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Le blog de Bernard Collot
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27 mars 2025

La recherche de la facilité et de toujours plus de confort

(Podcast illustré en fin de billet)

Une bonne partie d’entre nous est probablement douillettement installée au chaud devant un écran en train de regarder ce qui se passe à Gaza, en Ukraine et dans bien d’autres endroits du monde et les malheureux survivants devant vivre dans les décombres. À coup sûr nous frémissons devant l’insupportable qu’ils doivent vivre. Mais ce n’est pas chez nous.

Jusqu’à maintenant les pannes d’électricité n’arrivent occasionnellement que dans des régions réduites pour de courtes périodes. Imaginons que brutalement une panne d’électricité obscurcisse pour une très longue durée toute une région, voire tout un pays, un continent et pourquoi pas la planète. Ce n’est pas si farfelu que cela vu qu’aujourd’hui tout est centralisé, concentré, interconnecté, distribué par de monstrueux réseaux. Un ingénieur d’EDF m’expliquait qu’il suffirait qu’un poteau d’une ligne de haute tension s’écroule pour qu’un court-circuit géant se propage de ligne en ligne.

Que se passerait-il ? Les chauffages s’éteindraient, les machines à laver, les frigos, les aspirateurs ne marcheraient plus, les pompes et les machineries n’alimenteraient plus les réseaux d’eau potable donc plus d’eau courante aux robinets ou lorsqu’on tire les chasses d’eau des WC, etc., etc. On ne serait pas morts comme ceux que l’on voit périr sous les bombes, mais il faudrait survivre. Qu’est-ce qu’on aurait perdu ? Le confort !

C’est ce confort, qui arrive à nous paraitre normal, indispensable, qui nous fait tout supporter, tout accepter, tout renier. En somme c’est lui qui ne cesse de nous affaiblir, c’est lui et surtout sa recherche forcenée et souvent factice qui fragilise toute l’humanité tout en détruisant ses ressources.

Dans ma tentative de démonstration, je vais prendre mon cas. En 85 ans, j’ai traversé une petite partie de cette marche vers de plus en plus de confort.

Môme dans le Bugey, pour nous chauffer mon père allait couper son bois dans la montagne, j’allais l’aider pour faire les fagots, la vieille cuisinière permettait de faire la cuisine tout en réchauffant une grande pièce et quel bonheur d’aller mettre ses pieds dans le four ! Les chambres étaient glaciales, mais encore quel bonheur de se glisser sous l’édredon de plumes et qu’est-ce qu’on dormait bien ! Pour l’eau, il fallait aller remplir les bassines dehors à la pompe, et pour la lessive ma mère faisait chauffer cette eau dans une grande lessiveuse pour le lavage, puis le linge dans une brouette (et le môme par-dessus !) faisait un demi-kilomètre pour aller le rincer au lavoir… et papoter avec les autres lavandières.

En cette période d’occupation et de restrictions, mon père nous avait fait quitter Villeurbanne pour aller faire facteur dans ce petit village du Bugey parce qu’il y avait un jardin, possibilité d’élever des poules et des lapins. Bien sûr c’étaient encore les corvées indispensables pour nous les mômes : désherbage, ramassages des pommes de terre (je n’aimais pas ça !), donner à manger aux volailles et aux lapins, etc. Et puis aller aider les paysans du village à faire les foins, les moissons, les vendanges… en contrepartie des boudins qui nous étaient donnés à chaque mort de cochons. Mais tous les mômes du village étaient logés à la même enseigne, il n’y en avait pas un qui aurait pu faire envie aux autres. Il y avait bien Xavier, le fils d’un ancien aristocrate qui vivait dans une grande maison bourgeoise isolée au bord du Rhône. Lui, allait à l’école en souliers de cuir alors que nous c’était les galoches à semelles de bois ou les sabots, un domestique venait le chercher avec la seule voiture du village, mais personne ne l’enviait, c’était même le contraire : lui, il était reclus, seul dans sa belle maison alors que nous courions par monts et par vaux, faisions moult et moult frasques. Personne n’a l’impression de manquer de confort lorsqu’autour c’est à peu près la situation de tous. « On fait avec » comme disait mon grand-père. Personne n’avait l’impression de mener une vie anormalement dure. Vous pouvez interroger n’importe quelle personne de la campagne et de mon âge, aucune ne vous dira avoir vécu une période insupportable.

Puis, mes parents achetèrent une cuisinière à charbon. Finis les hivers passés à couper le bois dans la montagne, de se lever à l’aurore pour allumer le feu : avec le feu continu, la pièce du bas était encore tiède lorsqu’on descendait des chambres. Il y avait bien cette odeur désagréable qui avait remplacé la délicieuse odeur du bois qui s’enflamme, mais pour rien au monde mon père ne serait revenu en arrière !

Puis mon père a obtenu un poste de facteur-receveur un peu plus important en se rapprochant de Lyon. Là, nous avions l’eau courante avec un évier à l’intérieur. C’était le confort suprême ! Il n’y avait pas encore de douches et nous, les mômes, étions un peu plus contraints à nous débarbouiller au moins tous les matins. Le jour mémorable avait été lorsqu’avait été achetée la première machine à laver. Cette fois c’était ma mère qui ne serait plus jamais revenu en arrière.

Le confort ne s’apprécie ou ne se justifie que par rapport à une situation précédente. Il est impossible d’envisager quelles en seront les conséquences plus ou moins lointaines.

Je peux prendre l’exemple de la voiture. Pendant mon enfance et l’adolescence, le moyen de locomotion autre que nos gambettes était le vélo. Il nous servait à tout, aussi bien à se balader plus loin que le village, qu’aller faire les courses avec la panière sur le porte-bagages jusqu’au chef-lieu, que de partir en vacances chez les grands-parents à une quarantaine de km. Vélos costauds, qui avalaient sans problème les chemins de terre, sans les changements de vitesse des cyclistes du Tour de France. Mais on ne faisait pas la course en dehors de s’amuser avec les copains ! Il fallait savoir démonter une roue et réparer une chambre à air, remettre une chaine sur son pignon, etc.  Et puis, lorsque j’avais 15 ans, mon père a acheté sa première voiture, une 4 CV. C’était un peu une boite à sardine, il y avait la manivelle pour la faire démarrer par temps humide et lorsque la batterie s’était déchargée, mais en grattant un peu les bougies ou en la poussant dans une descente elle finissait toujours par démarrer sans aller chercher le garagiste. Et puis, en dehors d’aller jusqu’à Lyon une ou deux fois par an pour des achats impossibles à faire près de chez nous, son rôle essentiel était… de nous emmener en vacances. Et cette fois mon père chaque année se prenait la tête pour établir un budget de vacances.

Et oui, le confort se payait ! Et lorsqu’on commence à en goûter, il est toujours insuffisant. Qu’il faille une voiture plus grande où la famille ne soit pas entassée, cela se justifiait. La 2CV par exemple était parfaite. En plus, avec une clef à molette, un tournevis et la manivelle on pouvait se dépatouiller de n’importe quel ennui mécanique. Et il y a eu les autoroutes. Bien plus rapides, trajets bien plus faciles… mais il fallait une voiture plus puissante pour ne pas s’y trainer, plus puissante et plus chère. Mais il y avait le confort du crédit ! Fini le vieil adage des vieux « tu ne dépenses que ce que tu as ». La course à l’endettement était commencée. Pour mes parents comme pour beaucoup il fallait travailler… pour rembourser !

Comme tout objet la voiture a une fonction : se déplacer, transporter des personnes et des objets sur des distances. Une 2CV remplissait parfaitement cette fonction. Mais, pour plus de confort, il fallait une voiture mieux chauffée, puis climatisée. Admettons que ce n’était pas tout à fait inutile. Mais ensuite il a fallu que l’on n’ait plus besoin de baisser les glaces avec une manivelle ou d’enfiler la clef dans une serrure, qu’il y ait la radio, l’allume cigare, des tableaux de bord qui t’indiquent combien de km tu peux encore faire avec l’essence qui te reste ou si tu dois incessamment aller la faire réviser, etc., etc. Bref, tu dois maintenant disposer d’une multitude de gadgets qui n’ont strictement rien à voir avec ce à quoi devrait te servir ta voiture… et les payer et t’endetter encore.

J’aurais pu prendre le domaine de l’agriculture. Lorsque mon oncle a repris la petite ferme des grands-parents, il a acheté son premier tracteur. Ce n’était pas dans le but de s’agrandir ou de produire plus. Par contre cela aurait dû lui faire gagner du temps donc lui donner plus de loisirs. Fini le temps de dresser deux vaches, d’installer le joug, du chargement de la charrue dans un tombereau, du long trajet au pas de l’attelage jusqu’au champ, etc. Le travail de paysan devenait plus facile. Mais la même course à plus de puissance, plus de possibilité, plus de confort était entreprise, et sa conséquence : endettement, donc plus de travail pour plus de rendement, agrandissement des domaines donc machines encore plus puissantes, avec comme pour les voitures de plus en plus de gadgets puisqu’on y passait encore plus de temps. Un vieux copain paysan, moutonnier dans le Montmorillonnais, dont son petit tracteur lui suffisait amplement pour porter une ou deux bottes de foin dans les parcs à moutons, était interloqué de voir ses voisins faire la même chose avec d’énormes engins climatisés.   

Le confort c’est terrible parce qu’on s’y laisse tous plus ou moins prendre. Devenu instituteur avec un logement de fonction qui à l’époque disposait du chauffage central, avec mon ex-épouse nous nous sommes mis à acquérir une foule d’objets censés apporter encore plus de confort. Le lave-vaisselle, pour quatre personnes, qui fait du bruit, te prend encore plus de temps pour y ranger les couverts et ensuite les enlever, l’épluche pommes de terre électrique qui prend de la place alors que tu le fais aussi vite avec un couteau, tous les robots de toute sorte que tu ne sais plus où ranger et dont il te faut le mode d’emploi à proximité, etc., etc. Et puis bien sûr l’achat d'une grosse bagnole à crédit.

Mes pérégrinations conjugales ont fait que ma situation financière est ensuite devenue incertaine. Je me suis alors retrouvé dans une vieille maison délabrée. Fini le confort précédent ! Je me suis donc retrouvé comme du temps de mon enfance, à aller comme mon père couper mon bois dans les bosquets, à me coltiner à défricher un jardin pour nourrir la famille, etc. La période de mon enfance m’a particulièrement aidé parce que j’ai retrouvé tous les réflexes de ce temps et surtout tous les plaisirs qui n’avaient rien à voir avec le confort. Une période heureuse.

Et puis à la retraite emménagement dans une nouvelle vieille maison à rénover. Il m’était bien apparu que le chauffage le plus agréable aurait été un insert chauffé au bois. Je n’aurais eu qu’à commander les buches. Mais il aurait fallu que recommencent les corvées quotidiennes d’allumer et d’alimenter le foyer. Installation donc d’un chauffage central au fioul. Le confort suprême, tu n’as plus rien à faire et tu as chaud dans toute la maison. On sait ce qu’il en est aujourd’hui !

On sait aujourd’hui où cette recherche d’un confort facile nous a menés. On accuse à juste raison la société capitaliste, mais il faut bien reconnaitre qu’elle jouait sur du velours tant la recherche de toujours plus de confort plus ou moins factice a perverti toutes nos capacités d’adaptation et de jugement.

 

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