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Le blog de Bernard Collot
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27 janvier 2023

1940-2021 (189) - 1996... Cartoucherie de Vincennes - La Maison des Enfants

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 Cette école alternative est particulière, de par sa durée et son histoire, de par le lieu où elle est implantée et surtout j’y suis attaché parce que j’y ai été invité à plusieurs reprises et que, lorsque l’accueil des enfants s’est étendu au-delà de six ans, Renaud Slusny et son équipe ont estimé que l’école du 3ème type pouvait être une des sources de leur inspiration.

Le lieu et son histoire.

En pleine agglomération parisienne, le bois de Vincennes et le château, domaine royal jusqu’au XXVIIIème siècle. Sous Napoléon, le bois et le château deviennent le plus important arsenal militaire de l’Empire. En 1860, l'État fait don du Bois de Vincennes à la Ville de Paris avec pour mission de le transformer en lieu de promenade publique. En 1874, la Ville de Paris devenue propriétaire du Bois de Vincennes autorise la construction d'un nouvel atelier de poudre plus connu sous le nom de Cartoucherie de Vincennes. Ce n'est qu'à la fin des années soixante que l'armée libère définitivement l'ancien polygone d'artillerie. Les bâtiments de la cartoucherie ainsi que le vaste espace qu’elle entoure sont laissés à l’abandon. Ils deviennent un temps le repère des prostituées et des « blousons noirs » de l’époque.

Sa transformation dans « l’après 68 ».

1970, Ariane Mnouchkine et le théâtre du soleil cherchent désespérément un lieu de travail qui ne soit pas un théâtre. La troupe s’installe provisoirement dans un des bâtiments de la Cartoucherie pour préparer son spectacle, « 1789 », pour une tournée dans les salles parisiennes. On peut dire qu’elle le squatte. Et puis, tant qu’à faire, pourquoi ne pas transformer l’immense bâtiment en une salle de spectacle dans un lieu improbable. Les comédiens se lancent alors eux-mêmes, sans aucune aide, pour transformer un bâtiment quasiment en ruines. C’est ainsi que le Théâtre du Soleil devient un nouveau théâtre parisien et la Cartoucherie lieu possible pour le spectacle.

À partir de 1971, sous l’impulsion d’Ariane Mnouchkine d’autres troupes de théâtre plus ou moins underground viennent à leur tour occuper quelques-uns des bâtiments inutilisés. Caroline Carlson y installe son atelier de danse. Ce n’est qu’en 1985 que la ville de Paris établit enfin un contrat de location avec l’ensemble des compagnies qui s’étaient constituées en collectif pour gérer le lieu. La Cartoucherie est ainsi devenue un lieu de culture et de création mondialement connu.

Si la Cartoucherie s’anime les soirs de spectacle ou les dimanches lorsque des Parisiens viennent piqueniquer dans l’immense espace naturel qu’entourent les bâtiments, par contre les journées de la semaine sont incroyablement paisibles, le Bois de Vincennes et son parc floral capturant les touristes.

Et la Maison des Enfants ?

Tout commence en 1974 lorsque des comédiens du Théâtre du Soleil organisent une garde collective de leurs bébés dans une roulotte utilisée pour les tournées. J’ai raconté dans le tome 4 comment dans les grandes villes, dans les années 70 et dans la foulée de Mai 68, des familles où les deux parents travaillaient avaient commencé à se regrouper pour garder leurs enfants et pallier à l’absence de crèches. En 1978, les parents des troupes de la Cartoucherie décident de créer une « crèche sauvage ». Le groupe s’installe alors dans la maison du gardien de la Cartoucherie, la Maison des Enfants est née. Au début, seul le rez-de-chaussée avait été aménagé, l’étage était encore l’habitation d’Hector, le gardien. C’est en 1980 que l’association de type 1901 « Sequana-Maison des Enfants » est créée. Les « crèches parentales » sont alors reconnues par l’État, obtiennent un statut particulier leur permettant d’avoir les mêmes financements de la C.A.F. que les autres crèches. La Maison des Enfants devient officiellement un « jardin d’enfants » avec un statut social.

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Comme pour la plupart des crèches parentales nées dans cette période, l’influence de Françoise Dolto était très forte. Sa philosophie éducative et les pratiques qu’elle induisait convenaient parfaitement à tous ces parents qui avaient vécu et, pour la plupart, participé au joli mois de mai 68.  Mais les enfants grandissent et à partir de six ans normalement ils devraient quitter le jardin d’enfants pour aller dans une école. On imagine que ce n’est pas facile, ni pour eux ni pour leurs parents. D’où le début d’une autre aventure parce qu’alors il fallut que la Maison des Enfants devienne aussi une école avec les contraintes imposées par l’État et aussi les attentes (ou croyances) des parents qui n’étaient plus alors aussi uniformes. Des craintes par rapport « aux résultats » apparaissent, les conceptions de « la liberté des enfants » ne sont pas toutes les mêmes, etc. Elle a donc eu à résoudre la problématique de toutes les écoles alternatives que j’ai déjà évoquée. Plus que les autres, dans les années 2 000 elle s’est appuyée sur l’expérience des classes uniques de 3ème type.

 

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L’environnement extérieur et directement accessible aux enfants, en plein Paris, est carrément incroyable, même des écoles rurales n’en disposent pas d’un pareil.

 Devant la maison, un immense espace clôt, avec de l’herbe, des arbres, même des bosquets avec des buissons où se cacher ou faire des cabanes, où il n’y a plus l’agression de la rumeur urbaine, où l’on n’entend plus le bruit des voitures, où le gazouillis d’une mésange s’entend… un calme stupéfiant. Parce que ce n’est pas un parc aménagé, on pourrait même penser que c’est un espace naturel. La journée, il appartient carrément aux enfants qui n’y courent aucun des risques de la jungle urbaine.

Pour y accéder, il n’y a qu’à traverser l’allée goudronnée qui fait le tour de la Cartoucherie, allée où l’on peut même apprendre à faire du vélo, du patin à roulettes parce que les automobiles des usagers ou visiteurs sont obligatoirement parquées dès l’entrée du lieu qui est clos.   

 

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L’environnement n’est pas que physique, ce qui se passe dans la Cartoucherie est d’une richesse infinie. Bien sûr il y a toutes les rencontres que l’on peut faire avec les occupants, la curiosité provoquée par ce qu’ils font, les questions qui peuvent leur être posées, peut-être même ce que l’on peut faire avec eux. A priori on peut penser que ces occupants, de par ce qu’ils font eux-mêmes de ce lieu et dans ce lieu, sont plus ouverts aux enfants que la moyenne des gens.  J’ai d’ailleurs trouvé lors de mes passages que ce n’était pas suffisamment exploité.

Il y a bien sûr tout ce qui fait l’activité de la Cartoucherie, que ce soit dans le domaine culturel et de la création ou dans le domaine technique et manuel nécessaire à la création. Pensez que l’atelier de danse de Caroline Carlson jouxte la Maison desEenfants !

En allant me balader nez au vent entre les bâtiments, j’avais même découvert, stupéfait, un bijou de potager en permaculture. Depuis quelques années, Antonio, employé de la Cartoucherie, avait sans que personne ne l’en empêche eu l’idée d’utiliser ce recoin caillouteux mais bien abrité pour y faire pousser des légumes. Il m’avait laissé y pénétrer en me précisant « Il est à tout le monde ! ». Alors que mon propre potager démarrait péniblement sa saison, celui d’Antonio était luxuriant. Nous avions longuement discuté. Il avait reconstitué un sol avec des buttes faites avec toute la matière végétale des tontes et feuilles d’automne que lui apportaient les employés de la ville qui faisaient l’entretien du parc floral. Et bien sûr les enfants venaient le voir et lui allait les voir lorsqu’ils s’expérimentaient dans le mini potager qu’ils avaient fait devant l’école.   

 

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Par beau temps, plein d’activités étaient possibles dans la petite cour pavée. Une ancienne buanderie avait été transformée en salle de danse, de musique, de spectacle.

La maison n’était pas très grande et l’école n’occupait encore que le rez-de-chaussée. L’étage qui avait été occupé par le gardien de la Cartoucherie était libéré et il était prévu de l’utiliser pour étendre l’âge d’accueil des enfants aux collégiens, mais cela nécessitait de gros travaux pour que son accessibilité soit aux normes. Plus question de faire comme autrefois où la sécurité était assurée par l’éducation aux risques et que la moindre égratignure ne provoquait pas la recherche de coupable par un tribunal.

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Dans cet espace assez réduit qui aurait rebuté beaucoup, tout ce que pouvaient y faire les enfants était étonnant sans que l’on ait l’impression de gêne ou de désordre. Il est vrai que tant qu’il ne pleuvait pas ou qu’il ne gelait pas à pierre fendre, l’extérieur était largement occupé. Il me semble aussi me souvenir que les repas de midi étaient préparés dans la minuscule cuisine à tour de rôle par un parent avec l’aide d’un ou deux enfants. 

La différence avec les écoles de type Sudbury, c’est que si les parents tiennent aussi à l’épanouissement dans la liberté de leurs enfants, ils attendent à ce que les apprentissages dits fondamentaux s’effectuent de façon régulière. Qu’un enfant ne soit pas encore rentré dans l’écrit à 8 ou 9 ans et c’est la panique. Ceci rend bien plus délicat le rôle des permanents qui doivent concilier ces deux aspects de l’école. L’expérience dans l’école publique des anciens instits de classe unique de 3ème type devient alors utile, surtout pour les rassurer ainsi que les parents. C’est la raison qui m’avait fait être invité par pas mal d’écoles.

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Ce problème de concilier deux exigences accentué ces dernières années par ce qu’impose l’Éducation nationale est celui de pratiquement toutes les écoles alternatives. À la Cartoucherie, il est apparu dès que l’accueil s’est étendu aux plus de cinq ans. C’est à ce moment que chaque parent commence à avoir des convictions ou des opinions qui divergent quelque peu, souvent des angoisses, avec des appréciations différentes sur ce que doivent faire ou ne pas faire… les jardiniers ! Cela devient plus compliqué et difficile pour les jardiniers de la Maison des Enfants que pour Antonio et son potager en permaculture : il n’a pas, lui, à se préoccuper des envies, des préférences ou des croyances de ceux qui se nourriront de ses légumes ! En quarante ans d’existence, la Maison des Enfants avec ses pilotes successifs ont nécessairement traversé des turbulences, subi des perturbations, le contraire eut été anormal. Il a fallu parfois retrouver et poursuivre le sens qu’y avaient mis ses créateurs, sens qui ne nait pas d’un lieu, aussi magique et attirant est-il.  Ceux qui y entrent maintenant rentrent dans une longue histoire qui doit simplement se poursuivre avec eux. Dans cette histoire, il y a celles et ceux qui y sont depuis plus longtemps, qui ont pris le relai d’autres pionniers et assument les tâches ingrates qui permettent à la Maison des Enfants de perdurer dans son sens et de s’ajuster aux évolutions, la principale ayant été la prolongation pour les enfants au-delà de cinq ans.

Vous imaginez qu’un tel lieu en pleine agglomération parisienne était plus qu’attirant pour de nombreuses familles, et pas forcément des familles adhérant toutes de la même façon au projet. Ce ne sont jamais les enfants qui posent des problèmes mais les adultes ! On pourrait penser, et je le pensais, qu’avec des familles dont la majorité provenait de ce monde de créateurs et d’artistes qui se veulent ouverts à un monde différent, qui sortent du conventionnel, tout devait être facile. Encore une illusion écornée ! Ma dernière visite à la Maison des Enfants avait été motivée par ce problème.

Un jour, je reçus un coup de téléphone étrange :

- Bonjour, je suis la chanteuse Camille, mon enfant est inscrit à La Maison des Enfants. Comme vous êtes celui auquel se réfèrent les éducateurs, je voudrais avoir votre avis.

Je supposai que pour que cette dame ait précisé ce qu’elle était ce devait être parce qu’elle avait une notoriété que j’aurais dû connaître et donc être encore plus attentif à ce qu’elle voulait me dire. Je ne la connaissais pas et cela a plutôt tendance à me hérisser le poil, mais bon, je voulus bien l’écouter. Donc, à l’école des enfants s’étaient fabriqué des pistolets en carton et avaient joué à la guerre dans l’herbe et les bosquets de la Cartoucherie. Elle était horrifiée que les éducateurs les aient laissés faire et voulait savoir ce que j’en pensais. Évidemment je n’en pensais rien du tout ! J’ai toujours laissé les psys débattre de cela et puis quand j’étais môme, après avoir lu dans le grenier du grand-père les images d’Épinal sur la guerre de 14, je me régalais à partir à l'attaque avec un bout de bois comme sabre dans les fossés de la ferme.

- Désolé, je ne sais pas ce qui est bien ou mal. Ce sera intéressant lorsque vous poserez le problème lors de votre assemblée régulière des parents et des permanents.

 

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Oui, mais voilà : les pistolets n’étaient que le prétexte pour me dire que la présence et l’influence de Renaud dans cette assemblée comme dans l’école l’insupportaient et qu’elle voulait que je me pare d’une soi-disant qualité de père spirituel pour intervenir ! Je connaissais bien Renaud ce qu’il avait fait et continuait de faire pour maintenir la Maison des Enfants dans son sens originel, je mis fin à la conversation en lui expliquant que tout cela ne me regardait pas et qu’ils étaient tous assez grands et raisonnables pour discuter calmement de ce qui la gênait. Je pensais que cela n’allait pas aller plus loin.

Or, quelques semaines plus tard, Renaud me demanda de revenir à la Cartoucherie parce qu’il y avait quelques turbulences.

C’est là que j’appris que ladite Camille avec un autre parent, Mathieu Kassovitz, jetaient le trouble auprès des autres familles en leur envoyant des lettres pour dénigrer ce qui se faisait à La Maison des Enfants. Aucun des deux n’était allé discuter dans les assemblées régulières où les problèmes étaient discutés. Cela serait venu de parents lambda ne m’aurait pas étonné : dans toutes les affaires dont j’ai narré quelques-unes et qui ont pourri la vie de celles et ceux qui tentaient de faire une école différente, il y a toujours eu un ou deux parents qui ont agi ainsi. Mais il y avait de quoi surprendre quand une Camille avait acquis une notoriété en chantant la paix et l’amour, quand un Mathieu Kassovitz montrait et dénonçait dans ses films la violence de notre société. Dans toute personne il y a une face cachée qui peut être plus ou moins exécrable, chez Kassovitz cette face devait être importante parce qu’il m’a été décrit par les gens de la Cartoucherie qui avaient affaire à lui comme un personnage imbu de lui-même et n’acceptant aucune contestation (cela n’empêche en rien l’estime que j’ai pour quelques-uns de ses films !).

 

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Le problème pour Renaud et la Maison des Enfants c’est que cette histoire dérangeait fortement Ariane Mnouchkine qui avait eu vent de l’affaire. Or la présence de la Maison des Enfants dépendait encore d’Ariane, celle-ci tenant par-dessus tout à la réputation de l’ensemble de la Cartoucherie qui restait toujours son bébé. Renaud et Marion s’étaient débrouillés pour que je la rencontre autour d’un café. Je ne voyais pas trop bien en quoi je pouvais être utile mais rencontrer un mythe m’intéressait.

Arrivée d’Ariane Mnouchkine à la table où nous étions installés. Elle s’adressa à Renaud.

- Tu sais que je n’ai pas de temps à perdre. Je suis là pour quoi ?

C’était plutôt froid ! Renaud expliqua et me présenta. Je ne devais pas avoir beaucoup d’intérêt et n’ai pas pu placer grands mots. D’abord le personnage pensait tout savoir sur ce que devait être une école et ce n’était pas très éloigné de l’école conventionnelle. Manifestement, elle croyait connaître parfaitement la philosophie et le fonctionnement de l’école qu’elle avait permis de s’installer dans ce qui était devenu un peu son lieu, alors que tout aussi manifestement elle n’y avait jamais mis les pieds depuis que l’accueil avait été étendu aux plus de cinq ans. Diplomatiquement, je n’avais fait qu’approuver de hochements de tête les phrases quelque peu stéréotypées de quelqu’un qui sait. Ensuite, elle connaissait évidemment très bien le Mathieu Kassovitz et ses possibilités de nuisance, mais elle ne voulait pas s’en mêler, donc le fond du problème n’était pas l’école mais que cessent les rumeurs qui couraient avec la menace à peine sous-entendue qu’elle pouvait mettre fin au contrat de location. Point final ! J’avais vu un mythe s’écrouler.

Finalement, les deux trublions ont retiré leurs enfants de l’école faute d’avoir pu rallier à leur cause l’ensemble de la troupe.

Cette anecdote n’aurait pas d’intérêt si elle n'illustrait une des difficultés auxquelles se heurtent toutes les écoles alternatives, même celles qui sont dans les conditions les plus favorables. L’idéal démocratique et encore moins l’idéal libertaire sont encore loin d’être atteints, ceux-là mêmes qui les défendent ont des progrès à faire. Peut-être leurs enfants !

Prochain épisode : Clara Bellar,"Être et devenir", unschooling - épisodes précédents  L'alternative

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