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Le blog de Bernard Collot
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9 février 2023

1940-2021 (193) - 2015 L’écovillage de Pourgues

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Village : groupe d'habitations assez important pour avoir une vie propre

J’avais connu dans les années 70 les embryons de villages naturistes organisés de façon collective et libertaire. Mais ce n’était que pour y vivre les WE ou les périodes de vacances. J’ai découvert l’écovillage de Pourgues en 2019 lorsque Ramin Faranghi nous invita Thierry Pardo et moi à animer chacun une journée d’un stage intitulé « la permaculture éducative ».

Ce que les enfants pouvaient vivre à l’école dynamique, pourquoi les adultes ne pourraient-ils pas s’en inspirer et le vivre aussi ? Il était impossible que cela ne germe pas dans l’esprit de Ramin Farhangi. Avec sa compagne Marjorie et quatre autres personnes, ils cogitèrent pour le réaliser… et ils le réalisèrent.

Comme pour les écoles alternatives, il fallait qu’ils trouvent le lieu, mais cela prenait une autre dimension. En 2 017, ils trouvèrent au sud de Toulouse une immense propriété de 50 ha avec une grande bâtisse qui avait été un centre d’accueil (nombreuses salles, cuisine collective…), une petite maison individuelle, un ancien bâtiment agricole… Le lieu rêvé.

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 On imagine le coût d’une telle propriété : un million d’euros ! Une première mise en commun de tous les fondateurs plus quelques autres qui les rejoignirent permit de réunir plus de la moitié de la somme, le reste par divers emprunts. Chacun y mit… tout ce qu’il avait ! Les uns beaucoup comme Ramin qui avait eu dans sa vie précédente une situation brillante, d’autres moins, d’autres presque rien. La mutualisation des moyens et le principe de l’égalité parfaite : ce n’était pas parce que les uns avaient apporté plus que les autres (pouvoir de l’argent) qu’ils avaient une position privilégiée dans le lieu ou plus de pouvoirs dans les décisions. Ils avaient éliminé la plaie de nos sociétés. D’autre part c’était aussi l’abandon de la vie antérieure, l’impossible retour en arrière immédiat puisque chacun n’avait pratiquement plus rien. C’était bien monter dans un bateau et larguer les amarres.

Une fois le lieu acquis, restait à inventer un fonctionnement collectif horizontal respectant les individualités, à organiser l’habitat, à obtenir l’autonomie de subsistance et financière (les charges d’un tel lieu sont importantes). 

Le fonctionnement. Si dans les écoles démocratiques la vie pendant le temps de présence est régulée par deux instances (conseil d’école, conseil de justice), lorsqu’il s’agit d’une vie permanente d’adultes et d’enfants et qu’une multitude de tâches et de décisions sont nécessaires pour assurer la subsistance, la viabilité et la pérennité du lieu, c’est beaucoup plus complexe. Comme je l’avais vu pour beaucoup d’écoles démocratiques et alternatives, il y avait bien eu un cadre de départ qui a beaucoup évolué ensuite suivant ce qui s’avérait inutile ou pesant et ce qui s’avérait nécessaire. Bien sûr il y a les théories de la sociocratie, de l’holacratie, mais ce ne sont que des théories.

Le tâtonnement expérimental social de Pourgues les avait amenés à créer ces instances : un conseil de village, un comité d’enquête et d’arbitrage, des cercles restauratifs, des réunions de gestions par tensions opérationnelles, les décisions étant prises par sollicitation d’avis. Les appellations sont quelque peu rébarbatives et je ne voyais pas trop ce qui pouvait s’y passer. Plus classique, la réunion du jeudi matin concernait les décisions formelles à prendre dans l’autogestion matérielle et administrative d’un écovillage. Pendant les quatre jours passés là-bas, j’ai eu la chance d’assister à un de ces moments que Ramin appelait « la régulation des tensions ».

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Cette réunion n’était pas prévue dans le dispositif démocratique de départ et sa nécessité n’est apparue qu’ensuite dans le vécu commun. David et Ramin me l’ont répété, ce moment du lundi matin était devenu indispensable et fondamental dans la vie de la communauté. Comme dans nos classes uniques, cette réunion était un peu la clef de voute de la structure dissipative du système vivant qu’était bien Pourgues. En y assistant, je n’avais pu m’empêcher de revoir nos réunions d’enfants. Certes, elle était beaucoup plus structurée et régulée qu’étaient les nôtres, elle suivait des modalités plus précises qui avaient évolué et que le secrétaire de séance rappelait rapidement chaque fois pour éviter le délitement, mais les enjeux étaient aussi plus grands puisque le vivre ensemble ne concernait pas qu’une tranche de la vie quotidienne.

Cela commença par les tensions propres à chacun. Dans la vie courante, la conversation commence presque toujours par « Bonjour. Comment ça va ? » On profère sans arrêt cette expression sans jamais attendre autre chose que « oui ça va ! » et on serait bien embarrassé si l’autre répondait « ça ne va pas du tout, je ne suis vraiment pas bien en ce moment ! » Et bien c’était par le « ça va pas ! » de quelques-uns que commença la séance. Lorsqu’on me demandait à quoi servaient nos réunions, je répondais qu’il fallait d’abord et avant tout qu’elles permettent à chaque enfant d’acquérir une telle confiance aux autres qu’il puisse exprimer et confier aussi bien ce qui l’avait enthousiasmé que ce qui l’avait perturbé, fait souffrir. Pouvoir se laisser aller à rire ou à pleurer devant les autres, laisser surgir ses émotions qu’habituellement on dissimule. Oser apparaitre aux autres, pouvoir dire, sans forcément attendre des autres, mais savoir que les autres peuvent comprendre, vous ressentir ; c’est ce qui vous fait exister tel vous êtes et exister un groupe, lui-même « être vivant ». Tout le reste vient après. Mais, honnêtement, je n’aurais jamais cru des adultes capables de cela. J’avoue avoir été très ému par ces personnes qui osaient être authentiques, acceptent l’authenticité des autres, étaient libres d’être. Un autre monde commencera par cela.

Puis il y a eu la régulation des tensions nées des relations dans la vie de la communauté. C’est presque toujours un détail inaperçu, paraissant anodin ou normal à celui qui en est l'origine, qui perturbe le fonctionnement naturel du système vivant, induit un malaise général dont on ne perçoit pas la source, provoque le mal-être voire la souffrance de quelques-uns incompréhensible pour les autres si cela n’a pas été exprimé. Il y avait d’ailleurs eu un exemple flagrant au cours d’un des trois jours de la formation à la permaculture éducative et cela avait été l’enseignement majeur et imprévu de la journée dont j’avais été chargé. D’où l’importance de l’instauration systématique de ce second moment des régulations des tensions. Ramin nous avait interpelés au cours de sa journée d’intervention sur la maturité. Et bien, j’ai été étonné par la maturité atteinte par le groupe et par chacun dans le groupe (il y a toujours interaction entre un groupe et les individus de ce groupe). Un de ces « détails » avait été évoqué tranquillement dans la séquence de ce lundi : dans le fonctionnement du groupe, il y avait eu un petit accroc par l’un des membres à ce qui se passait habituellement, sans que cela paraisse anormal à son auteur. Mais ce détail avait fortement choqué un autre membre. Ce dernier l’avait exprimé directement au provocateur de son trouble qui avait pu saisir ce qu’il avait involontairement provoqué, en donner les raisons événementielles qui n’excusaient rien mais qui expliquaient. Du coup, d’autres avaient réagi, la solution à ce qui n’était plus alors qu’un dysfonctionnement avait été vite trouvée. La qualité du lien qui relie deux personnes comme celle des liens qui relient tout le monde n’avait pas été écornée ou avait été retrouvée. Le lien n’implique pas que l’on doive « aimer » tout le monde mais que l’on doit reconnaître et être reconnu, ce qui est peut-être moins facile ! Ce sont bien les liens relationnels qui font qu’un groupe peut exister et agir comme une entité, tout le reste est secondaire.

Dans ces deux premiers moments de la réunion, c’était l’indispensable écoute qui s’affirmait et s’affinait sans cesse. Pas l’écoute avec seulement ses neurones, mais celle qui inclut l’affect, l’affect que généralement on enfouit dans sa poche avec son mouchoir par-dessus.

Après tout fut facile : les tensions causées par l’organisation matérielle (les portes qu’on ne ferme pas, des charges assurées par les uns qui deviennent trop lourdes…), les tensions provoquées par les projets dont on ne sait pas s’ils pourront s’insérer dans l’espace de la communauté, ceux qui avaient été annoncés et qui avaient semblé rencontrer de l’indifférence, etc., etc.

Je voyais réellement palpiter le cœur de Pourgues.

Tout n’était pas forcément réglé ou abordé. Dans la marmite d’une réunion, c’est l’alchimie de la maturation qui s’opère ou est relancée. Le secrétaire notait tout sur l’ordinateur qui mémorise pour tout le monde un moment qui se situe dans le continuum de la vie (l’informatique a des avantages !). Rien ne pourrait être oublié ou mis de côté pour le lundi suivant.     

Il y avait aussi les outils permanents simples qui permettent l'autogestion et l’autorégulation de l’activité globale d’un système vivant et de chacun dans ce système, outils très semblables à ceux que j’avais vu utiliser dans la rencontre autogérée des 3ème types à Sault-Brénaz ou autrefois dans nos classes uniques (panneaux où l’on voit qu’untel s’est inscrit pour se charger tel jour de l’accueil, qu’il manque quelqu’un pour la cuisine, qu’un appel est fait pour aider à l’organisation de ceci ou de cela, etc.) Naturellement, des collectifs qui s’ignorent les uns et les autres arrivent à créer des outils pratiques semblables pour permettre l’autogestion sans contraintes. C’est lorsqu’il y a convergence des tâtonnements paysans et de leurs effets que l’agronomie de l’humain peut dire qu’il y a des pratiques utiles et les conseiller.      

L’habitat

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Il avait fallu, avec les bâtiments d’origine et ce que les habitants n’ont cessé de construire, concilier ce qui était collectif avec l’habitat individuel permettant aux uns et aux autres d’avoir une vie autonome.

Le rez-de-chaussée du bâtiment principal était consacré à l’accueil, à la gestion et à l’administration, à la cuisine, aux salles où l’on pouvait se réunir, manger, jouer du piano… ainsi que des bureaux pour la gestion. La longue avancée était beaucoup utilisée lorsque le climat le permettait.

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La cuisine était la pièce maîtresse du rez-de-chaussée, peut-être aussi du village : des espèces sont devenues sociales pour assumer plus efficacement en commun deux besoins essentiels, s’abriter et se nourrir. Dans les villages ordinaires, les habitants se sont regroupés sur un territoire favorable à ces deux besoins mais chacun se débrouille pour les assurer (une des sources des inégalités !). À Pourgues c’était vraiment la communauté qui les assumait, mais comment concilier ce qui est l’intérêt collectif et ce qui est l’intérêt individuel ?

Lorsque je visitais des écoles, rien qu’en voyant comment se passaient l’entrée, la sortie ou la récré j’avais une idée de ce qu’elle était. À Pourgues c’était la cuisine et elle était le témoin du point de complexité auquel était arrivée la communauté. La simplexité : tout paraissait simple, naturel, alors qu’il m’était impossible de percevoir comment cela pouvait l’être.

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Elle n’était pas très grande, mais il fallait qu’elle serve à la fois collectivement et individuellement, réponde à des rythmes différents, des goûts et des besoins différents… tout en ne pouvant permettre à chacun d’y faire ce qu’il voulait, quand il voulait, comme il voulait. On aurait pu penser que le plus efficace aurait été de faire une cantine : tout le monde y vient manger à la même heure le repas préparé par une équipe. C’était ce qui se passait plus ou moins pour les participants à des stages, à des formations, ou lorsqu’il y avait des vacanciers. En dehors de ces périodes, c’était étonnant : un villageois se préparait un repas et d’autres arrivaient et s’installaient à sa table, d’autres préféraient manger seuls chez eux, un autre avait préparé ce qu’il aimait à disposition de tous, etc. Dans l’après-midi, la cuisine était nickel sans que je comprenne bien comment cela était advenu.[1] L’anarchie est l’organisation la plus sophistiquée de la vie disait Edgar Morin. Je l’avais sous les yeux.

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À l’étage il y avait la bibliothèque et des chambres pour héberger des stagiaires ou d’autres personnes. Dans le grenier aménagé, c’étaient de grandes pièces où pouvaient se dérouler les diverses formations qu’organisait le village.

Pour l’habitat individuel, des villageois avaient un petit appartement à l’étage. Deux familles étaient installées dans deux petites maisons indépendantes. Les autres villageois avaient créé leur propre habitat. Ramin, Marjorie et leur enfant habitaient dans une roulotte. Lors de mon séjour, un jeune homme construisait sa propre géode. Les constructions de yourtes étaient aussi privilégiées. Les endroits où les implanter étaient assez disséminés dans la verdure autour du bâtiment principal, il fallait cependant que d’une part l’ensemble des villageois n’y voie pas une objection motivée, d’autre part que cela soit compatible avec les lois et règles qui régissent toute construction. Ce n’était donc pas tout à fait sauvage.

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Un bâtiment était crucial pour le village, celui de l’atelier et des travaux agricoles. Pourgues est un village en construction et en évolution permanente. Toutes les compétences que nécessite la vie pratique non seulement y sont mises à contribution mais chacun les acquiert.

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« L'art c'est la plus sublime mission de l'homme, puisque c'est l'exercice de la pensée qui cherche à comprendre le monde et à le faire comprendre », Auguste Rodin. À Pourgues, comme les enfants, tout le monde était artiste, pouvait l’être. Musicien, poète, troubadour, sculpteur, peintre, écrivain, comédien… L’équilibre nécessaire entre le yin (l’art) et le yang (le pratique) !  Il fallait bien une scène, non seulement pour les enfants et les villageois mais aussi pour recevoir d’autres artistes.

 

Les moyens de l’autonomie.

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Assurer l’autonomie de subsistance d’une microsociété c'est bien sûr se nourrir. La cinquantaine d’hectares devait assurer l’essentiel pour une quarantaine d’habitants. Mais ces habitants étaient pour la plupart ce que l’on appelle des néoruraux ! Dans un groupe, il y a nécessairement celles et ceux qui ont des appétences à bricoler, d’autres à construire… d’autres à cultiver. Ce sont ces derniers qui ont donc commencé à créer non pas un jardin mais des jardins. Ce qui était vraiment particulier à Pourgues c’était cette conciliation entre les intérêts et les initiatives individuels d’une part, avec l’intérêt collectif d’autre part. Ainsi tel jardin était celui de untel ou unetelle (son jardin !), ce qui voulait dire que c’était lui ou elle qui l’avait commencé suivant les idées qu’il ou elle avait et à sa façon, qui avait choisi l’endroit qui lui semblait intéressant, celui ou celle dont il était une des préoccupations quotidiennes. Il avait suffi que le collectif constate que l’endroit choisi ne gêne personne. Mais, n’importe quel autre villageois pouvait aller l’aider, s’y impliquer aussi, et surtout aller y ramasser des légumes pour son repas tout comme les différentes productions des différents jardins alimentaient la cuisine collective. Notre Joseph Proudhon aurait jubilé ! 

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Le maraichage ne suffisait pas. Le foin pour les animaux, des céréales pour la paille et les volailles, les récoltes importantes de pommes de terre, la coupe du bois pour le chauffage ou la menuiserie, le creusement d’un étang… bref tout ce qui se faisait dans les fermes des paysans d’autrefois et qui n’était pas destiné à être vendu. Pour cela, décision, organisation, réalisation c’était l’affaire du collectif. Comme autrefois avec les voisins participant aux moissons, aux battages, aux vendanges, chaque fois que cela demandait la participation de tout le monde c’était aussi la fête.

 

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Le village ne pouvait produire tout ce qui lui était nécessaire, tout au moins pas encore. Même si l’ingéniosité de chacun permettait d’inventer d’autres façons de se passer des énergies classiques, il y avait toujours besoin des énergies classiques et beaucoup de besoins ordinaires devaient être trouvés dans l’économie ordinaire. D’autre part il y avait toutes les charges qui pèsent sur toute propriété y compris collectives, sur toute entreprise : impôts, taxes, achats de matériel… Il fallait donc qu’il y ait des ressources financières. Cela avait été l’expérience même qui était vécue qui avait été cette source, ce d’autant qu’aujourd’hui il y a une demande grandissante du « comment vivre autrement ». Et puis la fonction même des installations avant leur achat était déjà l’accueil. Naturellement, le village s’était lancé dans l’organisation de stages, de formations concernant les domaines les plus variés, de la permaculture à l’éducation en passant par la construction d’habitats légers, les organisations sociales et démocratiques, le développement personnel, le yoga, l’art, etc. On pouvait même s’offrir des vacances intelligentes dans ce qu’ils appelaient des « séjours immersifs » où l’on pouvait participer librement à leurs activités. Ramin et d’autres étaient sollicités ailleurs pour donner des conférences rémunérées. Si bien que le village avait atteint l’autonomie financière.

Ce qui était proposé avait une valeur d’utilité sociale, ce qui devrait être le seul critère justifiant l’attribution d’une valeur chiffrée à n’importe quel travail, à n’importe quelle production, à n’importe quel service proposé. Naturellement, de par la vie du village qui intégrait tout ce qui se développait dans le vaste mouvement alternatif, dans le domaine de la culture, de la santé et des médecines douces, de l’agriculture… les activités n’ont cessé de se diversifier et d’attirer celles et ceux en soif d’apprendre ce qui pouvait les aider à vivre autrement. Café culturel, centre de thérapeutes, ferme pédagogique… Une sorte d’université pour un Nouveau Monde. 

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Et les enfants ?

Ce sont bien les enfants des écoles démocratiques qui ont inspiré Ramin et Marjorie pour le projet de Pourgues. La question que je me suis bien sûr posée lorsque j’y suis allé c’était « est-ce que dans le village il y a une école ? » Évidemment, je n’en avais pas vu ! Mais j’avais bien vu des enfants de tous âges (une quinzaine sur la quarantaine d’habitants). Je pouvais imaginer des enfants d’une immense famille en vacances dans un domaine de 50 ha !

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J’avais été étonné lorsqu’on m’avait expliqué qu’au début des plus grands avaient demandé d’aller à l’école publique du Fossat (Pourgues fait partie de cette commune) … et qu’ils y avaient été puisque c’était leur liberté. Leurs parents avaient cependant négocié leur inscription avec les enseignants en les prévenant que peut-être des jours leurs mômes auraient d’autres envies que d’aller à l’école, que personne ne les obligerait à faire des devoirs… Trop contents de voir leurs effectifs gonfler un peu et sûrement intelligents (il y en a chez les enseignants !) cela avait été accepté par les instituteurs. Puis rapidement plus aucun n’avait réclamé d’aller à l’école, il y avait bien trop de choses intéressantes à faire au village.

Dans une école du 3ème type, parce que nous l’avions constaté, nous partions du principe que la construction de tous les apprentissages s’effectue naturellement dans les innombrables interactions pouvant avoir lieu avec l’environnement physique et social. Ce que la plupart des enfants n’avaient pas dans leurs familles et là où ils vivaient, il fallait donc que l’école le leur offre ce qui à mon sens justifiait encore son existence.

Toutes les conditions qui rendent le unschooling naturel, Pourgues les avait.

Environnement social. Des enfants de tous âges. Des adultes occupés dans toutes les activités intellectuelles, manuelles, agricoles, scientifiques, artistiques… qui font ce qu’est l’activité humaine et pour lesquelles se développent toutes les compétences, savoirs et savoir-faire dont on a besoin. Des adultes bienveillants, attentifs, disponibles à toutes les demandes, appels à l’aide… Les enfants pouvaient tout faire, s’essayer à tout faire, participer avec eux à de nombreuses activités s’ils le voulaient.

 Environnement physique. 50 ha de prés, bois, étang… Aujourd’hui où une certaine mode préconise l’école en forêt, on ne peut faire mieux. Mais dans cet environnement physique, les enfants y étaient en liberté et chez eux ! Les locaux eux-mêmes, dont ils avaient le même accès que les adultes, leur permettaient tous les « faire » imaginables. Trouver des livres dans la bibliothèque, écrire, peindre, faire de la musique, bricoler, expérimenter… Pour les enfants, tout n’est que jeu, que ce soit sérieux, utile ou non. On peut dire qu’un adulte qui fait quelque chose qui l’intéresse et qu’il y éprouve du plaisir, il joue lui aussi. Lorsque l’on sait que l’insatiable curiosité des enfants est le moteur de tous leurs apprentissages, vous imaginez à quel point elle pouvait être sollicitée.

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Et le risque s’égosilleront les forcenés du sécuritaire ? D’une part l’apprentissage au risque est naturel lorsque l’on vit en permanence avec d’autres dans un environnement où il existe : un petit citadin dans la forêt vierge serait condamné alors que les enfants des tribus amazoniennes y sont comme des poissons dans l’eau ! Et puis des adultes étaient partout dans cet environnement et étaient tous attentifs aux enfants. J’ai raconté que dans ma classe unique, lorsque des enfants partaient seuls ou à plusieurs faire des enquêtes, j’étais tranquille : les lieux, ils les connaissaient et surtout l’école étant devenue l’école du village, que tout le monde y tenait en sachant ce que nous y faisions, pour beaucoup de ses habitants ils étaient devenus un peu leurs enfants et ils veillaient gentiment sur eux même s’ils n’étaient pas leurs parents.

Je n’étais pas resté longtemps à   Pourgues et je n’y avais pas été invité pour observer les enfants, ce qui fait que je n’avais pas suffisamment pu percevoir comment s’était instauré et organisé cette vie enfantine paraissant si naturelle et harmonieuse avec les adultes. Y avait-il des réunions spécifiques des enfants ? Y en avaient-ils qui participaient aux réunions des adultes dont j’ai parlé ? Organisaient-ils entre eux des activités collectives ? Des adultes leur proposaient-ils des activités plus ou moins collectives et dites éducatives ? Etc. J’ai appris qu’aujourd’hui d’autres enfants venant de l’extérieur viennent passer des journées avec ceux de Pourgues, que quelques villageois se mettent des journées à leur entière disposition…

Tout parait simple, est simple mais recouvre ou permet une effarante complexité. Comment cette complexité a-t-elle pu advenir ? Dans ce que narrent Ramin et d’autres sur l’aventure de Pourgues ce point des enfants n’est pas tellement évoqué et pourtant c’est presque l’essentiel de sa réussite.

Aux yeux de la loi, les familles de Pourgues pratiquent l’IEF, l’instruction en famille. Depuis quelques années, si l’État ne l’a pas encore interdit il y met tellement de conditions, soumet les familles à de tels contrôles ceux-ci étant effectués par les inspecteurs de l’Éducation nationale qui ne connaissent que ce qu’ils exigent dans l’école publique, déscolariser ses enfants est devenu héroïque. Pourgues n’étant pas une école, c’est chaque famille qui est contrôlée. Jusqu’à aujourd’hui, ces inspections se sont passées plus ou moins bien mais aucune famille n’a encore reçu une injonction à scolariser leurs enfants.

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Cependant, devant ce qui est une insupportable atteinte à la liberté, aux droits de l’homme et aux droits des enfants dans des déclarations et chartes signées par l’État français, Ramin et Marjorie ont décidé d’entrer ouvertement en désobéissance civile. Par courrier aux autorités académiques, dans des conférences de presse, dans la presse, ils ont publiquement annoncé « que, pour notre enfant, nous avons volontairement et illégalement omis d’émettre une demande d'autorisation de l'instruire en famille, et omis de le scolariser à la rentrée de septembre, tout en vous affirmant notre désobéissance à la nouvelle loi et son application à plusieurs reprises afin de signifier notre contestation de cette loi, largement démontrée comme inutilement liberticide. » À leur suite, d’autres familles en France se sont aussi officiellement déclarées en désobéissance civile.

Il existe d’autres écovillages, j’aurais eu 10 ans je serais allé les voir parce que ce qui m’avait particulièrement intéressé à Pourgues c’était de percevoir comment ils pouvaient arriver à créer une microsociété conçue selon des principes et des logiques à l’opposé du système dans lequel nous sommes englués et dont on commence à savoir qu’il est condamné. À ma connaissance Pourgues est le seul qui communique en temps réel sur les réseaux sociaux les questionnements qui surgissent au fur et à mesure de l’évolution du village, les difficultés humaines rencontrées et les essais pour les résoudre. L’autocritique est rare. Comme pour les écoles du 3ème type ce n’est pas un modèle quelconque, aussi magnifique soit-il, qui est utile, mais le cheminement qui a pu l’y conduire en sachant qu’un état atteint n’est jamais définitif. Toute la société va avoir bigrement besoin de ces expériences en prévision de son écroulement annoncé.   

 NB : je n’avais pas d’appareil photo. Toutes les photos du chapitre sont extraites de la page de Pourgues sur Facebook.



[1] Dans les années 80, j’avais vu quelque chose de semblable dans une petite communauté de la Vienne. Mais elle était constituée seulement de quatre familles (dont celles de trois sœurs), ne vivait pas de ce qu’elle produisait, la plupart des adultes ayant un travail extérieur rémunéré.

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