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Le blog de Bernard Collot
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20 janvier 2009

Evaluation : la grippe encore plus efficace que la désobéissance !

Et elle va peut-être éviter le ridicule absolu de Xavier Darcos, puisque, même avec 400€ de prime, un grand nombre d’enfants ne seront pas « évalués » !

 Je ne reviendrai pas sur les péripéties et l’absurdité de cette énième disposition mise en route par le ministère de l’Éducation nationale dénoncée à longueur de blogs.

 Toutefois, il est bien dommage que cela dissimule le fond du problème. Je reviens encore sur ce point.

 L’évaluation c’est bien un des éléments indispensables au fonctionnement de toute chaîne industrielle de production. Cela s’appelle contrôle de conformité qui doit s’opérer sur chaque pièce au cours des stades de sa production ainsi qu’au stade final. Je n’ose pas dire « contrôle de qualité », cette notion est d’ailleurs relativement récente dans l’industrie avec l’instauration des normes de qualité, elle n’existe pas encore dans la chaîne scolaire !

 Le fonctionnement de la chaîne scolaire en dépend. En dépendrait aussi la nature des opérations qui s’effectuent dans chaque maillon, voire la remise en question de la chaîne elle-même (ingénierie).

Depuis son origine, le système scolaire ne peut se passer d’évaluation puisqu’il est conçu à partir de ces « contrôles » (programmation, exécution, contrôle du résultat, poursuite des opérations de la chaîne)… et on n’arrête pas de se triturer les méninges pour en trouver une qui puisse être utile et significative ! Des notes sur 2O aux notes sur 10, sur 5, aux lettres, des « devoirs mensuels » aux contrôles continus, des certificats qui ne certifient pas grand-chose, aux diplômes multipliés et gradués, des carnets de notes aux bulletins, aux fiches évaluatives sophistiquées dont on ne sait même plus comment les remplir, l’histoire d’un système éducatif immuable se réduit à celle des fiches, signes, graphiques, chiffres, items, sensés déterminer la « valeur » de chacun des individus que le système doit formater. Accessoirement, la valeur des OS opérant dans ce système. Encore bien plus accessoirement la valeur dudit système quant aux finalités qui lui ont été attribuées. Encore que, on ne sache plus très bien quelles sont ces finalités : permettre que se construisent des adultes capables d’appréhender leur monde et d’agir sur lui ? Des citoyens ? Alimenter la machine économique suivant les contingents catégorisés dont elle a besoin ? Alimenter la machine à profits de travailleurs et de chômeurs soumis ?…

Et toute cette histoire n’arrête pas de faire le constat que l’évaluation n’évalue rien du tout ! L’évaluation n’a pas repéré la plupart des compétences qui ont marqué le monde, les exemples sont innombrables, un des plus célèbres étant le « cancre Einstein ». Elle a même dû en inhiber pas mal en frappant d’un sceau négatif tous ceux évalués comme non conformes. Quant à ceux que l’évaluation a sélectionné, ils se retrouvent bien dans les sphères supérieures du pouvoir, tellement sélectionnés comme conformes et bien formatés qu’ils sont dans l’incapacité totale de sortir de leur formatage pour traiter différemment ce qui leur est confié (ou plutôt ce qu’ils se sont octroyé) : nos politiques, financiers, éminences intellectuelles, sont en train de nous en faire une éclatante démonstration.

 Si l’on prend la fonction indicative globale de cette évaluation, on peut admettre qu’elle soit utile pour apprécier l’efficience de ce qui est mis en place. Mais ce n’est pas au cours de la conception et de la production qu’elle doit avoir lieu : on n’a pu s’apercevoir de l’utilité et de l’intérêt d’une 2CV, que lorsqu’elle a été utilisée par des milliers de personnes ! ce d’autant qu’elle a été le fruit d’un hasard (ce n’était qu’un prototype d’essai !). L’évaluation doit alors être décalée pour juger des effets du système par rapport aux finalités qui lui ont été assignées (voir plus haut). Et l’évaluateur ne peut être celui… qui est évalué, l’Éducation nationale en l’occurrence ! le mode d’évaluation ne doit pas non plus être la reproduction du mode de production.

Une telle évaluation existe, c’est PISA ! elle ne s’effectue pas au cours du processus mais à la sortie du système. On peut toujours la critiquer et l’améliorer, mais elle a l’intérêt de tenter de constater les effets produits dans le domaine des capacités et des compétences réutilisables et non pas dans la récitation de notions ou mécanismes appris. Mais lorsque ces résultats ne sont pas conformes aux attentes, pire, lorsqu’ils démontrent que ce sont des conceptions éducatives différentes et les systèmes qui en découlent qui aboutissent à de l’efficience (Finlande), alors ils sont délibérément ignorés et l’évaluation qui les a révélés carrément dénigrée.

Et même si l’on utilise nos propres évaluations nationales, on se garde bien de tirer la moindre conséquence des résultats qui troubleraient le système et ceux qui y évoluent. Ainsi, les évaluations mises en place, fin des années 80, ont révélé que les résultats des classes uniques étaient supérieurs à la moyenne nationale. Là où le taylorisme scolaire pouvait le moins bien fonctionner, là où les conditions paraissaient les moins bonnes, où c’était anormal… que ça marche. Là où l’on se rapprochait… de la Finlande ! Croyez-vous que l’on se soit penché sur ce phénomène, sur cette révélation de l’évaluation, que l’on ait pris un temps pour essayer d’en comprendre les raisons avant même d’en tirer les conséquences ? Pas du tout ! cela aurait remis en question « toute la politique des dernières décennies » ainsi que l’a avoué un inspecteur général (Ferrier 1993). Pas question qu’une évaluation remette en cause quoi que ce soit : on a continué l’éradication de plus belle !

 Si on prend la fonction individuelle de l’évaluation, prise comme un exercice isolé, que peut-elle révéler, en quoi peut-elle être utile aussi bien à l’enfant qu’à l’enseignant ? De façon générale elle révèle l’échec pour le premier, l’échec du premier aux yeux du second et des parents (alors que l’échec, selon toute logique, devrait être imputé aux enseignants et à l’école) ! cet échec (à un contrôle !), devenant une identité (l’enfant devient « celui qui ne suit pas » « celui qui est en difficulté »). Elle révèle que des notions ou des connaissances du programme ont été éventuellement mémorisées momentanément ; ce qui ne signifie pas qu’elles recouvrent des compétences réelles qui seront réinvesties hors du cadre où elles ont été mémorisées, et qui ne rendent pas compte des compétences acquises par ailleurs, y compris celles requises qui ne vont pas s’exprimer dans la réalisation d’un test.

En général, l’évaluation ne produit aucune remise en question des pratiques, des conceptions, des approches, de l’environnement scolaire, de l’acte éducatif lui-même. Encore moins celle du système. Tout au plus une tentative d’ajustement du contenu : un peu moins de ceci, un peu plus de cela. La mise en place de « remédiations » (on remédie à quoi si ce n’est à l’échec de l’école ?). Une louche de plus pour ceux qui ne « satisfont » pas à « l’épreuve » !

Xavier Darcos rend de grands services à l’école : en poussant, à la suite de ces deux prédécesseurs, la logique scolaire jusqu’à l’absurdité, il met en pleine lumière cette logique. Protester, manifester, désobéir seulement parce que ces évaluations en particulier sont mal faites, mal présentées, demandées au mauvais moment, évaluent un programme pas encore en place… pour en demander de mieux faites, c’est aller dans son sens.

Ne pas protester aussi !

C’est bien le piège dans lequel sont enfermés enseignants, parents, citoyens et même les critiques habituels de l’école.

Ce qui est en cause c’est toute la conception de l’école, de ses finalités (à affirmer ou réaffirmer sans ambiguïté), c’est ce que sont des apprentissages fondamentaux et la façon dont ils se construisent, la fonction et le rôle des enseignants dans l’acte éducatif auquel participent d’autres acteurs, la remise à plat totale d’un système éducatif qui ne peut assurer aucune finalité acceptable. À refuser toute remise en question aussi bien professionnelle, qu’intellectuelle, qu’institutionnelle, à ne pas en faire le cœur d’une lutte qui ne s’adresse pas qu’au pouvoir en place, tout le monde se condamne à subir encore longtemps une logique très peu différente de celle dans laquelle s’inscrivent les résistances actuelles… et ses conséquences qui ne pourront que continuer à s’accentuer.

L'évaluation n'est qu'une pièce d'une machinerie.

Commentaires
A
Il va être bien difficile d'obtenir de nos collègues qu'ils ne fassent pas passer ces évaluations.<br /> La culture du contrôle est bien trop intérieure (inférieure aussi, ce n'est pas une faute de frappe) pour qu'il envisagent même de ne plus évaluer dans leur classe.<br /> Je pratique aussi, de moins en moins et de plus en plus mal, l'évaluation de mes élèves.<br /> Je ne suis pas loin d'y renoncer totalement tellement c'est inutile.<br /> Par contre, évaluer chaque jour, chaque semaine, chaque période mon propre travail d'instit, réfléchir à la place que je devrais occuper dans ce groupe, mesurer l'intérêt des paroles et des actes que je pose ou que j'impose...c'est là que tout doit se jouer.<br /> Et plus je prends de recul, de distance par rapport au fonctionnement du groupe et plus ils produisent d'intelligence collective.<br /> C'est un rôle de chef d'orchestre fait d'écoute et de propositions d'ajustements divers...comme pour régler finement, à l'oreille, le moteur d'une vieille guimbarde à carbu.<br /> Nous sommes des bricoleurs de l'éducation, nous ne produisons rien sinon le bonheur de rendre accessible les merveilles de la connaissance et de la communication.<br /> Abes
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B
Mon cher dubitatif, vous auriez dû explorer plus longuement mon site !<br /> Oui je ne me suis jamais soucié, au cours des 20 dernières années professionnelles, des paperasseries évaluatives ! Pour l'entrée en 6ème, il suffisait de mettre un cahier vide dans l'enveloppe qui passe de mains en mains dans la commission, pour le poids. Ce qu'il y a à l'intérieur, n'était jamais regardé.<br /> Mais je n'arrêtais pas d'évaluer, de m'évaluer ! Cela est possible lorsque les enfants sont sans cesse dans des activités résultant de projets personnels, de projets induits, provoqués, suggérés par l'environnement et la vie de la classe. On est alors constamment dans l'observation de l'utilisation des langages nécessaires à tous projets, de leur construction, observation à partir de laquelle s'élabore l'aide à apporter... et de nouveaux constats... et de nouvelles aides. La même situation que pour une mère ou un père de famille dans l'évaluation de la conquête de la parole ou de la marche par leur enfant. Simplement un peu plus complexe,un peu plus technique, un plus professionnel, sans plus !<br /> Et je n'arrêtais pas d'être évalué ! par les parents pour qui il suffisait de faire monter leurs mômes dans les cars de ramassage passant devant leur porte pour aller à l'école du chef lieu. Par le collège lui-même et mes anciens élèves dont je suivais les parcours pendant et après le collège... et qui revenaient en classe ou que je rencontrais dans le village. L'évaluation globale, elle était là. Et cela a duré 35 ans, 20 pour moi, 15 pour le collègue qui a pris la suite.
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D
Allons, Monsieur l'instituteur, je viens de voir sur votre site que vous avez enseigné jusqu'en 1996. Vous n'allez pas me faire croire que vous n'avez jamais évalué, jamais rempli les évaluations demandées pour l'entrée en 6ème ! que les parents ont accepté cela sans rien dire !
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