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Le blog de Bernard Collot
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25 février 2025

Le système éducatif, machine à conditionner.

J’ai du mal à faire admettre et comprendre que c’est l’école le principal outil de conditionnement des enfants, futurs adultes et citoyens, à accepter et se conformer à ce que la société telle qu’elle est devenue, c’est-à-dire ultracapitaliste ou ultralibérale, attend d’eux. Je vais essayer d’être plus explicite.

Qu’est-ce que le conditionnement ?

Le conditionnement classique est une procédure d’apprentissage qui est au centre des théories béhavioristes. Son origine, c’est l’expérience du chien de Pavlov : en associant plusieurs fois un stimulus neutre (la sonnette) à un stimulus naturel (le repas servi) afin de créer une réaction du corps (la salivation), le stimulus neutre suffit à provoquer la réaction attendue. Le chien accourra ensuite dès qu’il entendra la sonnette même s’il ne trouve pas de repas ou s’il n’a pas faim.

Le conditionnement opérant est issu de l'apprentissage instrumental et a été développé par Skinner. Ce conditionnement réalise l'association entre une action de l'animal et un résultat. Si, lorsque l'animal appuie sur un levier, une boulette de nourriture lui est délivrée, il apprendra rapidement à appuyer sur celui-ci. C'est une action que normalement il n’a aucun intérêt à faire qui « provoque » la survenue systématique d’un résultat qu’il attendra alors ou qui le récompensera. C’est le principe de la distribution automatique et contrôlée des aliments dans les élevages en stabulation.

On peut rajouter le conditionnement par la force, c’est-à-dire le dressage : tout comportement inadéquat provoque un coup de fouet, tout comportement conforme une récompense.

Voyons en détail comment ces trois types de conditionnement se réalisent de par le système éducatif lui-même, sans que l’on s’en rende compte.

Naturellement, un enfant ne se réveille que lorsque son corps est reposé et n’a plus besoin de sommeil. Il est reconnu que ce sommeil est nécessaire à sa bonne santé, à son bon développement ; il varie suivant la fatigue de la journée précédant le sommeil, suivant son âge, ses besoins propres. Si l’enfant est réveillé alors qu’il a encore besoin de dormir, il manifestera un mécontentement, sera plus ou moins en forme dans la journée qui s’en suit.

Mais, dès trois ans, il sera réveillé à la même heure jusqu’à la fin de sa scolarité. Lorsque sonnera l’heure du lever, il se lèvera automatiquement, sans rechigner : « C’est l’heure de te lever. C’est l’heure de déjeuner. C’est l’heure de partir à l’école. ». Tout le monde se rend bien compte de cette anormalité, mais : « Il faut bien qu’il s’habitue ! ». Combien de fois ai-je entendu cette expression !

Et voilà le premier conditionnement qu’opère l’école. Et oui, ce ne sont plus nos besoins qui rythment notre vie, ce sont les aiguilles des horloges, les sonneries des usines, les calendriers hebdomadaires et annuels. Et ce conditionnement se poursuit tout le temps scolaire : l’heure de rentrer, l’heure de prendre ses cahiers, l’heure de faire des maths, l’heure d’écrire… le quart d’heure de courir dans la cour de récré et l’heure d’aller faire pipi, l’heure de sortir, le jour vaqué, le jour des vacances…le jour de la rentrée. Exactement ce qui l’attendra ensuite et que nous faisons tous… sans rechigner.

Naturellement, l’enfant agrandit progressivement dans sa proximité ses espaces d’évolutions, d’explorations et de relations. Du berceau à la couverture sur le plancher, au parc, à la cuisine, aux escaliers et à la maison, au jardin, au voisinage, etc. De la maman à la famille, de la famille aux amis, aux voisins, à d’autres petits voisins, etc.

Or, dès trois ans, quotidiennement il sera déplacé, transporté souvent à plusieurs kilomètres de son environnement, dans un espace plus ou moins aseptisé et complètement artificiel au milieu de dizaines d’autres enfants aussi désarmés relationnellement que lui. En ce qui concerne les plantes, on dit déraciner et aucun jardinier ne s’amuse à déraciner et transplanter ses légumes quotidiennement !

 Mais n’est-ce pas ce qui est demandé aux travailleurs aujourd’hui ? Mobilité et flexibilité du travail, délocalisations, éloignement quotidien du domicile et temps dans les transports, etc. « Il faut bien qu’il s’habitue ! »

« On ne fait pas boire un cheval qui n’a pas soif » disait Célestin Freinet, mais le système éducatif impose aux enfants d’ingurgiter ce qu’ont décidé de vagues experts que personne ne connait, aux moments où ceux-ci l’auront décidé dans des programmes, de la façon dont ils l’auront décidé. Dès qu’ils auront franchi le portail de l’école, toutes leurs actions leur seront édictées, toute initiative sera proscrite ou soumise à autorisation.

Mais par la suite, n’en sera-t-il pas de même ? Non seulement au travail mais pour d’innombrables actions de la vie quotidienne il faut se plier à des normes, des restrictions, des demandes de permis ou permission… qu’on les trouve justifiées ou non. « Il faut bien qu’il s’habitue ! ».

Naturellement un enfant ne peut rester longtemps immobile. Mais à l’école, dès trois ans, ce seront des heures et des heures à rester assis, à ne se déplacer que si on l’autorise ou au moment des ruées vers la porte de sortie, pendant le quart d’heure d’une récré dans un espace bétonné, à ne jamais aller plus loin que le champ de vision des profs, etc.

Mais n’est-ce pas le propre de notre société sédentarisée ? À tel point d’ailleurs qu’il faut faire bouger artificiellement les individus dans des moments spécifiques et des espaces dédiés : le sport prôné, les salles de gym, les vélos d’appartement, etc. « Il faut bien qu’il s’habitue ! »

Naturellement, un enfant va agir, faire, chercher, apprendre… parce qu’il en a besoin, envie, un intérêt, un plaisir… Mais, dans le système éducatif, qu’est-ce qui justifie qu’il fasse tout ce qu’on lui demande pour apprendre ? Jamais pour en avoir une utilité immédiate. La seule gratification va être une note ou une appréciation, en bout de course un diplôme c’est-à-dire un bout de papier qui a d’ailleurs de moins en moins de valeur. Officiellement il n’y a plus de compétition, mais dans les faits ce seront toujours les meilleurs qui tireront le mieux leur épingle du jeu, tout au cours de leur scolarité ils seront toujours en butte des comparaisons, et puis l’invention de parcoursup est bien une compétition déguisée. Le plus grand problème des profs est bien la motivation par tous les moyens et les familles font de plus en plus appel aux psys et autres coachs pour que leurs enfants ne refusent pas d’être en somme incarcérés à l’école.

Mais notre société n’était-elle pas basée uniquement sur la compétition et la concurrence ? Mais n’est-ce pas le problème de la motivation au travail qui empire de plus en plus ? Les entreprises qui essaient d’agrémenter les journées de travail par un coin café, de mettre un psy à la disposition des travailleurs, d’offrir des séances de yoga ou autres activités dites de développement personnel, etc. Et oui, « Il faut bien qu’il s’habitue ! »

Naturellement un enfant apprend à parler. C’est grâce à la parole qu’il sera en relation avec sa famille, avec les autres, qu’il s’intégrera et participera à la communauté. C’est grâce à la parole qu’il se socialisera. On s’inquiètera à juste titre si un enfant ne s’exprime pas, on l’emmènera chez un médecin, chez un psy. Or, d’une façon générale, à l’école sa parole sera fortement limitée, contrainte. Évidemment si 25 ou 30 enfants se mettent tous à parler dans une salle de 40 à 50 m2, plus personne ne s’entendrait ! S’il parle à son voisin pendant les cours, il troublera les leçons. À l’école, la parole c’est le prof qui en dispose, on doit l’écouter même si ce qu’il dit n’intéresse pas. Il ne faut répondre que s’il interroge, lever la main et attendre qu’il donne la parole. Le fonctionnement de l’école en dépend.

Mais n’est-ce pas la même chose dans la vie adulte ? Ne doit-on pas surtout écouter, ceux qui sont sur une estrade, qui détiennent un micro, qui ont un pouvoir ? Demander l’autorisation de s’exprimer et le faire de façon politiquement correcte ? « Patron, puis-je vous parler ? ». Sinon, ce serait… l’anarchie ! « Il faut bien qu’il s’habitue ! »

  Quant à l’obéissance ? Mais tout ceci conditionne à l’obéissance, à ne même plus se rendre compte qu’on ne fait qu’obéir ! Après… « Ils se seront habitués ! » Tout ce que l'on devra faire ou ne pas faire sera... pour notre bien.

Mais tout ceci est normal sinon l’école ne pourrait plus fonctionner ! Et oui et après ce sera toujours normal puisqu’autrement, non pas la société mais cette société ne pourrait pas fonctionner ! Le système éducatif est bien une formidable machine de conditionnement.

Évidemment, l’immense majorité des enseignants n’a aucune intention de « conditionner les enfants » ni même l’impression qu’elle participerait à un conditionnement. Au contraire elle pense contribuer à l’émancipation des enfants. D’ailleurs une partie d’entre les profs arrive un peu à contrecarrer, à atténuer ce conditionnement qui n’est pas de leur fait mais le résultat du système éducatif lui-même. Dans le cadre scolaire, les pédagogies alternatives sont beaucoup moins des machines à conditionner, tout au moins elles limitent ce conditionnement. Et justement, le système éducatif refuse de les généraliser ; d’ailleurs, tel il est, il ne le peut pas. CQFD !!!

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