Bien que « Une école du 3ème type ou la pédagogie de la mouche » ait été publié, je n’étais pas très satisfait de ce que j’avais pu pondre. Pas facile, d’exprimer les théories sur l’apprentissage et l’école qu’avait fait surgir mon vécu dans ma classe unique.
Auparavant j’avais beaucoup écrit d’articles pour les revues du mouvement Freinet ou dans diverses revues lorsque nous avions déclenché la bagarre pour les petites écoles.
En 1989 j’avais même écrit « La pédagogie de la structure et de la communication », cela avait d’ailleurs été sous un coup de colère : Eric Debarbieux[1], alors président de l’ICEM, nous avait demandé, à Roger Beaumont et moi, de faire une exposition pour une grande rencontre à l’école normale de Paris dont le thème devait être l’apprentissage naturel de l’écrit. Nous nous étions défoncés et avions tapissé tous les murs de la salle dédiée de panneaux expliquant en quoi l’hétérogénéité, la communication interne et les réseaux provoquaient naturellement l’apprentissage de l’écrit par son utilisation. Notre déception fut immense de n’y voir personne s’y pencher, y compris lors de la séance finale où toutes les « huiles » étaient réunies dans cette salle. Nous n’avions été conviés qu’à faire le décor de ce qui n’était qu’une grande messe officiée par des évêques. Très dépité, cela avait été en rentrant que je m’étais lancé dans mon premier essai de théorisation. Il faut avouer que rien que le terme de « structure » dans le titre était quelque peu nébuleux, ce n’est qu’après la découverte de la notion de « structures dissipatives » élaborée par le physicien Ilia Prigogine que j’ai pu mieux l’expliciter.
Toujours est-il qu’à partir de 1996, disposant du temps, je me suis retrouvé très souvent devant le clavier de l’ordinateur et je me suis mis à beaucoup écrire. Quoi faire de ce que je pouvais alors pondre ? Échaudé par le parcours du combattant pour trouver ou plutôt ne pas trouver un éditeur, je découvris la facilité de l’autoédition numérique, puis celle des blogs (depuis 2 006 sur canalblog). Je n’ai alors plus arrêté !
En fait d’autoédition cela n’en était pas vraiment. Envoyer un fichier à l’entreprise que j’avais choisie ne me coûtait rien, lui acheter ensuite la transposition sur papier me permettait surtout d’avoir le plaisir d’avoir réalisé un livre et de le recevoir, de pouvoir le conserver pour que peut-être dans des années de petits enfants le découvrent dans un grenier ou pour aussi l’offrir à quelques amis. Parce que l’autoédition, cela demande un temps plein, des compétences et des moyens surtout si on veut être lu, voire avoir un complément de revenus. Il aurait fallu que je fasse moi-même imprimer les livres en grande quantité, puis en faire la publicité, les vendre, prendre des commandes, expédier, etc. Ce n’était pas mon truc. J’avais choisi la solution de facilité, si bien que la diffusion de chaque livre n’a pas dépassé quelques exemplaires !
J’ai commencé par la réécriture et l’autoédition d’un article que j’avais écrit début des années 90 pour la revue du mouvement Freinet, un matin où j’étais arrivé très tôt dans ma classe : « La pédagogie de la mouche ». Cela avait d’ailleurs été le seul écrit qui avait eu quelque succès, probablement en raison de son titre : il avait été traduit en russe, en portugais et en espagnol par des revues pédagogiques étrangères.
Et puis j’ai été interpelé par Philippe Ruelen qui disait qu’aujourd’hui, si l’on voulait diffuser nos idées sur l’école, il fallait utiliser les moyens audiovisuels. J’avais toujours été un peu embarrassé lorsqu’il fallait parler à un micro sans personne d’autre devant moi, pourtant c’est ce que faisaient facilement les enfants dans ma classe. Je me décidai alors à m’essayer à cet exercice, comme un jeu. D’abord une chronique audio pour voir, puis deux. Encouragé par Philippe et la bande des CREPSC, je me suis piqué au jeu. C’était finalement jouissif de s’écouter, de recommencer parce que mal dit, de chercher des virgules musicales qui aient du sens, et j’ai réalisé en quelques mois une quarantaine de chroniques audio. Mieux, je découvris alors l’audioblog d’Arte, ce qui fit que mes essais pouvaient être écoutés par n’importe qui. Certes, je n’ai pas eu plus d’auditeurs que de lecteurs, mais je m’étais bien amusé. Du coup j’en ai fait un second livre « chroniques d’une école du 3ème type ».
Sur la lancée, pourquoi ne pas les poursuivre, mais cette fois sans passer par l’enregistrement audio qui demande quand même une certaine habilité si l’on veut qu’il soit à la hauteur de ce que l’on entend dans la radio (dans les bonnes radios !). Et cela a été un tome 2 (« École et société »), un tome 3 (« La fabuleuse aventure de la communication, du mouvement Freinet à une école du 3ème type »), un tome 4 (« Conversations décousues »). Et puis au fur et à mesure de ce que l’actualité me semblait devoir être éclairée, « Multi-âge », « Classes uniques, structures dissipatives », « Éduquer, co-éduquer une question de pouvoirs », « parents d’élèves éveillez-vous ».
Jusqu’au moment où j’ai voulu reprendre tous les éléments théoriques exprimés de façon disparate dans ces écrits comme sur mon blog en un seul ouvrage rédigé à la façon d’un puzzle : « l’école de la simplexité ». Il n’a pas eu plus de succès que tous les autres, mais il a eu une conséquence inattendue. Alors qu’il était pratiquement achevé, je sentais qu’il me manquait une pièce essentielle du puzzle pour que je trouve ce qui pouvait en faire la cohérence dans la complexité du vivant. Un matin, je reçus un coup de téléphone de Jean-Yves Aurégan, mon grand ami artiste peintre :
- Bernard, il faut absolument que tu écoutes en ce moment France-Culture, il y a un neurobiologiste renommé qui dit des choses qui devraient t’intéresser.
C’était Alain Berthoz qui était interviewé à propos de la sortie de son livre « La simplexité ». Je me ruai sur son bouquin où il développait cette nouvelle notion et c’était bien la pièce théorique qui me manquait. J’utilisai donc immédiatement le terme dans ce qui devint le titre de mon écrit, mais l’intuition me fit lui envoyer le tapuscrit pour lui demander par correction si je pouvais me le permettre avant de l’éditer. Il me répondit qu’il avait parcouru mon texte et qu’il lui semblait que cela correspondait, bien en ce qui concernait l’éducation, à la notion qu’il avait élaborée. Cerise sur le gâteau, il m’invitait à déjeuner à l’occasion avec lui à Paris pour en parler. Il ne se rendait pas compte que le petit provincial que j’étais et pour qui un voyage à Paris était déjà une expédition rare ne se voyait pas lui donner un coup de fil comme s’il avait été un de ses confrères parisiens, « mon cher Alain, tu as une heure pour que l’on déjeune ensemble ? » ! Je n’étais pas dans son monde. Je n’avais pas donné suite, mais j’étais très flatté que mes idées aient au moins intéressé une personne de cette qualité.
Ce n’est que beaucoup plus tard, en 2 018, que par l’intermédiaire de celle qui était devenue mon éditrice, Alain Berthoz me proposa à nouveau un déjeuner à la sortie de la Sorbonne, et cette fois je me décidai.
Ce fut pour moi un moment que l’on n’oublie pas. D’abord la Sorbonne, son occupation, le Quartier latin, Mai 68… J’étais une heure avant le rendez-vous devant les mythiques grilles. Je vis sortir toutes ces personnalités, très pressées (à Paris on ne s’attarde pas à la sortie du travail !) et j’essayais d’imaginer quels pouvaient être les domaines qui avaient fait leur notoriété pour être titulaires d’une des chaires les plus célèbres de France. Mais pas d’Alain Berthoz. Je me décidai alors à pénétrer dans le lieu saint pour me renseigner à l’accueil. J’étais bien marqué comme ayant un rendez-vous avec le professeur, celui-ci m’attendant dans son bureau. En avant dans ces couloirs que je m’imaginais enfumés autrefois lors de l’évacuation par les forces de l’ordre. Il m’attendait dans un petit bureau encombré de livres et de papier et tout de suite me mit à l’aise : il n’était tout comme moi qu’un déjà assez vieux bonhomme. Commencée dans son bureau, la conversation se poursuivit dans le petit restaurant dont il était un habitué et dura plus de trois heures ! Elle ne s’interrompit que parce qu’il avait un rendez-vous important et moi un train à reprendre. J’avoue que lorsque nous nous sommes séparés avant un passage pour piétons, j’avais quelque vertige et quelque peu la tête à l’envers dans le wagon qui me ramenait dans mes pénates.
Très fier de moi, pensant que cet ouvrage allait révolutionner l’éducation, je tentais cette fois de trouver à nouveau un éditeur… en pure perte. À juste titre ce devait ne pas être « vendable ». J’en fis cependant un vrai livre, toujours par l’intermédiaire de l’édition numérique, qu’ont lu par gentillesse quelques fidèles amis. Je n’étais pas fait pour être un auteur vendu ! Mon fils Martin me disait : « Si tu écrivais un roman, tu pourrais faire passer les mêmes choses, mais au moins elles seraient lues ! » Le problème c’est que je suis incapable d’imaginer et d’écrire de la fiction. Je m’y suis fait : je ne suis ni romancier, ni poète, ni artiste !
Alain Berthoz, comme l’avaient déjà fait Michel Authier, Hubert Montagner ou Albert Jacquard, a fini de me convaincre que seuls les très grands personnages sont ceux qui considèrent n’importe qui comme leurs égaux et qui te mettent à leur hauteur. J’ai eu bien de la chance !
J’ai continué ensuite imperturbablement à continuer d’écrire, ne serait-ce que pour l’exercice nécessaire à mes neurones. Un jour j’ai découvert dans mon grenier un carton où j’avais conservé quelques exemplaires du journal scolaire de Moussac. En en scannant quelques pages, je pouvais faire apparaître ce qu’était cette pédagogie de la communication. J’en fis donc un petit ouvrage dont j’ai aussi été très fier et pensais que toutes celles et tous ceux qui avaient vécu cette période allaient se ruer dessus. Illusion ! Bon ! Heureusement que je ne me prenais pas pour un nouveau Illich et que cela ne me déprimait pas, j’entretenais ma mémoire pour en extirper ce qui m’avait marqué.
Et puis pour réaliser un livre de A à Z tu apprends beaucoup de choses, entre autres l’orthographe quand tu découvres après coup que tu as laissé des fautes et qu’il faut recommencer, de plus c’est très jouissif lorsque tu tiens l’objet dans tes mains comme un bon artisan.
Plus récemment, l’actualité m’a donné l’occasion d’écrire et de tenter de diffuser à nouveau, mais j’en reparlerai.
[1] Éric Debarbieux a très vite quitté la scène scolaire pour devenir universitaire puis Président de l’Observatoire international de la Violence à l’École ainsi qu’il a occupé diverses fonctions dans diverses institutions nationales et internationales. Un certain nombre de membres du mouvement Freinet ont aussi divergé ensuite vers l’université ou dans d’autres instances plus brillantes qu’une classe d’enfants. Je n’irai pas jusqu’à être une mauvaise langue qui dirait que la militance dans la pédagogie Freinet leur a servi de tremplin, mais j’avoue que parfois je suis bien une mauvaise langue !
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