Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog de Bernard Collot
Le blog de Bernard Collot
Derniers commentaires
22 février 2023

1940-2021 (198) - 2018, 2019, Les Gilets jaunes

Encore moins qu’en mai 68, absolument personne, surtout les gouvernants, les partis politiques ou les syndicats, ne s’attendait à ce qui allait se passer, ce d’autant que tout est parti d’une petite augmentation du prix des carburants et… d’une simple petite bonne femme, qui plus est noire et avec un nom qui ne sonnait même pas français ! Priscillia Ludosky. Étonnant dans un pays où la bagnole a toujours été l’affaire des mâles, signe de leur virilité.

gilets-jaunes-la-strategie-a-part-de-priscillia-ludosky-discrete-porte-parole-du-mouvement_1

Le 29 mai 2018, Priscillia publie une pétition en ligne contre la hausse de la taxe sur les carburants. Mais elle allait beaucoup plus loin puisqu’elle justifiait la revendication par la dénonciation des inégalités sociales et assortissait la baisse des taxes sur les produits de première nécessité à la mise en place d’un référendum d'initiative citoyenne, à la baisse des rentes et des salaires des hauts fonctionnaires et des élus ! Certes, les automobilistes se plaignaient depuis longtemps d’être « la vache à lait » des finances publiques, mais Priscilla replaçait cela dans un contexte politique beaucoup plus vaste. 

La pétition lancée en mai (les gouvernements devraient toujours se méfier du mois de mai !), ce n’est qu’en octobre que la sauce a pris sur les réseaux sociaux avec plus d’un million de signatures. Ah ! Les réseaux sociaux ! Ceux qui comme moi au début du numérique pensaient qu’ils allaient redonner du pouvoir aux peuples pouvaient jubiler. Les réseaux sociaux effacent les situations sociales et les pouvoirs qui y sont associés puisque tout le monde peut s’y exprimer de la même façon. Et cela a cogité ! Si bien, sans que l’on sache vraiment comment, il fut décidé d’abord le blocage des ronds-points, puis les manifestations tous les samedis. L'idée du gilet jaune fut lancée par un certain Ghislain Coutard dans une vidéo publiée sur le réseau social le 24 octobre en prévision des premières manifestations du 17 novembre : « On a tous un gilet jaune dans la bagnole ». L’idée était géniale, d’abord parce que ce gilet était lié à la voiture, ce qui parlait à tout le monde, ensuite parce qu’il y avait un côté ludique et narquois et il devint un signe de ralliement qui dépassa même nos frontières. Au début, même à Sancerre on en vit portés dans les voitures, dans le magasin carrefour. Il est vrai que tout le monde aurait apprécié cette baisse des prix de l’essence, ce n’était pas révolutionnaire.

Comment se sont organisés les premiers blocages de ronds-points un peu partout alors qu’il n’y avait pas de structure qui donnait de mots d’ordre ? Encore les réseaux sociaux ! Ils ont certainement été le phénomène le plus important de toute cette période parce que démontrant qu’un groupe humain peut parfaitement s’autostructurer, s’auto-organiser sans être encadré et dirigé. Ce qui échappait à toutes les analyses, c’était cette auto-organisation spontanée sur les réseaux qui s’étoffait ensuite directement sur les ronds-points. Impossible de repérer qui en était à l’origine et s’il y avait un « qui ».

depuis-9-h-ce-samedi-matin-une-centaine-de-gilets-jaunes_4311884_1

Le gouvernement ne s’est pas trop inquiété des premiers blocages sur les ronds-points : les automobilistes bloqués n’allaient certainement pas apprécier longtemps et le pouvoir allait avoir l’occasion de brandir le trouble à l’ordre public et faire intervenir sa police avec l’approbation d’une majorité de la population. Mais ces premiers blocages, non seulement se passaient dans une ambiance bon enfant mais étendaient encore le mouvement. Bien sûr, les forces de l’ordre en délogèrent… qui allaient se reconstituer au rond-point suivant. Et puis assez vite s’il y a toujours eu l’occupation des ronds-points par contre la circulation n’était plus bloquée.

5edf713413bc5_evacuation_de_gilets_jaunes_sur_rond_point_de_cesson_sevigne-4007305

 

Et c’est à ce moment qu’ils sont devenus les plus dangereux pour l’État. Alors que l’occupation des ronds-points ne bloquait plus rien, n’occasionnait aucun trouble à l’ordre public, ne lésait aucun propriétaire, c’est à ce moment que leur évacuation devint la plus féroce.

 

 

image_1

En fait, les ronds-points étaient devenus les lieux où toute une frange de la population se retrouvait. Cette frange habituellement condamnée au « métro, boulot, dodo », considérée par le président Macron comme « les gens de rien », y retrouvait chaque samedi une humanité où tous se considéraient, où l’on pouvait se parler, se raconter, s’entraider, comparer et analyser les situations des uns et des autres, partager informations idées… autrement dit, réfléchir. Réfléchir et en même temps concevoir comment tout cela pourrait être autrement, et l’impensable comme par exemple le RIC (référendum d’initiative citoyenne) devenait une des revendications principales.

 

1200x680_gilets-jaunes-rouen_1

Tout ceci en faisant de l’austérité d’un rond-point un endroit où l’on pouvait vivre dans la convivialité, partager des repas, aménager une cabane, voire y dormir pour certains. On comprend à quel point les ronds-points devenaient dangereux. 

 

 

Le gouvernement croyait s’en être débarrassé. C’est alors qu’ils se transformèrent en « assemblées citoyennes » allant s’installer légalement comme des associations classiques dans les petites villes.

lecture_de_l_appel_v_1_1

La plus connue et celle qui aurait pu être le nœud d’une vaste révolution (et qui a failli l’être) fut l’assemblée citoyenne de Commercy. Profitant intelligemment des moyens de communication, elle fit des vidéos de leurs séances et des appels qu’elle communiquait. Ces vidéos étaient vraiment émouvantes et m’ont beaucoup ému. On y voyait ces citoyens, comme vous et moi, débattre simplement et, sans faire appel à des spécialistes de la communication, expliquer comment notre société pourrait enfin appartenir au peuple. J’y revoyais tout ce que nous avions vécu tranquillement avec les enfants de nos classes uniques du 3ème type[1]. J’espère que dans des dizaines d’années des historiens pourront les retrouver et comprendre ce à quoi nous étions passés à côté. Comme d’autres assemblées citoyennes fleurissaient, celle de Commercy organisa la première assemblée des assemblées. Je ne pouvais pas ne pas penser à l’écriture des cahiers de doléances et aux États généraux de la Révolution de 1789. Ces assemblées devenaient de véritables « ateliers constituants ». Un des principaux sujets qui en émergeaient avait été le RIC.

RIC_1

Le référendum d’initiative citoyenne a beaucoup embarrassé les partis politiques de gauche et tous les intellectuels prétendant savoir ce qui était bon pour le peuple mais dont celui-ci ne pouvait être l’instigateur. Penser donc : les citoyens pourraient être à l’origine de l’organisation politique et sociétale qu’ils veulent, pourraient révoquer les élus qui s’avéreraient non conformes aux promesses sur lesquelles ils avaient été élus, quelle horreur !  Les Gilets jaunes ont eu l’aide d’un personnage dont personne ne savait trop d’où il venait : Etienne Chouard. 

image (1)

Etienne Chouard n’était qu’un simple blogueur, professeur d'économie-gestion puis de droit fiscal dans un lycée technique. Dans son enseignement et à titre personnel, c’était surtout un passionné des organisations politiques et de leur histoire. Il s’était un peu fait connaitre au moment du référendum sur la constitution européenne et avait fait partie des blogueurs qui nous avaient aidés à comprendre à quelle sauce nous allions être mangés. Décortiquant les supercheries de notre pseudo démocratie, il commença à être invité par des journalistes comme Daniel Mermet dans « Là-bas si j’y suis » (que j’écoutais !) ou Daniel Schneidermann dans « Arrêt sur image » (que je regardais !). Il devint le seul non-universitaire, parlant une langue compréhensible,à être lu, écouté et demandé dans toute la frange plus ou moins radicale, plus ou moins gauchiste, plus ou moins libertaire. De plus, aucune ambition personnelle ou politique, ce qui ne pouvait que rendre soupçonneux l’establishment intellectuel qui chercha tout ce qui pouvait lui nuire dans la moindre de ses relations qui pouvaient faire croire à des accointances avec l’extrême droite. Toujours est-il qu’il participa à fond au mouvement des Gilets jaunes et anima de nombreux débats, en particulier ceux des assemblées des assemblées citoyennes de Commercy devenant une « assemblée constituante ». Il « anima », c’est-à-dire qu’il éclaira et aida lesdits citoyens à construire eux-mêmes leurs propositions. Il ne pouvait que me plaire ! Si bien qu’entre autres le RIC devint plus qu’une simple revendication mais une proposition.

Et les manifestations ?

manifestation-gilets-jaunes-Paris-copy_1

Là aussi ce fut la surprise. Le 17 novembre 2018, le périphérique parisien fut bloqué et une manifestation non déclarée se déroula sur les Champs-Élysées et se dirigea vers le Palais de l'Élysée avant d'être bloquée par les forces de l'ordre. Cela devenait sérieux ce d’autant que les sondages démontraient que les Gilets jaunes étaient soutenus par une très grande majorité. Les chiffres du nombre de manifestants du ministère de l’Intérieur avaient beau être truqués d’une manière éhontée, les images de la télévision étaient là. Quant à « qui étaient les manifestants ? », c’était aussi la surprise parce qu’il y avait tout le spectre social, manifestement une bonne partie participait à sa première manif, certains venaient même en famille.  Comme un rendez-vous, ce fut partout intensément tous les samedis jusqu’à la fin juin 2 019. Et puis…

Comment un mouvement d’une telle ampleur et d’une telle durée a-t-il pu ne pas aboutir ? C’est vrai que l’aboutissement logique ne pouvant être qu’une démission des pouvoirs exécutifs et législatifs, la petite revendication qui l’avait déclenché étant dépassée depuis longtemps, il y eut la peur du vide, accentuée par l’absence de soutien de tous les partis politiques.

BCKIJQZUL3XXEJLMAZS2RI7ONU_1

Mais surtout ce fut la répression quasiment sans limites dirigée par le préfet de police de Paris, Lallemand, les autres préfectures et le ministère de l’Intérieur, complaisamment aidés par les images soigneusement sélectionnées par les médias mainstream. Tous les Gilets jaunes étaient pourtant foncièrement pacifiques.

Il fallait une raison pour justifier la répression. Celle-ci a été offerte par « les casseurs » quasiment professionnels : les blacks blocks. On n’a jamais vraiment su qui ils étaient, en tout cas les meilleurs alliés du gouvernement, de là à avoir quelques soupçons, ce d’autant que des images pouvaient fortement faire penser que… On ne sut même pas si l’un d’entre eux avait été arrêté, mais avant chaque manif le ministère de l'Intérieur annonçait qu'ils allaient arriver. S’interroger était bien sûr du complotisme.

Si les caméras des télés étaient surtout braquées sur les vitrines cassées et les feux de poubelles, par contre il y avait les smartphones. En 1968 c’était la multiplication des transistors qui avait aidé les manifestants, en 2018 cela a été celle des smartphones qui a permis de témoigner.

téléchargement_1

n00430633-b

FRXUXBNGNWOJM2OLAYTWGVUU3M_1

 

 

 

 

 

 

 

 

 

téléchargement (2)

 

 

 

 

 

 

arton7477_1

Même en 68 alors qu’il y avait des barricades, on n’avait jamais une telle conduite des forces de l’ordre. Le préfet de police de Paris, Didier Lallemand, n’avait rien à envier à un autre préfet célèbre, Maurice Papon. Comme lui il avait précédemment sévi comme préfet de la Gironde, je ne sais pas si comme lui il sera condamné dans quelques dizaines d’années pour crime contre l’humanité.  C’est bien sa stratégie, ses ordres donnés à la police, sa couverture automatique de toutes les exactions commises impossibles à nier, avec l’aide de l’Inspection générale de la Police nationale (IGPN) et même des tribunaux, qui est à l’origine de la transformation de toutes les manifestations parisiennes en champ de bataille.

langlois1_1

Parmi les policiers très troublés par ce qui se passait, Alexandre Langlois, secrétaire général du minuscule syndicat Vigi, dénonça publiquement la stratégie et les ordres de Lallemand comme l’organisation systématique de nasses en fin de manifestation… Il expliquait que face à de telles situations, la colère des manifestants était immanquable ainsi que la réaction générale des policiers, les uns comme les autres ayant alors à se défendre. Il fut révoqué de la police pour cela.

 

Jérôme_Rodrigues-1

phpy3zTaa

 

cover-r4x3w1000-5cc5a7ceee98b-ebf82a8444f10a5d0614b2ed93b44b2632dfbaa5-jpg_1

 

 

 

 

 

 

S’il y a eu bien 11 morts pendant cette période, un seul a pu être attribué aux forces de l’ordre, et encore, un dégât collatéral : qu’est-ce qu’elle avait cette vieille dame à regarder la manif par sa fenêtre ! Donc la police française ne tuait pas ! Ce n’avait rien à voir avec les répressions des « printemps arabes » nous disait-on. Voyons, elle ne tire que des balles en caoutchouc avec ses Flash-Balls et ne lance que des grenades qui font pleurer ! Les yeux éborgnés, les mains arrachées, les côtes cassées par les matraques ou à coups de pied, les images de la police brutalisant sans raison les manifestants à terre, avaient beau s’accumuler, les charges sauvages sans raison, ce fut le plus formidable déni des pouvoirs publics, des principaux partis politiques, des médias mainstream. Un journaliste écrivain, David Dufresne, avait bien patiemment collationné, vérifié toutes les images prouvant la violence incroyable de la police, transmis régulièrement son enquête aux autorités et aux médias, rien n’y fit. Il est vrai que les journalistes indépendants eux-mêmes étaient visés par la police, que les images étaient surtout diffusées sur les réseaux sociaux et qu’il a fallu longtemps pour que la grande presse comme Le Monde ou Libération en fasse état.

Pendant cette période la position des syndicats, les spécialistes des manifs, fut plus que douteuse. On aurait pu croire que les revendications portées étaient aussi les leurs. Oui ! Mais ce n’étaient pas eux ! Et l’on vit fleurir, avec l’aide des médias, les accusations que les Gilets jaunes étaient antisémites, fascistes, d’extrême gauche ou d’extrême droite, bref qu’il fallait prendre leur mouvement avec des pincettes.

Il fallait être quasiment héroïque pour continuer à manifester en sachant les risques physiques comme judiciaires immanquablement encourus dès que l’on se retrouvait dans un cortège, parfois seulement en étant à proximité. Et pourtant les manifestations ont continué, les pouvoirs affichant triomphalement que leur nombre diminuait. 

Les têtes d’affiche des Gilets jaunes.

L’originalité des Gilets jaunes a été qu’ils ont systématiquement refusé d’appartenir à un quelconque parti politique pas plus que de créer le leur. Ils ont systématiquement refusé qu’il y ait un ou deux leaders qui les auraient représentés, auraient donné des directives... Je ne sais pas si cela a été leur faiblesse comme on l’a dit. Les pouvoirs n’avaient personne en face d’eux avec qui ils auraient peut-être discuté et négocié si tant est qu’ils en aient eu envie, personne non plus à essayer de soudoyer ou corrompre.

Dans tout groupe de personnes, il y en a toujours qui se distinguent un peu des autres, parce qu’ils parlent mieux ou plus fort, parce qu’ils ont plus d’idées, parce qu’ils sont plus entièrement engagés, peut-être aussi parce que des faits dont ils ont été l’origine ou qu’ils ont subis sont plus marquants. Ce sont eux qui ont été repérés par les médias, invités devant les micros ou caméras, transformés en porte-paroles bien que chaque fois ils s’en défendaient. Peut-être aussi, parce que c’est humain, cela satisfaisait l’égo que tout le monde a et leur donnait un sens à ce qu’ils étaient. En somme des leaders fabriqués pour les émissions, plus colorés, plus faciles à mettre en mauvaise posture parce que non habitués à cet exercice factice. Immanquablement les médias pouvaient montrer chacun en divergence avec les autres, voire provoquer ces divergences. Pour qu’un mouvement se délite, il suffit de casser son unité, de créer ou de faire croire à des luttes d’influence en son intérieur, luttes qui finissent par arriver.

Quelques-unes de ces têtes d’affiche, tout au moins celles que je suivais le plus :

J’ai déjà évoqué Priscillia Ludosky.

image (2)

  Jérôme Rodriguez, ouvrier plombier, a été la figure peut-être la plus emblématique des Gilets jaunes. Parce qu’il a été un des éborgnés mais surtout parce qu’il a été celui qui avait la parole la plus claire, qui n’a cédé devant aucun compromis, qui jusqu’au bout malgré sa blessure, les arrestations et gardes à vue incessantes, les accusations de la justice, les conséquences familiales, financières, professionnelles (perte d’emploi) a continué à dénoncer le système, défendre les idées et les autres Gilets jaunes. Il a été la figure emblématique du résistant que font émerger les révolutions, les répressions.

ingrid levassaeur_1

Ingrid Levasseur, aide-soignante. Très active dès le début sur les ronds-points, à la tête de plusieurs manifestations comme par exemple sur les parkings de grandes surfaces, elle avait cherché à ce que le mouvement se structure dans une réunion à Pont-de-l’Arche, s’était rendue dans des réunions publiques de députés macronistes pour les interpeller. Elle était militante de plusieurs associations sociales et écologiques. Ce fut peut-être la plus politique du mouvement, très invitée sur les plateaux de télé, mais aussi celle qui a le plus affiché ses divergences avec Eric Drouet ou Maxime Nicole. 

Eric-Drouet

Eric Drouet, chauffeur routier. Il a été un de celles et ceux à l’origine du mouvement en lançant un appel à un rassemblement de voitures sur le périphérique parisien. Sur Facebook, dans les nombreux groupes qui y étaient apparus comme « La France en colère », il relayait beaucoup les informations sur la lutte par des vidéos. Comme les autres il s’est toujours défendu de représenter le mouvement, il fut quand même avec Priscillia Ludosky celui qui fut reçu par le ministre de la Transition écologique et solidaire. Comme pour Maxime Nicole et Jérome Rodriguez cette notoriété fut lourde à supporter et lassé il fut le premier à se retirer : « se mettre en avant, ça apporte plus de problèmes qu'autre chose »

ob_6ce92c_ob-b6cdbc-capture-decran-2018-12-13-a_1

Maxime Nicole, sans emploi alors qu’il avait fait beaucoup de choses avant, était un peu la tête brûlée du mouvement, le plus truculent à la répartie facile. Lui aussi était très connu sur certains réseaux sociaux où, passionné d’aéronautique et de moto, il avait choisi le pseudonyme « Fly Rider ». Très actif non seulement dans les manifs mais aussi partout où l’on pouvait prendre la parole, il débordait parfois quelque peu et fut accusé de complotisme.

Cette apparition de gens du peuple sur la grande scène avait de quoi faire de l’ombre aux intellectuels, politiques de l’opposition, faiseurs de pensée. Rarissimes ont été ceux qui se sont rangés et affichés au côté des Gilets jaunes. Être éjecté d’une possible révolution ne devait pas leur être supportable.

imagesCe refus de leaders dans un mouvement d’une telle ampleur est peut-être le plus intéressant et ce qui mériterait d’être analysé pour en tirer des leçons. Il est d’abord très logique : lorsqu’on constate les méfaits d’un système basé justement sur une hiérarchie des tenants de pouvoirs, ceux-ci étant visibles ou invisibles, il semble évident qu’il faut se passer de leaders, de représentants qui ne peuvent que se représenter eux-mêmes. Un leader, qu’il le cherche ou non, a des pouvoirs d’influence sur les autres. Mais d’une part, même dans les assemblées ou les assemblées des assemblées, c’est une situation que personne n’avait encore vécue en dehors de quelques petites structures libertaires. Dès l’école chacun est formaté à obéir à quelqu’un, à exister et être reconnu en classe comme les bons élèves ou alors à exister comme leader dans la cour de récré ou dans les bandes de la rue. D’autre part, naturellement des leaders ou le besoin d’avoir quelqu’un à suivre apparaissent. Les espèces grégaires ont besoin d’un dominant ou d’une dominante (herbivores, éléphants…), c’est celui ou celle qui a été choisi-e pour assurer la survie du groupe, au besoin qui se sacrifie pour le groupe (pas drôle d’être le dominant !). Dans les espèces sociales (fourmis, abeilles, castors…) il n’y a pas de leaders. J’ose considérer que le mouvement des Gilets jaunes a été une des premières tentatives à devenir une espèce sociale. Mais il n’y a aucune espèce sociale mondialisée ! Dans chacune l’auto-organisation qu’elles doivent créer ne concerne que chacun de ses groupes sur leur territoire de survie, tous de petites structures. Le système dont nous devrions sortir, lui, englobe maintenant toute la planète. Il faudrait que tous les chercheurs en sciences sociales se penchent sur ce que vivent les écovillages qui analysent eux-mêmes en continu ce problème comme le fait par exemple Pourgues dont j’ai déjà parlé. Et puis, vous allez dire que je radote, nos classes uniques du troisième type ont été un exemple où il n’y avait pas de leaders, il est vrai que les enfants qui le vivaient n’étaient pas encore très formatés !

ecoleetgiletsjaunes_1

Pendant cette période des Gilets jaunes, c’est la seule fois où j’ai regretté d’être quelque peu isolé : le premier rond-point occupé était à près de deux heures et je ne me déplaçais plus beaucoup. J’étais donc condamné à être pendu aux réseaux sociaux. Cependant j’avais voulu quand même y participer à ma façon. J’avais remarqué que sur les ronds-points, dans les assemblées citoyennes, tous les domaines étaient abordés, discutés, sauf l’école. Bizarre que la façon dont se construisent en adultes les petits d’une espèce soit toujours passée sous silence. Je rédigeai donc à l’adresse des Gilets jaunes sur mon blog et Facebook une série de billets que je réunis ensuite en un bouquin autoédité « École, société et Gilets jaunes ». Succès nul ! Mais j’avais essayé !

 

les-gilets-jaunes-se-sont-retrouves-ce-samedi-25-juillet-au-rond-point-de-phalsbourg-pour-distribuer-des-tracts-et-manifester-ils-rappellent-aussi-qu-ils-sont-toujours-en-lutte-photo-rl-m_1

 Prochain et dernier épisode : épilogue de la rétrospective des années 1940 à 2021 - épisodes précédents


[1] Je reviens très souvent à ces écoles du 3ème type ; c’est là que les enfants m’ont appris tout ce qui aurait été possible de vivre dans notre société. Lorsque je dis que c’était là que tout était le futur, cela parait saugrenu, et pourtant !

Commentaires