Parmi tous mes déplacements, il y en a eu deux qui m’ont particulièrement marqué.

En 2 016, Philippe Ruelen était revenu de son expérience avec « La petite école qui regarde la montagne » en Nouvelle-Calédonie, d’où l’idée d’effectuer à deux pendant une semaine les interventions qui nous étaient demandées. Nos deux garçons, Martin et Marin, 16 ans, étaient en vacances. Martin était déjà allé faire du ski avec Marin. Ils étaient en première année de lycée, Martin à Bourges, Marin à Ambérieux en Bugey. Pourquoi ne pas les embarquer avec nous puisqu'ils étaient d’accord !

Dans nos déplacements nous étions normalement logés, mais nous ne pouvions imposer deux personnes supplémentaires à nos hôtes. D’où l’idée de faire le périple avec le très vieux camping-car de Philippe.

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Voyager avec « René », l’engin de Philippe, était toujours une aventure. Cette fois, en cours de route, nous n’avions eu qu’à réparer une couchette qui s’écroulait et mettre une cuvette sous la gouttière du toit qui prenait l’eau… mais il n’y avait eu qu’un orage nocturne et le vieux moteur avait ronflé gaillardement sans trop chauffer dans les lacets savoyards ou pour grimper sur le plateau de la Haute-Loire. Il a été l’habitation de nos deux gars pendant tout le voyage. Nous le garions dans une rue, une cour, à proximité de l’endroit où nous étions hébergés et ils venaient prendre leur douche là où les deux pères et compères logeaient. Ils n’ont même pas fait les touristes : chaque fois ils tenaient à assister à nos séances, se permettaient même d’intervenir au milieu du public sans que celui-ci sache qu’ils étaient nos mômes et nous mettant parfois malignement dans l’embarras. Ensuite c’étaient nos impitoyables critiques dans le débriefing après les séances. 

 

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11 avril 2 016 - Le premier arrêt a été à l’université Lumière Lyon 2. Le fils aîné de Philippe, Robin, y était étudiant. Il avait concocté un déjeuner-débat pour faire découvrir l’école du 3ème type aux étudiants plongés dans le concours aberrant pour devenir prof, qui, entre deux cours, nous avaient invités à partager sandwiches et pizza pendant trois heures dans une salle de la fac. Nous nous étions retrouvés à midi avec une dizaine d’étudiants et d’étudiantes à casser la croute ensemble. J’y ai eu une belle surprise : en face de moi il y avait une très belle jeune femme qui à un moment m’a interpellé :

- Bernard, savez-vous que mon père a été élève dans votre école à Lantignié ?
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C’était une cinquantaine d’années avant cette rencontre. Pourtant j’ai eu un éclair :

- Tu ne serais pas la fille de Gilles Ducroux ?

Incroyable, j’étais tombé juste ! C’était le sourire particulier de celui qui était à l’époque le petit Gilles qui était remonté de ma mémoire et que j’avais brutalement reconnu chez sa fille. 

 

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Dans la soirée nous devions animer un débat avec l’association des Colibris de Saint-Étienne. Arrivés dans l’après-midi dans un splendide logement « Airbnb », nous devions le soir rejoindre une salle dans un quartier de St-Etienne. Normalement avec le GPS « René » aurait dû nous y conduire en vingt minutes. Malheureusement le GPS ignorait que « René » était allergique aux tunnels : dans une aventure précédente, il s’était retrouvé coincé sous un pont ; Philippe pour s’en sortir avait dû dégonfler les quatre pneus pour les regonfler une fois sorti d’affaire avec le seul outil qu’il avait pu trouver : une pompe de bicyclette ! Pas question donc de franchir la voute à la hauteur incertaine rencontrée, demi-tour et une heure pour retrouver cette fichue salle où nous étions attendus ! Heureusement il y avait chips, amuse-gueules, tartes pour faire patienter l’assistance. Vive la convivialité.

12 avril 2 016.

Le lendemain, direction Yssingeaux, c’était une association de parents et d’enfants qui nous attendait. Si vous connaissez le plateau de la Haute-Loire, là-bas comme en Creuse, en Ardèche… de petits villages, des hameaux, des maisons isolées, très éloignés les uns des autres et vous vous demandez qui va bien pouvoir venir discuter un soir des enfants et de l’école dans une salle polyvalente un peu glaciale ! Des parents devaient même faire plus de 20 km quotidiens pour trouver la première école publique la plus proche ! Et bien, par je ne sais quel miracle, le soir il n’y avait pas assez de chaises pour tout le monde ! D'où venaient-ils ? Comme dans la Creuse et sur le plateau de Mille Vaches, dans ces régions rurales difficiles qui s’étaient dépeuplées, beaucoup de familles désirant changer de vie se sont installées. Je suis persuadé que c’est dans ces régions que se prépare dès maintenant un inéluctable changement de société.

 

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 Nous étions hébergés dans un minuscule hameau par une famille qui rénovait une vieille ferme. Délicieux repas et déjeuner paysan. Cette fois nos garçons ne nous avaient pas accompagnés à la soirée débat. Lorsque nous sommes revenus dans la nuit, ils étaient en train d’éponger le camping-car : il y avait eu un orage et le toit de « René » s’avéra ne pas être hermétique ! La gouttière n’étant pas au-dessus de leur lit, ils refusèrent de quitter ce qui était devenu leur chez eux pour venir dormir au chaud dans la maison. Le lendemain matin, Philippe, comme il avait dû le faire mille fois, sortit ce qu’il fallait d’un coffre rempli d’un bric-à-brac destiné à répondre à tout ce qui pourrait arriver en route, grimpa sur le toit du véhicule et colmata la brèche… avec du sparadrap !  Et en route pour la Drôme.

 13 avril 2 016

Puis arrivée le jour suivant dans l’école « Coopcinelles » à Allex près de Crest dans la Drôme où avait lieu une journée portes ouvertes. Nous connaissions très bien Emilie Roudier qui avait créé cette école et c’était elle qui nous hébergeait à Crest. 

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Emilie avait débuté comme institutrice dans la Creuse. Assez vite elle s’orienta vers la pédagogie Freinet, puis rechercha une classe unique pour aller dans la direction de nos écoles du 3ème type. Déçue par l’Éducation nationale, elle démissionna et alla dans la Drôme pour créer sa propre école. Lorsque celle-ci a dû fermer, elle retourna dans la Creuse et se lança dans l’accompagnement à la parentalité. 

 

IMG_5986_1Les journées « portes ouvertes » sont importantes dans les écoles alternatives. Très peu sont ouvertes en permanence aux parents et aux adultes du village comme l’était ma classe unique de Moussac. Il faut les comprendre : il est aussi important de laisser à tout le monde, enfants, enseignants, parents le temps de trouver leur place dans un collectif où les uns et les autres n’occupent pas les mêmes positions. Cependant il faut bien que les parents puissent voir ce qui se passe, ce que font leurs enfants, comment ils se comportent… D’où ces journées particulières où les enfants sont en quelque sorte les hôtes de leurs parents.    

Nous arrivâmes en plein déroulement de cette journée. Il y avait plein de monde, adultes et enfants joyeusement mélangés, discutant, jouant, dessinant… d’ailleurs on pouvait se demander dans ce grouillement tranquille qui étaient les « écoliers » parce qu’en plus il n’y en avait pas un qui ressemblait à un écolier ! Il était très intéressant d’entendre comme observateurs ce que disaient tous ces parents, leurs questions, tous n’étant pas forcément des parents de l’école mais d’autres venant se renseigner.

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Le soir c’est à Crest que nous devions animer le traditionnel débat. Là aussi il y avait des enfants jouant au milieu des chaises qui nous rappelaient que les vedettes ce n’étaient pas nous ! Si dans tous les débats très, très sérieux les participants amenaient leurs enfants, peut-être verrions-nous un peu différemment les problèmes de notre monde.

 

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 14 avril 2 016

Ensuite ce fut au pied du Vercors, parmi les plantations de noyers, ou un groupe de parents voulait créer une école. Il faisait beau et ce fut au soleil que l’après-midi nous discutâmes de leur projet. Chaque fois je suis toujours étonné de la profondeur de la réflexion qui amène des parents à se lancer dans une aventure apparemment impossible et de la précision des questions qu’ils se posent. Ah ! Si l’Éducation nationale se posait les mêmes !

Le soir comme ailleurs nous nous sommes retrouvés cette fois dans une MJC, pleine de monde, avec des interrogations et des témoignages de toute sorte.

15 avril 2 016

 

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 Et nous avons fini à Annecy, dans la même convivialité et la même décontraction, dans un centre social cette fois, dans une soirée organisée par le collectif « instruction en famille 74 ». Nous pensions que nous allions encore plus qu’ailleurs discuter seulement avec des parents. Et bien là-bas comme dans nos autres étapes, nous avons été surpris par le nombre d’enseignants présents. Cela ne devrait pas être surprenant puisque chaque enseignant est bien aussi un parent ou un futur parent, mais il faut quand même qu’ils osent parce qu’ils savent bien que dans ces réunions c’est l’école qui est remise en question et peut-être un peu aux aussi. Mais c’est réjouissant de constater que le rhizome s’étend au sein même de l’école… et que celle-ci aura de plus en plus de mal à colmater ses lézardes avant de s’écrouler.

Heureusement pour mes vieux os que, malgré le réchauffement climatique, les nuits quelque peu glaciales de cette semaine printanière interrompaient quand même les conversations sur le pas des portes à des heures indues, sinon j’aurais très peu dormi, ce d’autant que nous n’arrêtions pas tous les quatre de poursuivre nos cogitations dans le camion qui nous conduisait d’un lieu à un autre !

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 16 avril 2 016

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Retour à Ambérieux en Bugey

 

 

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17 avril 2 016

Retour maison !

 

 Après cette semaine intense dans un autre monde, il nous a fallu une bonne journée de décompression pour le retour au quotidien. Mais toutes ces rencontres nous empêchaient de tomber dans la déprime d’une société figée et dont l’espoir était bien dans tous ces enfants que nous voyions vivre magnifiquement autrement… et qui nous faisaient toujours et inlassablement envie.

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