre habitat et sa propre vie indépendante, par contre ils instauraient bien dans le village une sorte de démocratie participative et avaient initié une assemblée villageoise parallèle à la municipalité sans marcher sur les prérogatives du conseil municipal, mais étant d’une part force de proposition et d’autre part pouvant entreprendre des actions autonomes. Et j’en viens justement à ce qui m’avait fait inviter là-bas :

Dans l’apport de ces nouveaux arrivants, il y avait leurs enfants, ceux-ci animant le village et allant à l’école. L’école était une classe unique dont ils avaient fait remonter l’effectif. Le problème de la restauration à midi pour tous ceux venant des hameaux éloignés avait été résolu en permettant aux enfants d’aller manger avec les pensionnaires d’une maison de retraite voisine, les repas étant préparés par le restaurant coopératif. Comme toutes les classes uniques restantes, celle-ci était dans le collimateur de l’académie et sa suppression programmée avec plus ou moins l’assentiment de la mairie. C’est alors l’assemblée villageoise qui avait organisé la résistance et obtenu un sursis. Une institutrice suppléante avait été nommée pour l’année, l’académie jouant sur le fait que les classes uniques faisant fuir enseignants et partie des parents, l’école finirait par se saborder d’elle-même. D’où l’appel qui avait été fait au « père Collot » pour redonner confiance à tout le monde dans leur école. Je ne sais pas si j’y ai été pour quelque chose, mais la classe unique de Tarnac semble poursuivre sa route aujourd’hui encore.

Et les terroristes dans tout cela ?

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Bien sûr, cette nouvelle population ne restait pas inerte face aux événements politiques et les pacifistes, antinucléaires, écologistes… y étaient plus nombreux qu’ailleurs. De là à faire soupçonner par l’État et ses RG que Tarnac pouvait potentiellement être un nid de terroristes, il n’y a qu’un pas vite franchi ne serait-ce que pour entretenir les psychoses nécessaires à l’ordre public. Lorsque de surcroît il se trouvait parmi les habitants un Julien Coupat Tarnacconnu pour n’avoir jamais caché ses idées et les avoir écrites, le potentiel terroriste était tout trouvé et lorsqu’en plus le personnage n’avait même pas de smartphone, ce ne pouvair qu’être la preuve qu’il avait de mauvaises intentions. Il n’y avait plus qu’à trouver l’attentat à lui attribuer. Cela avait été une barre de fer jetée sur les caténaires d’une ligne de chemin de fer et le déclenchement de l’affaire du « groupe de Tarnac » qui mobilisa la France et ridiculisa la police comme la ministre Alliot-Marie.

 Les compagnons charpentiers allemands

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Alors que mes hôtes me faisaient visiter le village, nous croisâmes sur la toute d’étranges personnages, habillés d’un costume semblant venir d’un autre âge. Je demandai s’il y avait une fête folklorique dans les environs.

- Pas du tout. Ce sont des compagnons charpentiers allemands qui travaillent à la réfection de l’immense toit du dépôt de bois.

Ils étaient effectivement une dizaine à être installés près de la scierie. Étonnants ces compagnons allemands. Là-bas, le compagnonnage consiste bien comme pour les compagnons du devoir chez nous à accomplir un tour du monde de deux ans. Mais il ne s’agit pas comme chez nous d’être embauché par des maîtres-compagnon pour apprendre le métier et finir par un chef-d’œuvre. D’une part, il faut déjà avoir appris l’essentiel du métier par ailleurs, ensuite des groupes d’une dizaine d’apprentis-compagnons sont constitués aléatoirement.

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Ceux-ci doivent alors rester ensemble pendant deux ans, sans disposer du moindre argent que ce soit pour se déplacer, se loger ou se nourrir, doivent obtenir des chantiers tout au long de leur route, accomplir chacun de A à Z sans recevoir la moindre rémunération. Celles et ceux qui sont arrivés ensemble au bout du périple sont alors déclarés compagnons charpentier et peuvent se séparer pour voguer chacun de leur côté. Ces groupes ont acquis dans le milieu professionnel une incroyable réputation amplement justifiée. Les entreprises ou particuliers qui demandent et obtiennent leurs services comme la scierie de Tarnac, doivent alors une fois le chantier défini leur laisser le réaliser à leur guise, depuis les plans, en passant par la commande des matériaux, jusqu’à la réalisation finale. Par contre logement et nourriture doivent leur être assurés, et tout est prévu comme le nombre de kg de saucisson ou le nombre de litres de bière à fournir par personne !

Cette découverte m’avait vraiment impressionné et j’imaginais facilement qu’il ne pouvait y avoir de meilleure formation, non seulement à un métier, mais aussi à la vie. Finalement, c’était un peu comme cela que nous nous étions co-formés dans le mouvement Freinet et surtout dans les CREPSC. De retour j’avais imaginé que cela pourrait être institué et que pouvaient être créés les compagnons-éducateurs, plutôt sur le modèle français des compagnons du devoir. J’avais essayé de lancer l’idée sur les réseaux sociaux, mais n’étant plus sur le terrain, je n’ai pu faire prendre la mayonnaise.

J’ai trouvé à Tarnac des citoyens qui vivaient autrement et tranquillement dans le système. Leur « dangerosité » était peut-être là. La soif de vivre et de faire vivre autrement. Bien sûr c’était un idéal qu’ils voulaient atteindre ; appelons-le révolutionnaire dans la mesure où il remettait en cause les fondements d’un fonctionnement social qui satisfait de moins en moins de monde. Si quelques-uns se retrouvaient à Tarnac et dans quelques autres endroits comme des émigrés, ils réussirent le tour de force d’être congruents avec leurs idéaux dans d’autres modes de vie bien moins faciles mais sans s’isoler du milieu social où ils vivaient, en s’y intégrant. C’est ce que j’ai trouvé de plus remarquable sur ce plateau corrézien. Ces personnes qui m’ont accueilli ne cherchaient pas à révolutionner le village, simplement à y vivre. Ce faisant, c’est en voulant y vivre qu’elles induisaient tout doucement des transformations. J’en suis reparti plus optimiste.

Je ne sais pas ce qu’est devenu Tarnac aujourd’hui, en tout cas on n’en entend plus parler.

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