L'évaluation à 400 €
"L'école n'a pas vocation à accueillir les enfants de 2 ans. Elle doit être une école à part entière". (Rapport Papin-Martin du Sénat). (Dix ans après, 2019, école obligatoire à 3 ans !!!!
Bravo ! le problème, c’est que l’école n’a pas vocation à accueillir des enfants ! et même des ados. C’est ce qui ne cesse d’ailleurs d’être dit depuis quelques années à longueur de déclarations, instructions, décrets, réformes. L’école est ouvertement faite pour accueillir des objets à remplir, façonner, modéliser. Elle n’a pas affaire à des enfants mais à des élèves.
Il est dit et répété : l’école maternelle « doit préparer » à l’école primaire ; ça va être sérieux, ce ne sera plus de la rigolade, faudra « travailler ». L’école primaire « doit préparer » au collège ; ça va être encore moins drôle, faudra encore plus bosser, même après avoir quitté les lieux il faudra t’échiner encore sur des devoirs tard dans la soirée, tu auras encore moins de temps de t’amuser, il faudra te plier aux désidératas variant suivant les profs, etc. . Le collège doit « préparer au lycée ». Là, cela foire un peu parce que, au lycée, il faudrait justement que ces « ados-objets » soient un peu des ados-autonomes (juste un peu !) et on voudrait, pour que ça marche, qu’ils adhèrent cette fois à ce qu’on veut leur faire faire. Mais bon, c’est la faute à Voltaire ou à Rousseau !
Et ces cases successives, c’est pour préparer à quoi ? Allez, vous avez sûrement des réponses ! Parce que, bizarrement, à cette dernière question, à cette dernière « préparation », on ne nous donne pas la réponse. Mais je me demande toujours si nos chers penseurs-décideurs se la sont vraiment posée… ou s’ils n’osent pas la donner. C’est vrai qu’eux au moins ont été « bien préparés » !
Alors nous sommes partis pour que des jardins d’enfants « préparent » à l’école. Je suppose qu’on ne va pas tarder à arriver à attaquer cette préparation dès la maternité ! Parents, savez-vous que cela fait déjà bien longtemps que vous ne procréez pas des enfants mais des élèves ? (qui c’est qui a dit « des chômeurs » ? !)
Heureusement que nous sommes dans une belle civilisation.
PS : Avez-vous remarqué que depuis quelque temps une préoccupation a complètement disparu : celle de « préparez votre retraite ». (2019, erreur ! Cette fois c'est dans la loi qu'il faut préparer une retraite par capitalisation parce que la même loi va vous la rogner !) Vous trouvez cela bizarre ? Mais je reçois toujours des prospectus pour « préparer mon décès » ! non mais !
08 novembre 2008
La maladie évaluative dont j’ai déjà parlé à deux reprises (ici, et là) prend des proportions pour le moins étonnantes :
Xavier Darcos dans le Monde daté du 7 novembre « Par exemple, puisque nous mettons en place de nouvelles évaluations des élèves de l'école primaire, tous les professeurs de CE1 et de CM2 chargés de ces évaluations en février 2009 percevront une prime exceptionnelle de 400 euros ».
Il faut avouer qu’il y a de quoi s’interroger ! Voilà que les instituteurs, qui n’ont aucune indemnité pour les heures qu’ils ont à effectuer hors des horaires scolaires comme recevoir les parents, participer aux conseils d’écoles, organiser et accompagner des voyages scolaires, etc., considérées comme faisant partie de leur mission, vont être indemnisés (ou récompensés ?!) pour réaliser, dans le temps scolaire ordinaire, l’évaluation de leurs élèves ! Seulement ceux de CE1 et CM2. On pourrait croire que les autres et leurs élèves sont alors enfin débarrassés de cette plaie et que l’on récompense alors une vraie corvée, enfin considérée comme une corvée ! Et que l’on commence à douter de l’enthousiasme des enseignants et de leur croyance en l’utilité de ce « machin » sans lequel il n’y avait point de salut, ni pour les enfants ni pour les profs !
Il ne faut pas rêver, l’évaluationite est une maladie génétique du système éducatif français. Mais, on nous disait à partir de 1989 (loi d’orientation Jospin) que son rôle était de mieux cerner où chaque enfant ou ado en était de façon à pouvoir ajuster la pédagogie à chacun. Évaluation formative mais pas du tout normative, disait-on. Si elles étaient devenues nationales, c’était, évidemment bien sûr, juste pour que globalement le système éducatif puisse lui aussi s’ajuster, rectifier le tir. En étalant sur des cycles de 3 ans ce qu’il fallait faire ingurgiter, ladite évaluation devait permettre de mieux accompagner chacun à son rythme. Honni soit qui mal y pense ! Ceux qui pensent mal ont bien vu qu’entre les intentions et la réalité il y avait un océan… immobile. Mais bon…
Cette fois, pas de poudre aux yeux, et il faut rendre à César ce qui appartient à César, notre cher gouvernement avance à visage découvert et fait ce qu’il a dit qu’il ferait. Mais ce qui est étonnant, c’est que, alors qu’il se réclame du libéralisme, il institue un système éducatif étatique que même les régimes communistes auraient pu lui envier ! Pour dépenser 400 € par enseignants de CE1 et CM2 (quelques dizaines de millions), alors que les caisses sont vides (vous devez être au courant !), il faut que l’enjeu soit diablement important, comme celui de sauver les banques.
- Ce qui est mis en place au fur et à mesure des réformes, c’est l’accentuation de la machine industrielle tayloriste qu’est le système éducatif. Que dans chaque maillon du collège, le contingent d’élèves soit parfaitement uniforme et conforme. Cela a été réclamé à cris d'effroi médiatiques par les OS enseignants des SOS de tous poils, promus depuis en contremaîtres ministériels. Pour ce faire, standardisation des opérations à effectuer dans chaque maillon : « faites ce que vous voulez… mais faites B A BA ». Et cette fois, il s’agit que le filtre de contrôle qui vérifie la conformité des pièces soit bien mis en place, simultanément et sans failles. Collèges et lycées pourront redevenir ce qu’ils étaient il y a un ou deux siècles… et tout va baigner. Qu’est-ce qu’on faire de ceux que l’évaluation va rejeter ? Ah ! oui ! les ateliers de réparation appelés « soutien » ! ou ceux plus chics qui permettent le développement de nouvelles entreprises, juteuses au moins, elles. Si nous avions un industriel comme ministre de l’EN, un habitué de la productivité, il s’en étoufferait. Ce d’autant qu’on ne peut pas délocaliser ! encore que, on délocalise bien les mômes à tour de bras et sans états d’âme !
- Et la concurrence ! Ah ! cette fois nous sommes bien dans le credo libéral. Concurrence du marché et usage de la communication médiatique pour booster le marché. Le cours de la bourse… de l’éducation. On voit très bien en ce moment les effets… du marché ! Poussons l’inconscience en admettant les lois du marché. Il faut bien avoir des éléments pour « coter » les établissements où investir… son môme. Comme pour les traders, ça ne marche qu’avec des chiffres ! Il faut fournir des chiffres au marché. Cela a déjà commencé depuis quelques temps avec la bourse des lycées, cotés suivant le nombre de réussites au bac. Aujourd’hui c’est avec le nombre de médailles ! Il était temps que l’on puisse publier des chiffres concernant l’école primaire qui n’a même plus de certificat d’études à mettre sous la dent des éduca-traders.
Évidemment qu’avec cela le marché éducatif va retrouver le sourire. Les lois de la concurrence libérale vont naturellement s’appliquer : pas de résultats (ceux donnés par la bourse éducative qu’il faut prendre comme argent comptant comme ceux de l’autre bourse) ? Tu disparais faute de clientèle. Alors, comment on fait ce type de résultats ? Exactement comme dans l’autre bourse : tu pressures au maximum tes employés (pardon, tes élèves), tu trafiques les résultats qui vont être communiqués à tes actionnaires (pardon, aux parents), tu élimines tout ce qui risque de faire baisser tes résultats ou tu ne recrutes que le must du panier, tu ne fais plus que ce qui va pouvoir rentrer dans les chiffres (bachotage...)… tu vas dans le privé où là, au moins, on ne travaille qu’avec ce qui rapporte, en chiffre et en fric et qui fait grimper la cote. Tu pourrais peut-être revoir complètement ta façon de travailler et innover, puisque l’innovation, le marché aime ça. Pas du tout ! dans le service public éducatif on n’innove pas : tout le monde pareil, B A BA !
Au fait, les 400 €, pourquoi ? Serait-ce parce que poussant la logique de l’absurde à ce point, on craint que même les plus aveugles se rebiffent et ne jouent pas le jeu ? Quand, dans l’économie de marché, attribue-t-on des primes à des employés ?
Quelle chance nous avons d’être dans un monde civilisé.
PS : Je mettrais en ligne, d’ici quelques jours un extrait, plus sérieux, sur l’évaluation, extrait du « taylorisme scolaire à un système éducatif vivant » (éditions Odilon).