Rythmes scolaires : Souvenez-vous du tiers-temps pédagogique !
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Il suffirait de faire un copié-collé !
Il suffirait de faire un copié-collé !
Je pense que ministre, enseignants, parents vont finir par comprendre que la solution du problème des rythmes n’est pas, au moins pour l’instant, dans le décompte des demi-heures à enlever, de savoir qui va faire quoi et comment dans ce petit morceau mathématique de temps.
Ce qui est étonnant, c’est que le problème des rythmes a été presque résolu (presque !) à une époque… de l’Éducation nationale.
1969 : L’Éducation nationale instaure le tiers-temps pédagogique. Grosso modo la journée scolaire est répartie en trois grands temps. Celui des apprentissages fondamentaux (l’écrire-lire et les mathématiques), celui des disciplines d’éveil (ce qui concerne les sciences, l’histoire, la géographie, les activités artistiques), celui de l'éducation physique qui intégrait aussi bien les sports-co que la danse. À noter qu’à cette époque l'éducation physique relevait directement du ministère des sports, séparé de l'Éducation nationale. Or ses conseillers qui intervenaient directement dans le cadre scolaire avaient une approche globale et humaniste de l’éducation physique. Ce sont eux d’ailleurs qui m’ont permis à cette époque d’inscrire pour la première fois des rencontres USEP autogérées par les enfants dans la semaine scolaire.« (…)intégrer une éducation physique et sportive qui ne soit ni une simple détente, ni un luxe, ni seulement une hygiène, à l’œuvre globale d’éducation de l’enfant (…) » (1)
L’expression « disciplines d’éveil » n’était pas neutre. On insistait à l’époque sur le fait qu’il fallait aborder l’histoire, les sciences, la géographie de façon active et non plus sous la forme de savoirs à mémoriser chronologiquement ou suivant des progressions préétablies. On avait compris que le plus important était de développer les capacités à aborder des notions, de pouvoir s’approprier des savoirs, d’éveiller les esprits dans tous ces domaines. On avait compris que l’essentiel était de pouvoir mettre en relation des informations, de situer des événements dans un temps passé à construire par rapport au temps présent (histoire), de construire ses capacités dans la pratique des essais, « montrer que la communication, la réflexion et l’expression sont toujours possibles par le biais d’une meilleure connaissance du milieu » (1)… Ce qui était avant matière (histoire, géographie, sciences) devait contribuer de la même façon à la construction de l'intelligence.
S’il était conseillé (juste conseillé !) que les apprentissages fondamentaux se situent le matin, il était admis qu’ils se poursuivent, s’utilisent, se justifient dans les disciplines d’éveil.
De ce fait, s’il y avait toujours un programme, celui-ci était beaucoup plus une référence qui pouvait guider. Il n’était plus une pression, sur les enseignants et les enfants, une pression sur le temps et son emploi, tout au moins beaucoup moins.
De ce fait l’individualisation des parcours d’apprentissage se situait en grande partie dans les activités issues des projets des enfants. Ceux-ci pouvaient inscrire leurs propres processus et rythmes cognitifs dans des activités dont ils étaient les auteurs. « L’enfant auteur de ses apprentissages » a écrit le neurobiologiste et chronobiologiste Hubert MONTAGNER dont on ne retient aujourd’hui qu’un autre découpage horaire à faire ou de minutes à enlever.
De ce fait, les rythmes biologiques des enfants pouvaient s’inscrire beaucoup plus naturellement dans une journée où le découpage du temps était beaucoup moins linéaire, beaucoup plus souple, beaucoup moins pressant. On redonnait du temps au temps, à tous les temps, celui de la vie des enfants, celui des apprentissages… celui des enseignants !
À la même époque se développait par endroits la transformation des cantines en restaurants d’enfants (les premiers en milieu rural dans le Beaujolais en 1963). Il ne s’agissait pas que de l’aménagement des locaux, du déroulement des repas, il s’agissait aussi d’organiser différemment ce fameux temps méridien qui entoure le repas. Lieux de détente, d’activité tranquille et/ou de défoulement, de sieste, de promenade, d’écoute de musique… Même les enseignants traditionnels appréciaient l’après-midi qui s’en suivait.
Bien sûr que beaucoup d’enseignants ont continué à faire le matin de façon frontale lecture, calcul. Beaucoup d'enseignants ont continué l'après-midi de suivre tant bien que mal un programme dans ce qu'ils conservaient comme "matières". Beaucoup d'enseignants ont quelque peu torpillé l'éducation artistique, l'éducation physique pour pouvoir faire LEUR programme.
Bien sûr que beaucoup d’exposés (activités d’éveil) d’enfants affichés dans les conférences pédagogiques avaient été faits beaucoup plus par les enseignants que par les enfants, certains ayant surtout tenu… les ciseaux.
Bien sûr que Jeanne d’Arc, la date de la bataille de Marignan ou la liste des victoires de Napoléon n’étaient pas forcément connues. Mais cela est-il mieux connu aujourd’hui où ils l’apprennent ? Et cela est-il grave pour un enfant de 12 ans ? N’est-ce pas parce qu’ils ne se sont pas construit les capacités d’apprendre quand il fallait qu'ils le fassent que l’on reproche aujourd’hui aux jeunes leur ignorance ?
Bien sûr, bien sûr… Il fallait, il faut toujours du temps, toujours le temps, pour que tout se mette en place, que les comportements changent. Les Finlandais, eux l’ont compris. En tout cas, dans cette courte période, les enseignants du mouvement Freinet ont été quelque peu libérés.
Ah ! Mais !
Mais cela enlevait à chaque enseignant la notice d’emploi que sont les programmes qui les transforment en OS. « Donnez-nous des programmes, plus de programmes, moins de programmes, d’autres programmes… mais des programmes à suivre ! ». Cela les obligeait à prendre ce qui est considéré comme un risque : des initiatives. Cela les obligeait à inventer une autre pédagogie. Cela les obligeait à suivre les enfants dans un parcours qui n’est plus jalonné par ce que les programmateurs experts ont prévu pour tous.
Mais cela gênait aussi le contrôle et l’évaluation paperassière et chronologique de l’administration. Cela devenait beaucoup moins facile d’être inspecteur.
Lorsqu’un ministre, de gauche, Chevènement, a sifflé ce qu’il a osé appeler la fin de la récréation, cela a presque été un ouf ! général, sauf pour les pédagogies actives à nouveau brimées..
Les enfants de cette époque n’auraient-ils pas appris à lire et écrire, sont-ils devenus des handicapés intellectuels, des incultes ? N’auraient-ils pas, à cause du tiers-temps pédagogique, poursuivi des études, réussi leur vie personnelle et sociale ? En avez-vous entendu le dire devenus adultes ? Aujourd’hui ? D’ailleurs, les enfants qui, à la même époque, ont « subi » la réforme des « maths modernes » (que l’on a pris comme une nouvelle mathématique alors qu’il s’agissait d’une autre conception de son apprentissage (2)) ont-ils été des illettrés mathématiques ? Ont-ils été des handicapés des maths devenus adultes ? Dans sa marotte des évaluations, l’Éducation nationale s’est bien gardée de chercher quels effets ces courtes réformes avaient eus à long terme. C’est plus prudent !
Je ne résiste pas au plaisir de citer quelques extraits de la circulaire de lancement de ce tiers-temps pédagogique. Les soulignements sont de moi.
« Il y a lieu toutefois de distinguer parmi ses dispositions celles qui sont d’application immédiate (libération du samedi après-midi et possibilité correspondante de perfectionnement pédagogique des maîtres) et celles qui, en définissant de nouveaux horaires, ouvrent la voie à une transformation graduelle de l’enseignement pré-scolaire et élémentaire.
(…) il (l’arrêté) n’impose pas une transformation subite et générale qui ne tiendrait compte ni des possibilités diverses d’attention des élèves suivant leur âge, ni de la structure des classes, ni des contingences du milieu de vie des enfants.
(…) Les expériences de tiers-temps pédagogique qui ont eu lieu depuis 1964 apparaissaient jusqu’alors comme des tentatives sporadiques soumises à autorisation. Désormais, cette autorisation ne sera plus indispensable pour la pratique des horaires définis par l’arrêté du 7 août 1969. Mais il est évident que des aménagements seront, dans la plupart des cas, nécessaires avant de parvenir à une application stricte d’un texte qui vaut surtout par l’ouverture qu’il offre à l’imagination créatrice des maîtres et à la recherche pédagogique.
(…) faire tomber les cloisons étanches qui avaient pu être établies entre les diverses disciplines, dépasser la notion contraignante de programme, voilà ce qui semble actuellement possible et souhaitable dans une école que la réforme de 1959 a rendue préparatoire, mais qui demeure essentielle parce qu’elle atteint l’élève à un moment crucial de sa vie.
(…) Les corps d’inspection animeront et coordonneront toutes les tentatives auxquelles l’arrêté donnera lieu.(…) ils suivront toutes les activités de concertation auxquelles les maîtres sont plus que jamais conviés.
(…) En d’autres termes, l’arrêté du 7 août 1969 n’est pas une mesure rigide sacrifiant à un modernisme incontrôlé ; c’est, dans son laconisme, un texte propre à engendrer le mouvement et à permettre le progrès pédagogique grâce à des adaptations successives pour le plus grand bien des élèves dont l’enseignement préscolaire et élémentaire a la responsabilité.
Le directeur général, directeur de la Pédagogie, des Enseignements scolaires et de l’Orientation, H. Gauthier
La France était presque la Finlande d’aujourd’hui ! Mais il n’y avait pas d’études PISA pour conforter le bien-fondé de ce qu’elle faisait ! D’ailleurs, la Finlande a entrepris sa refondation à peu près à la même époque, mais elle n’a pas eu de Jean-Pierre CHEVENNEMENT qui l’a interrompue brutalement ! À noter : 1969, un ministre de centre-droit, Edgar FAURE, 1981, un ministre de gauche qui tente de relancer la rénovation, Alain SAVARY, 1984, un ministre de gauche, identique aux ministres de droite de la dernière décennie, qui met fin définitivement à tout ça, Jean-Pierre CHEVENNEMENT.
Au lieu de s’épuiser et d’épuiser tout le monde avec des découpages horaires impossibles, Vincent PEILLON n’aurait qu’à faire du copié-collé !
(1) Circulaire du 2 septembre 1969 sur l’application de l’arrêté du 7août 1969
(2) In « Chroniques d’une école du 3ème type » ou dans « L’école de la simplexité »