belgique91

« L’autre école », c’était pour ce qui correspond à la maternelle et au primaire chez nous. Et après ? D’où, comme à Mons en Baroeul peu éloigné de Bruxelles, mais côté français, la création il y avait trois ans d’une école Freinet secondaire (collège-lycée), à deux ou trois cents mètres de "l’autre école" (l’ACE), avec une ASBL comme pouvoir organisateur ! C'était "De l'autre côté de l'école" (ACDE) Du collège, je ne connaissais chez nous que les collèges où étaient passés mes enfants. Pas drôles ! À l’ACDE, je découvris un autre monde.

belgique6

Comme pour l’autre école l’aménagement d’un bâtiment avait été conçu pour un établissement Freinet. Là aussi dans la verticalité urbaine, d’ailleurs le dernier niveau était en cours d’aménagement pour qu’y grimpent à la rentrée prochaine les adolescents une fois passées les trois premières années dans l’établissement (chez nous, passage du collège au lycée). Curieusement, l’espace pensé pour des secondaires offrait beaucoup plus de possibilités que celui de « L’autre école », cela tenait probablement au fait que le formel y avait moins de place, bien qu’à l’ACE cela n’était pas encore la liberté d’aller ou de ne pas aller en cours comme à Summerill ou, à un moindre degré, dans les 3 lycées autogérés français.

 

belgique96

Il y avait à chaque niveau, devant les salles, de grands espaces avec des tables où je voyais quelques adolescents faire très tranquillement… mais je ne savais pas ce qu’ils faisaient ! Peut-être quelque chose pour le cours où ils devaient être, peut-être parce qu’ils n’avaient pas cours, peut-être pour discuter… Ceci dans un calme olympien, sans surveillance ; d’ailleurs pour tout l’établissement il n’y avait que deux… éducateurs qui n’avaient aucun rôle de surveillance, mais celui de faire que tout marche bien entre tout le monde. Des médiateurs ! Bref, je ne voyais pas des collégiens ou des lycéens, mais des étudiants… à partir de 12 ans ! Autre point : chaque classe avait sa salle aménagée par les adolescents eux-mêmes et c’étaient les profs qui venaient en quelque sorte leur rendre visite pour leurs cours. Il est vrai que si elles avaient été un peu plus grandes, leurs possibilités d’appropriation comme espace de vie auraient été encore plus riches, toujours ma marotte des espaces.

belgique7

Il y avait aussi un grand espace avec tout autour d’autres espaces plus petits, communs à tous : des salles pour des clubs, comme le club d’échec ou le club vidéo, pour des réunions, la documentation et la bibliothèque… et le coin des profs, avec cafetière. À ce propos, les profs dans la salle des profs, il fallait savoir à l’avance que c’étaient des profs : décontraction totale, on sentait à leur attitude qu’ils étaient ensemble dans le même bateau… qu’ils appréciaient. Ils me faisaient penser à une bande de joyeux copains en train de préparer une expédition... ou des vacances ! Plus que des profs heureux, c'étaient des gens heureux. C’est vrai qu’ils étaient tous jeunes ! Je n’avais pu vraiment discuter longuement qu’avec une profe de français dont j’avais été voir son cours dans l’option « l’art de la parole ». C’était une séance avec des marionnettes. Moi qui suis un fan de l’utilisation des marionnettes quel que soit l’âge, j’avais été vraiment impressionné à la fois par la qualité d’improvisation des adolescents, le souci technique apporté par la professeure pour améliorer l’impact de l’expression, l’attention et la concentration de tous qui n’empêchait pas aussi les éclats de rire. Ce que faisait cette profe, la posture et la relation qu’elle avait avec les élèves, c’était ce dont on voudrait que tous les collégiens et lycéens de France et de Navarre bénéficient. Probablement trop simple ! Il n’empêche qu’elle était quand même insatisfaite et toujours dans le questionnement ! Chez toutes et tous, ce mélange entre le vécu intense du moment présent et son autocritique rigoureuse pour que les moments suivants soient encore mieux était impressionnant. 

belgique93_1_1

Mais je voudrais surtout vous parler d’Amandine, la directrice. Cheville ouvrière de la création de l’école, elle faisait… tout, pratiquement seule ! L’administration, le suivi des travaux en cours, l’intendance (c’est vrai qu’à midi les élèves qui restaient à l’école apportaient leur déjeuner qu’ils prenaient dans une salle dédiée), la coordination pédagogique, l’impulsion, etc. Et elle trouva le moyen de me consacrer souriante toute une matinée où je la suivis dans la multiplicité de ses activités. Elle était surtout l’illustration parfaite de l’acceptation de l’autorité par tous quand celle-ci est d’abord celle du recours. Dans une séquence d’une discussion de la classe pour les ados en difficulté (les « insérés » ou « à insérer ») à laquelle nous assistions tous deux, une adolescente l’interpela « Ah ! Ça alors ! Vous êtes la directrice ? Je savais pas, j’aurais jamais cru ! ». Lorsque nous étions dans son bureau en train de discuter, un élève frappa à la porte. « Madame, j’ai un problème avec untel, est-ce que je pourrais vous en parler ? – Tu en as parlé avec un des éducateurs ?» Non, c’était avec elle seule qu’il le pouvait. Amandine lui donna un rendez-vous et peu après ce sont les deux protagonistes qui sont venus ensemble lui confier leur problème pour qu’elle les aide à le régler et pas pour réclamer justice. Il est facile d’imaginer l’ambiance qui régnait ainsi dans tout l’établissement, quand en France la recherche de l’autorité ne cesse de provoquer les polémiques.

Parmi toutes les écoles que j'ai pu voir, "De l'autre côté de l'école" à certainement été celle qui m'a le plus impressionné. Pour le visiteur que j'étais, l'instruction, l'éducation étaient devenues d'un naturel et d'une simplicité absolue. Mais Amandine m'expliqua qu'il n'était pas évident d'arriver à cette évidence. L'établissement n'était pas sur une autre planète, il devait bien s'insérer dans le système éducatif wallon pour être admis par celui-ci, et cela c'était compliqué et le plus épuisant. Le problème de l'école n'a jamais été celui de l'instruction des enfants et adolescents obligés d'y aller mais celui des systèmes dans lesquels on veut que cela se fasse. De là à dire que la seule solution serait de supprimer ces systèmes, il n'y a qu'un pas... que je franchis !

Henry m’avait aussi emmené dans une soirée où un groupe d’enseignants se réunissait pour envisager la création d’une école semblable à « L’Autre École ». Devant la croissance des effectifs scolaires, des communes devaient créer de nouveaux établissements et lançaient des appels à projets. Ces enseignants en avaient trouvé une proche de Bruxelles, l’intérêt était que ce serait alors cette commune qui assurerait le financement permettant à toutes les familles de faire le choix d’une autre école, donc assurant une mixité sociale plus grande. Leur problème c’était que si la philosophie de leur projet était accepté, rien ne les assurait qu’un changement de municipalité ne leur imposerait pas de rentrer dans le rang du traditionnel. Même si l’État est moins omniprésent qu’en France, rien n’est facile lorsqu’il faut se heurter aux politiques qu’elles soient nationales ou locales.  

Je ne sais pas si depuis en Belgique il est toujours possible dans le système éducatif que se côtoient ainsi des approches radicalement opposées de l’école. Les Belges font bien partie de cette communauté francophone, mais ce ne sont pas des Français ! On aurait du mal à imaginer par exemple que nous français aurions pu accepter et vivre pendant 541 jours sans gouvernement ! Lorsqu’Henry m’emmenait faire un tour dans les environs, à peine sortis de Bruxelles les panneaux routiers n’étaient plus écrits en français, mais en flamand ! Imaginons chez nous toute la signalisation routière, une fois passées les limites des anciennes provinces, écrite en breton, en occitan, en provençal… ! Comme pour la Suisse, en Belgique des populations de langues, de cultures différentes peuvent vivre dans une structure commune sans perdre leur identité. Nous nous sommes approprié sans vergogne les Belges ayant acquis une notoriété. Qui sait vraiment que les Amélie Nothomb, Émile Verhaeren, Georges Simenon, Hergé, Maurice Carême, Haroun Tazieff, Annie Cordy, Frankin,… voire Jacques Brel, Benoît Poelvoorde ou le Johny sont belges ?  

belgique9_1

Henry m’a bien sûr emmené boire une bière sur une terrasse de la grande place de Bruxelles. Étonnant comment la ville, pratiquement capitale de l’Europe, reste une ville provinciale : lorsque nous étions assis, sans arrêt des gens s’arrêtaient, « Salut Henry. Tu passes ce soir ? » ou « N’oublie pas de nous rapporter le bouquin ! »… Bref, assis à une terrasse de Sancerre je ne vois pas passer le centième de connaissances de ce que voit passer Henry assis à une terrasse au centre de Bruxelles. Une ville qui a sa place du village. Quant au célèbre Manneken-Pis c’est moi qui lui ai demandé de m’y amener : une toute petite statue de rien du tout dans un angle de rue, et ils en ont fait une icône mondialement connue ! Ces Belges sont étonnants.

Et j’y suis retourné en Belgique, cette fois invité et piloté par Alain Buekenhoudt.

Prochain épisode : Avec les CEMEA belges, Louvain-la-Jeune - épisodes précédents