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Le blog de Bernard Collot
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12 janvier 2023

1940-2021 (183) - 2 014... Découverte de l'alternatif

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En ce qui concerne l’école, je ne connaissais comme alternative que les écoles parallèles de l’après 68. Comme je l’ai raconté, elles avaient été éphémères et j’étais resté dans l’école publique, je croyais encore à sa possible évolution. Je ne connaissais que les écoles privées, celles confessionnelles contre lesquelles nous luttions, celles de la classe hautement privilégiée qui ne voulait pas que ses enfants se mélangent avec ceux du peuple et pensait qu’ils n’atteindraient pas « l’excellence » dans l’école publique, et enfin quelques écoles Montessori.

Ce sont bien les publications de l’Instant Présent qui m’ont fait découvrir cet autre monde de l’alternatif. Si mes bouquins n’ont pas intéressé les foules, par contre ils ont intéressé quelques-unes de ces nouvelles écoles, hors contrat c’est-à-dire hors de l’éducation nationale et ne recevant aucun financement public. 

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Quelles étaient-elles ? C’étaient des écoles qui avaient été créées, soit par des enseignants déçus par l’école publique, parfois rejetés par elle, où ils ne pouvaient pas pratiquer pleinement les pédagogies qui leur semblaient respecter les enfants et aborder autrement les apprentissages, soit le plus souvent par des parents. Ces parents n’étaient pas des privilégiés comme on se complaisait à les cataloguer, mais des parents dont les enfants étaient en souffrance dans l’école publique ou qui ne trouvaient pas dans leur proximité les rares écoles publiques où étaient pratiquées ces pédagogies que l’on qualifiait encore de nouvelles. Si dans l’école publique les enseignants ont une très, très relative liberté pédagogique à condition qu’ils restent dans les contraintes de plus en plus restreintes fixées par l’EN, les familles n’ont, elles, aucune liberté de choix, bien sûr encore moins pour leurs enfants. Il devient de plus en plus difficile de distinguer les differneces entre les régimes autoritaires et les démocraties qui brandissent le terme de liberté. D’où, un peu en désespoir de cause, les projets pour créer l’école qui leur paraissait répondre aux besoins des enfants. Toutes ces écoles se réfèrent à Freinet, Montessori, Steiner… que les parents et celles et ceux qui assurent la vie de l’école connaissent beaucoup mieux que la plupart des enseignants.

Leur problème, c’était que tout ce qui paraissait limpide sur le papier lors de la création et qu’il n’y aurait plus qu’à appliquer ensuite devenait beaucoup moins évident lorsqu’il s’agissait ensuite de le vivre. Notre société n’est pas faite pour ce qui est alternatif, elle fait même tout pour l’empêcher. D’autre part, vivre par intermittence la liberté, avec ce qu’elle induit dans un îlot communautaire appelé école lorsqu’en dehors de cet îlot on n’y a pas été habitué n’est pas non plus évident. Je peux rajouter que s’il était assez facile qu’un petit groupe de parents se retrouve avec la même envie pour leurs enfants et mettre en route un projet commun, c’est après que des nuances, des aspirations quelque peu différentes, des malentendus apparaissent et rendent une gouvernance horizontale difficile.

C’est pour cela que notre longue expérience de classes uniques de 3ème type dans l’école publique et dont mes livres n’étaient que le reflet a commencé à beaucoup intéresser ces écoles, si bien que de 2014 à 2019 j’ai beaucoup parcouru l’hexagone en étant invité par quelques dizaines de ces écoles, soit en projet, soit en cours de fonctionnement.

Cela a dû commencer par deux jours près de Quimper chez « Les semeurs d’écoles » du Finistère, association qui venait de se créer. C’était pour moi la meilleure introduction qui m’était offerte pour découvrir ce monde de l’alternative puisque cette association s’était donné pour but de réunir toutes celles et ceux qui voulaient autre chose pour leurs enfants, parents et enseignants. Informer, réfléchir, envisager des projets… J’étais le premier qu’ils invitaient pour lancer des débats (par la suite il y en a eu d’autres beaucoup plus connus que moi !) 

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J’ai commencé à découvrir qui étaient ces gens qui osaient se lancer dans l’aventure de créer une école pour leurs enfants. Cependant je n’étais pas tout à fait dépaysé puisque, de par ma longue collaboration avec l’ACEPP (fédération des crèches parentales) puis mon implication directe dans une crèche parentale, je connaissais une bonne partie des problèmes liés à la réalisation et au fonctionnement de ces structures autonomes et je m’étais déjà retrouvé dans des situations similaires. La différence c’était quand même que l’État ne mettait pas les bâtons dans les roues aux associations créatrices de crèches.

Ces parents étaient surprenants. Rien à voir avec des « bobos ». Des gens ordinaires de toutes les situations sociales. Mais pas des gens ignorants : ils connaissaient autant que moi si ce n’est mieux tous les grands pédagogues et leurs idées… J’ai retrouvé cela ensuite partout où je suis allé et chaque fois je rentrais chargé d’optimisme : on croit que la terre est asséchée que c’est fichu pour que la vie y reprenne et c’est bien un peu le sentiment que l’on peut avoir aujourd’hui sur notre société ; mais sous terre, invisibles il y a des graines qui maturent, prêtes à germer et à la moindre pluie le désert reverdit. Ce sont toutes ces graines qu’il m’a été possible de voir pendant ces années.

Notre rencontre avait eu lieu dans une salle de réunion classique. Habituellement il n’y a qu’à mettre des chaises en rang ou en cercle avec un micro et une place pour la vedette du jour et le tour est joué en quelques minutes sans embarras pour personne. Là, pas du tout ! Bien avant il y avait eu un long conciliabule entre les « semeuses »[1] pour savoir comment elles pourraient faire… pour que ça vive. Des plantes vertes avaient fait le voyage dans des coffres ! Qui aurait pensé qu’une plante verte n’est pas forcément faite pour le décor mais pour favoriser l’interrelation ! Il ne manquait plus qu’un chat ronronnant (songez-y, enseignants), et quelques pierres en rond pour faire brûler quelques bûches… et c’était la salle de réunion ! Et l’agencement des chaises : le rang ? Bof ! Le cercle ? Pas évident s’il est trop grand. Alors j’ai vu surgir, aussi sorties des coffres, de petites tables basses avec des nappes, réparties dans toute la salle au milieu des chaises dont elles coupaient toute linéarité, avec leur assortiment de gâteaux et de jus de fruit ! Ce que l’on dit pour les enfants, être bien, c’était mis en application pour les adultes.

Et nous avons discuté, discuté. Bien sûr j’étais le prétexte et l’école du 3ème type la matière à triturer. En fait je n’ai jamais été un conférencier, c’est un métier. C’était bien dans cette situation décontractée et conviviale que j’étais à l’aise. Comme lors des dizaines de déplacements que j’ai pu faire ensuite, je ne demandais que le remboursement des frais de déplacement et d’être hébergé. Cela avait quand même un coût, surtout lorsque le nombre de km était important. Si bien que chaque fois il y avait une affiche, parfois avec ma tête dessus comme si j’étais une vedette, et à l’entrée des salles une boite avec un écriteau « participation libre aux frais ». J’aurais presque pu me prendre pour un artiste de rue qui chante… au chapeau !

Je ne sais pas si le résultat (l’interrelation) avait été à la hauteur de l’attente des semeuses, on ne sait jamais si ce qui a été mis en place va avoir l’effet escompté ou va en avoir d’autres inattendus. En tout cas nous sommes restés quatre heures ensemble sans voir passer le temps (tout au moins pour moi) !

Le lendemain avant que je ne reparte, deux ou trois mamans me firent balader dans la ville en poursuivant nos conversations de la veille.

Quelques mois après, je suis retourné en Bretagne à Lorient cette fois : un projet se concrétisait, l’école des « Petits ruisseaux ».


[1] Dans l’association des semeurs d’écoles il y avait bien sûr aussi des hommes, mais les femmes y étaient en grande majorité. Changement d’époque : maintenant ce sont les papas qui gardent les enfants pendant que les mamans vont aux réunions, enfin au moins quand il s’agit des enfants. C’étaient bien les semeuses qui avaient organisé la réunion.

Prochain épisode : "Les petits ruisseaux" - épisodes précédents

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