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Le blog de Bernard Collot
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23 février 2025

L'affaire Betharram

J’ai beaucoup écrit sur la violence institutionnelle de l’école. Mais il se dit tellement de choses sur « l’affaire Betharram » que je vais y revenir encore une fois. 

Cette affaire semble stupéfaire le monde médiatique !

D’abord que cette affaire ait été couverte par un homme politique qui ment effrontément et que tout journaliste connait n’aurait dû étonner personne. Ceci est d’ailleurs le propre d’une bonne partie de la classe politique au pouvoir. Combien existe-t-il d’autres « affaires » qui ont ainsi été couvertes et même où ont été impliqués des hommes politiques ? Mentir, c’est quasiment le propre de tout pouvoir, de ce qui fait accéder au pouvoir et s’y maintenir.

Mais, découvrir seulement aujourd’hui la violence de l’institution scolaire c’est vraiment avoir été aveugle pendant des décennies. Et encore, on ouvre les yeux seulement quand des enfants ont subi une violence extrême se soldant par des conséquences physiques ou psychologiques graves. « Frappe où cela ne laisse pas de trace » s’est parfois dit dans les commissariats !

Prenons ce cas de Betharram qui se situe dans l’institution parallèle que sont les écoles catholiques et remontons le temps :

Jusqu’au XIXème siècle, l’éducation et l’école étaient le monopole de l’église catholique. Très peu d’enfants du peuple y allaient : eux, très tôt ils allaient travailler dans les champs ou dans les ateliers ! C’est en 1833, sous le règne de Louis-Philippe, que Guizot instaura l’école publique calquée sur le modèle de celle de l’école des frères de l’école chrétienne, sans être cependant obligatoire ; elle instituait aussi la liberté de l’enseignement. Il s’agissait officiellement d’arracher les enfants du peuple à une influence pouvant être néfaste des familles pour en faire de bons catholiques et de bons sujets de sa majesté. Comme lorsqu’il s’agit de dresser des animaux récalcitrants, la sévérité dont les limites n’étaient pas fixées y était de mise. Cela semblait même normal.[i]

Lorsqu’en 1882 Jule Ferry instaura l’école publique laïque et l’instruction obligatoire, telle on la connait aujourd’hui, c’était en partie pour contrecarrer l’influence de l’Église. Cette fois il s’agissait de faire de bons républicains mais aussi de bons travailleurs. Il conserva d’ailleurs le même modèle des frères de l’école chrétiennes que Guizot. Si le rôle de l’État était encore cantonné à donner les moyens à la population d’instruire ses enfants (l’État assurant la formation et la rémunération des instituteurs, les communes devant fournir locaux et matériel), il n’empêche que le ministre de l’instruction publique suivant, Paul Bert, affirmait que « seul l’État a le droit d’éduquer les enfants. »[ii]

Certes, la sévérité et sa violence était beaucoup moins mise en avant, mais elle continuait à être admise comme un moyen normal… d’éduquer. Lorsque j’étais moi-même écolier (1945) pas question de se plaindre à la maison d’avoir reçu une claque « Ah ! Il t’a donné une claque ? Et bien t’en voilà deux pour t’apprendre à filer droit ! » Tout ce que pouvaient faire les enseignants était unanimement soutenu par la majorité des parents, en toute bonne foi… éducative ! Pas étonnant que les enfants eux-mêmes pratiquent prudemment l’omerta.

Est-ce que cela a beaucoup changé aujourd’hui ? Il n’y a qu’à ré-écouter les propos vivement applaudis de Gabriel Attal lorsqu’il était ministre de l’Éducation nationale : « (…) Tu défies l’autorité, on t’apprend à la respecter. (…) Nous ferons évoluer l’échelle des sanctions (…) Nous devons disposer de sanctions pour les mineurs de moins de 16 ans (…). Il n’y a qu’à écouter les propos d’un Finkielkrault fustigeant le laxisme de ces écoles en pédagogies alternatives qui « laissent tout faire et n’importe quoi aux élèves », etc. etc. Certes, les châtiments corporels sont officiellement interdits. Mais il y a bien d’autres moyens pour asseoir cette éternelle domination adulte… et eux ne sont pas judiciables.

Ces dernières années et surtout après 1968, il est fustigé une tendance que l’on veut faire croire générale sur « l’enfant qui serait devenu roi » et de faire semblant de croire que toutes celles et ceux qui militent pour qu’il soit considéré comme une personne et non comme un objet abandonnent alors leur rôle d’adulte. S’il est vrai que 1968, en brisant des tabous centenaires a provoqué des excès plus que néfastes et regrettables, les militants des pédagogies non coercitives (actives, Freinet, Montessori…) avaient, déjà bien avant 1968, une approche de l’école et des apprentissages fondée sur le respect de la personne, la pratique d’une certaine liberté, de la coopération, de l’autonomie. Une approche corroborée par tous les travaux des neurosciences ou des sciences cognitives. La plupart des familles ignore d’ailleurs cela. Mais on sait aussi que l’ignorance est ce qui permet le maintien de tous les pouvoirs, et bien d’autres que moi l’on dit depuis… la nuit des temps.

Bien sûr la judiciarisation systématique de tout a aussi conduit des familles à utiliser leurs enfants pour trainer devant les tribunaux des enseignants qui ne leur convenaient pas sous de fausses affirmations ; ce sont d’ailleurs plutôt les enseignants aux pédagogies alternatives qui ont eu à le subir. Mais, d’un côté l’État prenait immédiatement leurs plaintes en considération, de l’autre, quand il s’agissait de certaines écoles comme dans le cas de Betharram, même lorsque les faits étaient avérés et gravissimes l’État restait sourd. Cela n’a pas trop changé : la ministre de l’EN précédent a été confrontée à une affaire semblable… mais elle a démissionné !   

Betharram pointe les écoles catholiques. Alors parlons-en. Personne n’ignore qu’il est de notoriété publique que la plupart de ces écoles tiennent leur réputation de la sévérité qui y règne. Celle-ci serait la source d’une bonne éducation, de bonnes études, de succès aux examens, etc. Une grande partie des hommes et femmes politiques au pouvoir y ont été et y ont mis leurs enfants, y compris des ministres de l’Éducation nationale, y compris des hommes et femmes de gauche (Jospin par exemple). Si au début c’était surtout la bourgeoisie qui y avait accès parce que complètement privées, avec la loi Debré de 1959 les écoles catholiques ont obtenu le statut « d’écoles sous-contrat ». Ce qui veut dire que leurs enseignants sont rétribués comme ceux de l’école publique par l’État, qu’elles peuvent recevoir comme l’école publique les subventions des collectivités locales et bien sûr tout autre fond privé, tout en pouvant continuer à faire payer les familles. On a appelé ceci démocratisation ! Il y a bien eu de grandes manifestations contre la loi Debré pour réclamer « à école privée, fonds privés, à l’école publique « fonds publics », mais la protestation se limitait à cela et on sait ce qu’il en est advenu.

Bien sûr, officiellement les écoles catholiques doivent se conformer aux mêmes règles que l’école publique et devraient être contrôlées par les mêmes inspecteurs. Mais d’une part ce corps d’inspection a déjà bien à faire avec l’école publique, d’autre part il y met beaucoup moins son nez et beaucoup moins de zèle. Il n’y a qu’à voir la différence de traitement par l’État et l’EN qui est fait avec les écoles alternatives foncièrement laïques et démocratiques. D’une part celles-ci sont soumises à un contrôle bien plus pointilleux que ne l’est l’école publique elle-même et sont sous le couperet permanent d’une menace de fermeture, d’autre part il leur est quasiment impossible d’obtenir le statut d’école sous-contrat qui leur permettrait de subsister. Il est vrai que leurs pédagogies et leur approche de l’acte éducatif sont à l’inverse d’un formatage ouvert ou insidieux.

En particulier sous les quatrièmes et cinquièmes Républiques, les connivences entre l’Église et la haute bourgeoisie au pouvoir n’ont plus été trop cachées. Aujourd’hui cela s’est encore accentué. Pardi, il s’agirait de défendre notre « civilisation chrétienne » menacée par des « invasions » migratoires, évidemment musulmanes, et autres gauchistes de tout poil. On entend cela tous les jours. Curieusement d’ailleurs, ce n’est même pas l’Église que l’on entend le plus sur cette soi-disant menace.

L’affaire Betharram porte seulement sur la place publique les violences physiques et sexuelles qui sévissent dans certaines écoles. Mais quid de la violence institutionnelle ordinaire qu’est l’institution école elle-même ?  Je n’ai cessé de la décrire et de la dénoncer, je n’y reviendrai pas ici (voir quelques billets ou podcasts dans les renvois[iii]). La conception même de l’école ainsi que la structure du système éducatif sont faites pour « obtenir » en fin de course les citoyens, les travailleurs, les électeurs et les dirigeants dont ce qu’est devenue notre société a besoin pour perdurer telle elle est, même si elle convient à de moins en moins de monde. Le grand tort de Betharram, c’est de ne pas l’avoir fait d’une manière plus soft et insidieuse.

Il serait peut-être temps d’ouvrir des yeux un peu lucides sur ce qu’est l’école et son rôle et ne pas s’en tenir aux lieux communs même s’ils ne sont pas tout à fait faux (« C’est grâce à l’école que… et gnagnagna ! ») mais qui cachent la forêt.

 

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