1940-2021 (184) - 2 015, trois jours d’immersion chez « Les petits ruisseaux » de Lorient…
... et un projet d'école différente pour le moins original !
Il est rare qu’un « étranger » puisse « pénétrer » quelques heures ou quelques jours dans l’intimité d’un groupe porteur d’un projet. C’est ce que m’ont offert « Les petits ruisseaux » de Lorient. Trois soirées, deux jours de discussions intenses et passionnées, quasi non-stop !
Cela était le premier projet en cours de réalisation qui avait germé au sein des « semeurs d’écoles ». Il en était dans sa phase de finalisation, l’ouverture de l’école était prévue pour la rentrée de septembre 2 015.
Cela faisait plus de quatre ans que ce groupe de parents cogitait intensément. Quand je dis intensément, c’est dans son sens le plus absolu : pendant ces journées j’en étais presque venu à me dire « mais quand est-ce qu’ils pensent à autre chose ? » !
Lorsqu’on a des enfants, il ne s’agit pas de se contenter de perspectives lointaines et utopiques. C’est l’immédiat qui importe. Chez « Les petits ruisseaux », à la suite d’une crèche parentale ils avaient d’abord créé des ateliers Montessori. Mais les enfants grandissent vite ! Il fallait impérativement créer autre chose… et vite. Nous savons tous que pour faire ce que l’Éducation nationale ne veut pas faire, on se heurte aux problèmes des locaux à trouver, des financements. Le problème de savoir ce que les enfants feront dans ce lieu et de trouver des parents voulant faire ce choix n’était plus, lui, un problème. Il y avait eu les recherches de locations : espoirs et déceptions. Les recherches de subventions, de mécènes : « Très intéressant votre projet mais… » De quoi décourager les plus convaincus.
Ma grand-mère me disait : « quand tu cherches vraiment, tu trouves toujours ce à quoi tu n’avais pas pensé ». Ce qu’ont trouvé « Les petits ruisseaux » vaut la peine d’être conté.
Le maire de Ploemeur, petite ville très proche de Lorient, avait une magnifique école de hameau à cent mètres de l’océan. Sur ses trois classes, il ne restait plus que la maternelle. Vu l’évolution démographique (résidences secondaires, personnes âgées), vu la politique concentrationnaire de l’État, sa fin était plus que prévisible. Or, ce maire avait vécu enfant dans ce hameau et y était sentimentalement attaché, il cherchait une solution pour la sauvegarder et l’occuper entièrement. Il avait raison, laisser disparaître un tel bijou aurait été une stupidité. Et cela avait été la rencontre improbable : je ne sais pas si cela avait commencé par une demande, « Pourrions-nous nous installer… » ou par une proposition, « Installez-vous donc… dans une partie de l’école » ! Vous vous rendez compte de l’incongruité du projet : une école privée laïque s’installant dans une partie d’une école publique ! Je n’aurais même pas osé y penser !
Rien n’est impossible. Il y avait eu les rencontres avec l’administration départementale de l’Éducation nationale. Pas franchement emballée, mais lorsque le projet est habilement présenté et surtout lorsqu’il y a un maire d’une petite ville qui compte dans le paysage politique d’un département, l’EN n’avait pas été franchement opposée. Elle argumenta sur ses propres difficultés (que vont dire les syndicats ?), sur les textes de loi… mais finalement elle pourrait donner le feu vert si un mur empêchait les deux unités ainsi créées de se voir et de cohabiter. Pour une fois, l’administration ne les avait pas envoyés paître ! Et puis il y avait aussi eu les réactions d’un conseil municipal et de son opposition, ce qui imposa, au maire de fixer une location selon les critères de la commune, ce qui devenait un problème pour le budget des parents qui devaient payer, etc.
Le projet en était là. Mais pour avoir passé trois jours avec eux, pour avoir visité l’école avec eux, avec l’élue et la directrice du département éducation de la ville de Ploemeur, pour les avoir vus déjà mesurer, projeter des aménagements… j’étais certain que l’impossible, ils allaient le réaliser ! Et ils l’ont réalisé, en septembre 2 015 l’école des « Petits ruisseaux » a ouvert, avec son mur séparant les cours de récréation. Depuis, comme attendu, la maternelle publique a fermé et "Les petits ruisseaux" occupent tous les locaux.
Pendant ces journées s’est confirmé ce que j’avais constaté avec les crèches parentales. Ce n’est pas encore très visible mais de plus en plus important : partout naissent et émergent des aspirations que l’on pourrait qualifier d’aspirations de vie ou d’une autre vie. Dans notre cas, c’est bien sûr la naissance d’un enfant, parfois ces premiers moments dans l’école, qui transforment une aspiration en une nécessité vitale.
VITAL ! Parce que, ce qui m’a frappé c’est que pour toutes ces mamans et tous ces papas, il ne s’agissait pas « d’offrir » un mieux ou un plus à leurs enfants, un à côté pour compenser. Il s’agissait d’assurer la continuité de l’épanouissement de leurs enfants sans lequel ils ne peuvent devenir des adultes solides, libres, autonomes pouvant s’emparer de leurs propres vies. Ce n’était simplement qu’assumer leur responsabilité naturelle et complète de parents.
Comment ces aspirations disparates sur un territoire ont-elles pu se repérer, converger pour constituer, à un moment, une entité qui veut concrétiser les aspirations ? C’est toujours mystérieux ! Rencontres fortuites, information pêchée, une conversation qui fait dresser l’oreille… Puis d’autres viennent se greffer… Il est probable que lorsqu’une aspiration devient vitale, votre façon d’être la rend visible, peut être perçue par d’autres. Déjà, c’est de l’informel ! Et puis, il y a le sujet commun à tous : l’enfant. Sans un intérêt commun, aucune entité sociale ne peut se constituer[1].
Il s’en suit une caractéristique de beaucoup de ces groupes qui était particulièrement perceptible chez « Les petits ruisseaux » : il n’y a pas de chef, pas de leader. Ils constituent, sans le savoir, des systèmes vivants ayant leur force, leurs capacités d’adaptation, d’évolution, leur autostructuration naturelle dans les complémentarités de chacun, les interrelations, le respect absolu des uns et des autres. Mais c’est aussi une des principales difficultés de toutes les alternatives parce qu’il faut en inventer les modalités de fonctionnement. J’ai retrouvé cette difficulté presque partout où je suis allé, parfois c’était même pour cela que j’étais invité : je n’étais pas plus expert que ces parents, mais j’avais l’exemple des enfants de nos classes uniques de 3ème type !
[1] On peut se poser une question : qu’est-ce qui favorise le repérage dans une société dite de la communication où tout est devenu plus ou moins une masse informe ? Beaucoup de parents (et même des enseignants) se pensent isolés, donc impuissants. Mais quel soulagement et aussi quel regain d’espoir lorsqu’ils peuvent enfin se dire, « Je ne suis plus seul ».
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