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Le blog de Bernard Collot
Le blog de Bernard Collot
Derniers commentaires
30 septembre 2011

Très important : Le trait à cinq carreaux de la marge

Première rédaction à faire. Mon fiston se lance avec une certaine passion dans l’exercice, écrit plusieurs soirs de suite dans son lit, pond quatre pages dont il semble très content. Je suis personnellement ravi de le voir aimer écrire. Et même de s’appliquer dans la forme, ce qui est tout nouveau.

Tout fier, bien avant la date fatidique où ils doivent rendre leur copie, il apporte son « chef d’œuvre » à son prof.

« Tu devais laisser 5 lignes avant de commencer. Tu me recommences cela ! »

Vous imaginez sa tête ! Et la tête de son père !

Ces cinq lignes blanches oubliées devaient probablement être importantes, fondamentales, éducatives, capitales dans l’apprentissage. Pourquoi ? Il n’en savait fichtrement rien et son père, pourtant expert, non plus.

« - Si tu veux, tu ne le refais pas et tu verras bien, même s’il te met une mauvaise note pour cela, ce n’est pas grave.

- Oui mais à tous les coups il m’obligera quand même à la recopier avec cinq lignes blanches ! »

Je reconnais que, pour cinq lignes blanches, ce serait rentrer d’emblée dans la rébellion. Avec ses risques à court et long terme. Le refaire, c’est accepter la soumission absurde. Dans tous les cas, l’autorité de ce prof qui aurait dû lui être conférée par ses capacités à aider, au moins dans son domaine, ne reposera plus que par sa force de coercition. Et l’essentiel ne sera plus alors que la discipline sans que plus jamais les raisons éventuelles de la discipline ne soient perçues.

Ce qui avait été un investissement, un plaisir, devient une corvée, est transformé de facto en punition. Une injustice qu'il est bien difficile de ne pas considérer comme réelle. Il aura intérêt dorénavant à se débarrasser de ses rédactions sans excès de zèle… avec cinq lignes blanches plus jamais oubliées.

On peut se demander quelles pouvaient bien être les motivations de ce prof.

Imposer d’entrée ce qu’il pense probablement être de l’autorité ? L’oubli de sauter des lignes devenant alors le refus de sauter des lignes. « Il faut mettre tout de suite les enfants au pli »,… pour ne pas être ennuyé ensuite, c’est ce qui se dit couramment dans les salles de prof, dans les conseils avisés, et même qui est admis comme bonne pratique par la majorité des parents. Comme chez les marines. Et après tout le monde de se plaindre qu’il n’y a plus rien sous les plis.

On peut se dire aussi que peut-être ces cinq lignes avant le texte étaient réservées pour les annotations du prof. Peut-être plus pratique qu’elles soient toutes au même endroit dans la pile de copies à rendre et à commenter. Admettons. Mais l’infime dérangement professoral de cette première copie aurait pu simplement justifier un « Pense la prochaine fois à ne pas oublier les cinq lignes, cela m’arrangerait », ce qui aurait été très probablement la réflexion qu’il aurait faite si l’auteur de la copie avait été n’importe quel adulte.

Résultat : l’enthousiasme que chacun sait pourtant nécessaire dans n’importe quel apprentissage, dans toute acceptation d’une action proposée ou imposée « pour son bien », a été plus que refroidi ! Mais je ne suis pas certain que provoquer l’enthousiasme ou ne pas l’étouffer fasse généralement partie des soucis pédagogiques, que cela soit même considéré comme important. Ce d’autant que l’enthousiasme peut toujours faire déborder des cadres… des lignes à sauter !

 Encore un détail ! Pourquoi se prendre la tête et faire une montagne de petits détails ? Peut-être que ce prof va se révéler intéressant, bienveillant par la suite. Peut-être l’est-il. Mais d’emblée il aura plus de mal à être perçu ainsi. Et de se plaindre ensuite « que l’autorité n’est plus respectée » ou que les enfants, pardon les élèves, ne s’impliquent pas dans ce qu’on leur demande de faire.

Si l’école fait l’objet de débats, de polémiques sur ses échecs, ses moins bons résultats qu’ailleurs, c’est dans la multitude de petits détails soi disant insignifiants qu’elle se révèle, qu’elle révèle son essence en même temps que son absurdité. Bien plus que dans les grandes évaluations nationales. Les détails qui échappent à ceux qui en sont à l’origine. C’est peut-être le plus inquiétant.

 « Le trait à cinq carreaux de la marge », c’est plus important que ce qu’il y a sous le trait !

Commentaires
B
Bien sûr PMB. Je ne discute pas des raisons toutes aussi justifiées, pragmatiques les unes que les autres. Je prends simplement des exemples anodins qui peuvent être pris et sont pris différemment suivant de quel côté on se trouve de la barrière, de quelle façon on les regarde. Souvent on n'imagine peu les impacts qu'ils peuvent avoir, la façon dont ils sont reçus, les conséquences à plus long terme sur ce qui devient sans qu'on le veuille un formatage.<br /> La difficulté est toujours de se centrer sur l'événement que l'on considère et pas sur les personnes qui se trouvent instigatrices de l'événement, le plus souvent à leur corps défendant.<br /> Cordialement
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P
//On peut se dire aussi que peut-être ces cinq lignes avant le texte étaient réservées pour les annotations du prof.//<br /> <br /> C'est exactement ce que je demandais, en plus de la marge "à deux carreaux"... en expliquant aux élèves ! Ces annotations étaient pour moi capitales car c'était le seul moyen d'aider concrètement l'enfant à progresser. Toute exigence doit être motivée.<br /> <br /> Puis-je ajouter qu'en cette matière il y a pire à exécuter ?<br /> <br /> Je n'ai jamais obligé un élève à recopier son travail pour une raison aussi ponctuelle, mais il est possible que j'aie retiré un demi-point (pas huit, c'est n'importnavak même si on doit rester exigeant pour l'orthographe !)
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F
En tant qu'enseignant, n'est-il pas possible de gagner progressivement de la liberté en élargissant tout doucement son périmètre de sécurité, surtout que vous avez encore la liberté pédagogique?
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B
Francine,<br /> <br /> Ça fait 7 ans que je suis instit' et je trouve que l'oxygène devient une denrée rare dans l'éducation nationale.<br /> <br /> Pour ce qui est de "la marge", là, il n'y a rien à faire. A la moindre remarque ou allusion, l'enseignant se transformera en hérisson et rétorquera qu'il a sa liberté pédagogique pour lui. <br /> <br /> Concrètement, ce n'est même pas la peine d'envisager de discuter de ça. Celui-ci aurait trop peur de passer pour un "faible" aux yeux de tous en reconnaissant que son histoire de marge est exagérée.<br /> <br /> En ce qui concerne l'injection de plus de liberté dans le système...A part essayer de ne pas être trop con dans sa pratique professionnelle avec ses élèves, je ne vois pas ce qu'il est possible de faire.<br /> <br /> Je pense aussi que c'est l'institution qui rend les enseignants cons...<br /> D'ailleurs moi-même, je me trouve beaucoup plus con qu'il y a 7 ans.;)<br /> <br /> Sérieusement, je me protège de plus en plus et j'ouvre le parapluie. Je deviens rigide dans mon intérêt.<br /> <br /> C'est une réalité.<br /> <br /> Bref, j'ai un peu digressé...désolé.<br /> <br /> Cordialement,<br /> <br /> Benjamin Barbier
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F
Mais comment crois-tu que l'on puisse introduire un peu de liberté dans le système? Par exemple, s'agissant de la marge à 5 carreaux, comment se positionner pour que subrepticement on injecte un peu d'oxygène dans le système?
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