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Je connaissais bien sûr la loi de Jules Ferry qui rendait l’instruction obligatoire, mais pas forcément l’école. Je savais bien qu’existaient des familles déscolarisant leurs enfants et pratiquant l’école à la maison (IEF). Depuis 2 012, après la parution de mon premier livre par l’Instant Présent, il y avait bien de ces parents lors de mes interventions. Mais je ne m’intéressais pas particulièrement à ce domaine de l’éducation, bien que j’avais cessé de croire possible une transformation radicale de l’école publique.

Lorsque les parents déscolarisent leurs enfants, soit ils se transforment en enseignants à la maison, soit ils pratiquent le unschooling. Alors le unschooling c’est quoi ? C’est simple : c’est pas d’école, mais pas d’école non plus à la maison à la maison. Les parents ne dirigent et n’imposent aucun apprentissage, mais aident les enfants qui s'y engagent. Ces apprentissages sont induits par la vie dans l’environnement où se trouve l’enfant (la famille), mais ce peut être aussi où se trouvent les enfants (l’école du 3ème type !). Mais tout ce qui est simple s’avère complexe lorsque l’on veut comprendre « pourquoi ça marche »..

2 014. Par l’intermédiaire de Claudia Renau, mon éditrice de l’Instant Présent, je reçus une demande d’une certaine Clara Bellar qui me proposait, après avoir vu la présentation de son film documentaire « Être et devenir », d’écrire une ou deux phrases de commentaire sur le document de présentation. Un autre enseignant du mouvement Freinet avait aussi été sollicité ; si deux instituteurs de l’école publique trouvaient le documentaire intéressant, cela pouvait élargir le public et laisser penser que ce n’était pas une attaque en règle de l’école publique !

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Clara Bellar, née en 1972, est une actrice qui depuis 1993 a tourné dans de nombreux films français et étrangers (entre autres A.I. Intelligence Artificielle de Steven Spielberg). Lorsque son fils approcha de l’âge d’être scolarisé, elle commença à s’inquiéter de ce qu’était l’école, ce d’autant que son métier imposait de fréquents changements de lieux de vie. Elle avait entendu parler du unschooling. Elle chercha donc à se renseigner sur ce que c’était. Pour ce faire, lorsqu’on passe sa vie devant ou avec des caméras, c’est avec cet outil que l’on se déplace ! D’où l’idée de faire de sa recherche un documentaire. C’est en France, aux États-Unis, en Allemagne et en Angleterre qu’elle alla interviewer et filmer des spécialistes des neurosciences, des familles pratiquant le unschooling et leurs enfants… il en est ressorti « être et devenir », et bien sûr elle ne scolarisa pas son enfant.

  Je me rendis donc à la présentation du film à Paris au cinéma St-André-des-Arts. Le film était effectivement très intéressant et qui plus est très bien réalisé. C’est vrai qu’au montage Clara Bellar en avait fait un éloge du unschooling, mais aussi et surtout pour moi, à travers de tous les témoignages il abordait de façon intelligente et non dogmatique toute la problématique des apprentissages. Autrement dit, je pensais qu’il pouvait apporter à la réflexion de tous les enseignants comme de tous les parents. Et puis, il se trouvait que quelques années auparavant j’avais été sollicité par Nicolas Philibert qui cherchait des classes uniques pour réaliser son film « Être et avoir ». Nous avions eu de longues conversations téléphoniques, mais finalement il n’avait pas retenu les classes uniques que je lui proposais parce que, me disait-il, si elles étaient formidables par contre elles étaient trop complexes pour être scénarisées. Il ne voulait pas faire un documentaire, mais un film à partir de la réalité d’une année de vie d’une classe unique étant un décor facile à filmer et avec quelques personnages simples pour bâtir une histoire. C’était bien un film ou l’instituteur et les enfants jouaient des scènes qui se rapprochaient de ce qu’ils vivaient dans le même environnement. Le film diffusé en salle eut beaucoup de succès, il a même eu un César. Mais pour moi c’était l’opposé de ce que nous faisions et défendions. Dans notre dernière conversation téléphonique après sa parution, comme je lui disais qu’in fine il desservait la cause des classes uniques, il était désolé et m’expliquait que si la critique l’avait transformé en documentaire, il n’y était pour rien.

J’acceptai alors la proposition de Clara et fit ce petit commentaire pour la publication de lancement :

« C’est un coup de poing dans les représentations que tout le monde ou presque a des apprentissages et de l’éducation ! Il est absolument à voir, autant par les enseignants que par les parents, sauf si on ne veut surtout pas être dérangé, troublé, sauf si on ne veut surtout pas s’interroger. »

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Cela aurait pu en rester là. Mais Clara me demanda d’animer un des premiers débats qui suivaient le film au cinéma St-André-des-Arts. À chacune de ces premières présentations il y avait une personnalité pour animer les débats, il y a eu entre autres Hubert Montagner, François de Closets, Antonella Verdiani, Jean-Pierre Lepri (que je connaissais depuis le procès d’Erwan et pour qui j’avais écrit la préface d’un de ses livres), Antonio Damasio,… bref que du beau monde, j’étais flatté ! Je m’y rendis.

Dans le public, s’il y avait beaucoup de parents intéressés pour leurs enfants par une autre approche de l’éducation, il y avait aussi des enseignants : soit ils étaient venus parce qu’eux aussi étaient en recherche d’une autre façon d’aborder les apprentissages, soit parce que, reniflant le danger que ce documentaire les mette directement en cause, il valait mieux savoir en quoi s’en tenir. Et leurs réactions pouvaient être violentes et pourrir le débat. Il est vrai que le chapôt de l’affiche « Et si nous faisions le choix de ne pas scolariser nos enfants ? », malgré sa forme interrogative et le choix qu’il impliquait, portait en lui-même la condamnation définitive de l’école. Le documentaire pouvait effectivement être attaqué et démoli à partir de quelques séquences, en particulier celle avec Arno Stern et son fils André. « Bien sûr, avec un père scientifique, une mère artiste, un piano dans la maison, un parc autour, plein d’autres intellectuels et artistes venant chez eux, les moyens de parcourir le monde… il n’avait pas de mal à faire ce qu’il voulait et à devenir musicien, luthier ou chef d’orchestre ! Ce n’est que pour les privilégiés, les Bobos ! Ceux qui ne veulent pas se mélanger au peuple !  Leurs enfants ne sont pas devenus éboueurs ! ».

2_1_1André Stern[1] avait bien suivi une route semblant tracée d’avance, et surtout il était devenu un brillant conférencier. Quant à son père Arno Stern, la séquence où on le voyait diriger l’atelier peinture qu’il avait instauré pour des enfants et expliquer l’intérêt qu’il y avait « d’apprendre » à peindre comme s’il avait découvert la poudre, il pouvait faire rire la plupart des enseignants Freinet ; comme « pédagogue innovant » il y avait mieux !  Cependant dans le film toutes les familles n’étaient pas celle-ci, beaucoup d’enfants étaient bien « du peuple ».

Clara était assez désarçonnée et embarrassée pour leur répondre. Mais l’instituteur public que j’avais été pouvait par contre leur répondre qu’il était tout à fait d’accord avec eux, mais que tout ce qui était évoqué à propos des apprentissages dans le film pouvait et devrait être pris en compte dans l’Éducation nationale et, justement, permis à tous les enfants du peuple… et que c’était ce que nous avions fait dans nos classes uniques de 3ème type ! Du coup le débat était remis sur ses rails et ce qui se faisait à l’école ainsi que sa finalité pouvaient être abordés.

Du coup, Clara me demanda de participer par la suite à une dizaine de présentations-débats, un peu partout jusqu’à Montpellier. À Montpellier ce fut à la fois intéressant et curieux. Intéressant parce que cela me permit de passer deux jours avec Clara, son compagnon brésilien et son fils et de mieux les connaître. Curieux parce que l’organisateur était une association de parents plus ou moins marginaux, dans la mouvance écologique, en tout cas voulant vivre autrement. Ils prônaient la liberté totale des enfants. Dans le lieu qu’ils avaient mobilisé pour deux jours, leurs enfants faisaient effectivement ce qu’ils voulaient, sans trop gêner les adultes. Mais la dernière soirée, les plus petits étaient manifestement fatigués, les plus grands commençaient à sérieusement s’ennuyer, beaucoup réclamaient de rentrer à la maison, l’ambiance était quelque peu électrique, il y avait des cris, des pleurs. Je pensais que leurs parents allaient s’en rendre compte et leur permettre de retrouver la quiétude de leur maison. Pas du tout ! Ils continuaient leurs discussions puisqu’eux étaient là pour cela, c’était leur liberté. C’est moi qui sous prétexte de mon âge demandai à être ramené à mon hébergement.

Même si « être et devenir » n’a pas fait partie des films programmés en salles, il a fait une multitude de projections privées et ceci dans une quarantaine de pays.

Mon espèce d’intrusion improbable sur la planète du unschooling m’a entrainé dans d’autres lieux, en particulier à Luxembourg et à Strasbourg où je rencontrai des personnages du documentaire comme Alan Thomas.

Prochain épisode : Colloque européen à Luxembourg "L'éducation alternative et démocratique". - épisodes précédents - L'alternative

[1] Par la suite j’ai croisé André Stern à plusieurs occasions. Certes c’est un garçon sympathique, élégant et brillant. Certes il a bien été luthier, un métier manuel, mais il était surtout devenu un conférencier réputé, surtout en Allemagne… et fort cher ! Toutes ses conférences concernaient l’enfance et André était considéré comme un « militant » de l’enfance, mais lorsque le militantisme devient très lucratif, cela m’a toujours gêné. Les Albert Jacquard qui venaient faire gratuitement des conférences aux collégiens sont rares.