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Le blog de Bernard Collot
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3 mai 2023

1940-2021 (214) - Épilogue - XVI Racisme et religions

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Entre racisme de peau ou d’origine et guerres de religion, la frontière est incertaine et souvent les deux se recouvrent.

1940-1950. Pendant mon enfance, nous ne risquions pas d’être racistes : nous n’avions jamais vu ni un Africain, ni un Asiatique, ni ce qui aurait pu être un étranger. Nous n’entendions parler que des « Boches » ou des « Schleux », mais la guerre n’avait pas d’existence réelle pour nous dans les villages du bas Bugey et nous n’avions vu qu’une fois passer un convoi allemand, ils étaient un peu comme l’ogre du petit Poucet et c’étaient ceux de la guerre de 14-18 que je pouvais voir dessinés dans les images d’Épinal du grenier de mon grand-père.

Les classes sociales ? Elles n’apparaissaient pas. La seule différence entre garçons, c’était les quelques plus aisés qui faisaient moins de bruit lorsqu’ils couraient avec leurs brodequins de cuir alors que nous faisions claquer le sol avec nos galoches (semelles de bois). Il y avait bien Xavier, le fils d’un noble qui habitait dans une grosse demeure isolée au bord du Rhône. Nous ne l’envions pas : devant toujours être strictement habillé, dès la sortie de l’école quelqu’un venait le chercher et il était confiné seul dans son « château ».

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Les religions ? Il y avait bien eu pendant un an une petite fille réfugiée, mais tout le monde ignorait qu’elle était juive. Tous les enfants allaient automatiquement au cathé, c’était comme aller à l’école, la différence c’est que nous ne nous sentions pas obligés d’écouter et en profitions pour en faire une sorte de récréation permanente (j’y ai beaucoup ri !). Les fidèles de la messe du dimanche étaient essentiellement des vieilles, des femmes, très peu d’hommes à part quelques notables. Parfois, nous les mômes y allions un peu plus tôt lorsqu’un grand avait mis un crapaud dans le bénitier pour voir les réactions des « grenouilles de bénitier ». Ma mère y allait quand elle avait le temps, il n’y avait que les deux grands moments qu’étaient Pâques et Noël qu’elle ne pouvait rater. Mon père n’y a jamais mis les pieds. Nous pensions que tout le monde était catholique et baptisé, c’était un peu comme il vaut mieux traverser la rue entre les clous pour être tranquille.

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1950-1960. Région industrielle semi-rurale à une trentaine de km de Lyon. Une dizaine d’usines à Pont-de-Chéruy, une grosse usine de textile dans le hameau de Chavanoz où nous habitions. Mon père, facteur-receveur, avait comptabilisé une quinzaine de nationalités. Les plus nombreux étaient les Italiens, les rois du bâtiment, les deux gros entrepreneurs du village étaient des Italiens, c’était chez l’un d’entre eux que mon père était invité de temps en temps à aller voir un match de foot des coupes du monde à la télévision (on disait qu’un Italien arrivait en France avec sa truelle et que quelques années plus tard il avait construit la moitié des maisons neuves du village dont la sienne). Puis il y avait les Arméniens, les rois du commerce. Enfin les Polonais et les Maghrébins, le gros des bataillons ouvriers. La seule catégorie de peuples qu’on ne voyait pas c'étaient les Noirs, eux c’étaient à Lyon qu’on les rencontrait. Bien sûr de temps en temps on désignait entre nous les Ritals ou les Pollacks, mais c’était comme des surnoms collectifs qui n’étaient pas spécialement péjoratifs. Ce n’est qu’avec la guerre d’Algérie que les Maghrébins se virent affublés de noms comme « Bicots » ou « Crouilles » avec un sens volontairement méprisant, mais surtout par les adultes dans les bistrots, je ne me souviens pas de l’avoir entendu prononcé entre nous, pas plus que dans ma famille. Cependant, comme par hasard, il n’y en avait aucun au cours complémentaire.

Nous étions tous dans le même bateau, même si le bateau était plus difficile pour la plupart des Maghrébins. Mes meilleurs copains étaient un Marocain, un Arménien et un Polonais (on ne se distinguait que par la consonance de nos noms de famille). Dans la cour où nous habitions, nos voisins étaient une Italienne et un couple grec. Le jardin était partagé entre le nôtre et celui de Monsieur Yamalis le Grec, de l’autre côté c’était un Algérien qui cultivait de magnifiques pastèques et le boucher qui avait un grand tonneau qui puait où il élevait et vendait des asticots pour les pêcheurs. La seule différence entre ces jardiniers du dimanche c’est qu’à midi l’Algérien ne venait pas boire le rosé avec les autres.  Dans le camion qui nous emmenait au cours complémentaire, nous n’étions que deux « Français de souche », la minorité c’était nous !

À dix-sept ans, dans les bals populaires, il est vrai qu’après minuit cela devenait chaud : un peu comme un rite, il y avait les rixes d’abord orales puis qui pouvaient dégénérer entre la bande des Arméniens de Décines, celle des Maghrébins de Crémieux et celle des Polonais de Pont-de-Chéruy, mais leur affiliation à une nationalité ne tenait qu’au fait qu’ils étaient concentrés dans les mêmes habitats et ce n’était rien de plus que ce que sont aujourd’hui les bagarres entre bandes de quartiers différents. Peut-être du fait de mon teint un peu basané qui rendait plus difficile de me cataloguer avec certitude, j’avais navigué entre les uns et les autres sans jamais être ennuyé.

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La religion ? Pour nous les « baptisés », à peine la communion passée, la plupart ne remettions plus les pieds dans une église. Nous ignorions tout des religions que pouvaient peut-être pratiquer les autres et nous nous en fichions royalement. Même adolescent, je ne me souviens pas d’avoir entendu mes copains parler ou même prononcer les noms de Dieu (sauf dans les jurons), d’Allah (sauf dans inch’Allah pour dire « on verra bien ») même pas celui de Jehova. Les musulmans étaient surtout pour nous les habitants d’Afrique du Nord, plus courant que celui de Maghrébins. Dans la région de Pont-de-Céruy, je ne me souviens pas avoir vu de femmes voilées ou d’hommes coiffés de kippa, il n’y avait bien que parfois des curés en soutane ou des bonnes sœurs dans les rues. Pour avoir des connaissances sur les religions, il fallait faire de hautes études !  Comme dès la communion passée pratiquement plus personne d’entre nous ne retournait dans une église, que l’on ne voyait pas de mosquées, nous ne nous sentions pas spécialement catholiques, pas plus que nous percevions les autres ou qu’ils se percevaient comme musulmans. En somme, la religion n’était que la corvée plus ou moins subie pendant l’enfance.

À noter : pendant tout mon temps scolaire, dans les leçons d’histoire on ne parlait jamais de génocides, ni de collaboration, ni d’exploitation coloniale… L’histoire s’arrêtait à la guerre de 14-18. Il a fallu que j’attende l’école normale d’instituteur de Lyon pour l’apprendre, et encore, surtout grâce à notre prof… d’italien !

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1963-1975. À nouveau dans un milieu rural, le Beaujolais. Nous commencions à entendre parler de racisme… aux informations. Les ratonades à Alger et à Paris c’était loin pour les ruraux et cela ne semblait pas les concerner. Pour la plupart des appelés comme moi qui avions fait notre service militaire pendant la guerre d’Algérie, le mot de racisme ne faisait que ressurgir de pénibles souvenirs et les événements du métro de Charonne en 1962 avaient plutôt provoqué une horreur générale et un certain sentiment de sympathie. Très peu de ceux qui avaient été en Algérie parlaient de ce qu’ils avaient vu, un peu comme peu de poilus évoquaient le Chemin des Dames.

Les étrangers de toutes couleurs, on ne les voyait qu’au moment des vendanges lorsque les étudiants d’un peu partout venaient s’embaucher avant de reprendre les cours à l’Université, et ils mettaient de l’ambiance. Il y avait aussi les bohémiens, mais ceux-ci étaient assez appréciés par beaucoup de vignerons : pas besoin de les loger et de les nourrir, ils ne se plaignaient jamais, leur embauche se faisait par l’intermédiaire des chefs de famille et ensuite même leurs enfants venaient aider ceux qui travaillaient dans les vignes.   

1975-1995 et…. Toujours en milieu rural à Moussac dans la Vienne. Les seuls étrangers étaient surtout des Anglais qui étaient venus s’installer dans la région.

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Mais il y avait les Bohémiens, Moussac étant le lieu de passage annuel de deux ou trois grandes familles et leur lieu de stationnement communal était à une cinquantaine de mètres de l’école. Le soupçon ou la méfiance dont ils étaient la cible (les traditionnels voleurs de poules !) ne tenait pas du racisme mais à leur mode de vie complètement différent. Très peu savaient que les Bohémiens à l’origine étaient les habitants de la Bohème. On peut le résumer à cette réflexion souvent entendue : « on ne les voit jamais travailler, comment font-ils donc pour avoir de grosses voitures et l’essence pour tirer leurs caravanes ? ». Il faut dire aussi qu’ils étaient soumis aux contrôles réguliers de la gendarmerie, ils étaient tenus d’avoir à jour leurs carnets anthropométriques permettant de les « surveiller » comme s’ils étaient susceptibles d’être dangereux.  Cependant ils étaient tolérés et je n’ai jamais été au courant de la moindre agression commise à leur encontre. Il faut dire aussi que les enfants de la classe unique où les enfants nomades venaient régulièrement ont beaucoup contribué à leur relative acceptation.

Ceci dit, il commençait bien à avoir dans les campagnes une crainte de l’immigration alors que personne n’avait jamais vu ces fameux émigrés qui « viennent manger le pain des français ». La seule immigration connue était celle d’Anglais ou de Hollandais qui venaient s’installer définitivement dans le Poitou et ils étaient les bienvenus, personne n’ayant d’ailleurs le sentiment qu’ils avaient émigré. Il n’y avait qu’un seul habitant ouvertement partisan de Le Pen, et encore : ses enfants étaient à l’école et il acceptait et même soutenait les méthodes un peu gauchistes de cette classe unique.

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Installé à partir de 2 002 en Sancerrois, toujours en milieu rural simplement un peu plus riche, la peur de l’immigration était un peu plus courante, si petit à petit on y a vu quelques gens de couleurs, surtout pendant les vendanges, ils ne posaient problème à personne. Là aussi je n’ai encore jamais vu d’actes ouvertement racistes, pas plus vis-à-vis des quelques émigrés que vis-à-vis des quelques hurluberlus un peu dans mon genre. Le racisme n’apparaissait que dans quelques propos entendus dans les bistrots, la répétition d’éléments de langages entendus à la radio ou à la télé. Ce qui distinguait la droite c’était surtout l’aspiration beaucoup plus forte à l’ordre et au maintien des traditions et des diverses hiérarchies sociales ou institutionnelles, plus forte encore dans les milieux agricoles, bourgeois et catholiques, il faut reconnaître que c’était leur intérêt peut-être plus qu’une idéologie. Et puis tout le monde ou presque vivait bien ou relativement bien.

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La religion ? Les églises continuaient à n’être fréquentées surtout que par la frange catholique la plus aisée. Peut-être un peu plus dans le Sancerrois de par son histoire : ancien fief protestant, l’origine des terres de la plupart des vignerons datant du Moyen-Âge, l’événement capital annuel est toujours la fête de la Saint-Vincent, patron des vignerons. Dans le Beaujolais, aussi morcelé en petites structures viticoles que le Sancerrois, l’origine des propriétés remontait à la Révolution, à la vente des biens nationaux de l’Église et de la Noblesse et leur acquisition par la haute bourgeoisie, puis au partage de ces domaines de peu de rapport en une multitude de métayages, puis à l’appropriation progressive des terres par les métayers qui les exploitaient. L’événement était la fête des conscrits, datant du souvenir de la conscription sous Napoléon. Le Beaujolais était ainsi idéologiquement un peu plus « rouge » que le Sancerrois, mais dans les deux cas la religion ne distinguait plus personne, surtout qu’il n’y avait aucune concurrence apparente d’une autre religion. 

 

La laïcité ? 

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Pendant longtemps c’était simple pour les familles : l’école publique était laïque et gratuite, c’est-à-dire que tous les enfants pouvaient y aller, on n’y parlait pas de religion. L’école privée était catholique, c’est-à-dire réservée aux familles catholiques qui le voulaient et surtout qui pouvaient payer. Les deux écoles s’ignoraient plus ou moins, mais les enseignants de l’école publique étaient quand même « les hussards noirs de la République ». En 1959 la loi Debré permit aux enseignants de l’école privée catholique d’être rémunérés par l’État. C’est à partir de ce moment qu’a commencé la guerre entre écoles. Lorsque j’ai été instituteur dans le Beaujolais, le village où j’enseignais avait une école privée et faisait partie avec deux autres villages voisins de ce que l’inspecteur appelait « le triangle de fer de la Vendée beaujolaise ». Effectivement, la survie des classes de l’une ou l’autre des deux écoles dépendait de leur effectif. Non seulement il fallait conserver cet effectif mais si possible grappiller des familles de l’autre école. Le village comme le conseil municipal était coupé en deux, entre les laïcs et les cathos. Si la vigne et la fête des conscrits réunissaient tout le monde, par contre le clivage s’effectuait au moment de la fête de chacune des écoles qui, suivant leur succès, étaient quasiment une victoire politique !   À peine arrivé, j’avais eu la visite de collègues m’expliquant la situation et nous étions tous fortement impliqués dans la FOL (Fédération des œuvres laïques), dans l’UFOLEP (Union française des œuvres Laïques d’éducation physique) et de ses équipes de basket qu’il y avait dans chaque petit village, l’UFOLEIS (l’Union française des œuvres laïques d’éducation par l’image et le son) et le cinéclub que j’avais instauré à Lantignié… jusqu’à l’UCOL (Union cantonale des œuvres laïques) qui chaque année organisait une fête grandiose de toutes les écoles publiques d’un canton. Le combat contre l’école privée était donc quotidien, il a peut-être contribué à la qualité de nos écoles publiques, peut-être même a favorisé dans le Beaujolais une certaine émergence des pédagogies modernes qui nous démarquaient (je n’y ai jamais été ennuyé pour mes pratiques pas plus que mes collègues de là-bas du mouvement Freinet). Pour la petite histoire, l’école privée de Lantignié s’est sabordée en septembre 1968 sous l’influence d’un curé un peu prêtre ouvrier !

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En 1984, le ministre Savary avait bien tenté d’unifier l’école en un seul établissement public. Toute la France catholique s’était alors mobilisée dans une grande manif à Paris et Savary a dû abandonner et démissionner.  Il y a bien eu des soubresauts des Laïcs comme dans l’autre grande manif à Paris en 1994 (j’y avais été), mais en vain. Depuis, étonnamment plus d’organisations enseignantes ne protestent contre la présence subventionnée par l’État d’une école privée catholique. Par contre aujourd’hui, les écoles alternatives laïques et démocratiques les gênent. Les méandres du militantisme sont toujours mystérieux !

 

 

Alors ?

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Pendant plus de quatre-vingts ans passés essentiellement en milieu rural, rien ne pouvait expliquer factuellement l’émergence d’un racisme en milieu populaire. A-t-elle été plus explicable en milieu urbain où l’émigration était un fait ? Les génocides coloniaux ou l’esclavage et la ségrégation, en particulier aux États-Unis, n’apparaissaient toujours que très peu dans les livres d’histoire de l’école qui ont continué pendant longtemps à faire de nous des civilisateurs. Normalement le génocide des juifs pendant la guerre, lui connu de tout le monde, aurait dû étouffer toute velléité raciste[1]. Je suis convaincu que le racisme en France est d’abord une peur irrationnelle, créée et entretenue par le monde politique au pouvoir et transmise par les grands médias (aujourd’hui, pratiquement tout le monde regarde la télé), on sait que la peur est un des principaux moyens de tous les pouvoirs pour maintenir leur domination. Et puis tous les gouvernements ont besoin de brandir un prétexte pour expliquer que le chômage n’est pas dû à leurs politiques.

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Bien sûr le racisme ne vise que ceux que l’on peut distinguer par leur couleur de peau, allez repérer un émigré ukrainien ou polonais ! La bonne conscience est toujours curieuse quand elle permet d’accueillir royalement des Ukrainiens mais pas ceux dont les pays sont dévastés, en grande partie à cause des politiques occidentales et coloniales.

Il est facile de comprendre pourquoi tous ceux qui étaient rejetés de par leur religion d’origine se sont ainsi reconnus et rassemblés au nom de celle-ci. En somme c’est l’Occident qui a ainsi dynamisé la religion musulmane et créé les radicalismes partout dans le monde. Malraux avait prédit que le XXIe siècle serait religieux, je ne crois pas qu’il le pensait dans le sens du retour aux guerres de religion du XVIe siècle.

 Et ce qui est devenu la plaie de notre société s’est développé sans aucune justification.

PS : Comme dans chaque chapitre, je ne narre que ce que je voyais et vivais là où j’étais. Ce n’est pas pour cela que j’ignorais ce qui se passait ailleurs. J’aurais vécu dans une grande ville, la description aurait évidemment été différente.

Prochain chapitre : la condition féminine - chapitres précédents

[1] Cependant on ne peut pas effacer la collaboration pendant l’occupation et on ne peut pas non plus faire semblant de penser que ce n’était que sous la pression de l’occupant nazi que de nombreux juifs ont été dénoncés.

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