Aventure du 3ème type : 1990, Roumanie, révolution
Une autre aventure qui date de 1990 au sein du réseau d'écoles qui a pris, elle, une ampleur... hexagonale ! En filgrame il y a aussi l'irruption de la guerre, des conflits, de la situation des autres dans le monde de ces enfants, ceci directement par l'intermédiaire de ces "autres" qui sont des enfants comme eux. Il y a aussi ces enfants qui prennent en main ce qu'ils pensent juste... et qui mobilisent des adultes,et même une ville. Cette aventure pourrait être d'actualité.
Extraits de "La fabuleuse aventure de la communication" (TneBookEdition.com)
« Un livre, un cahier, un crayon et un nounours pour nos copains roumains de Cluj »
Un jour de juin 1986 je reçois une lettre d’Emilia IETZA, professeure de français à Cluj en Roumanie. Elle avait trouvé mes coordonnées dans une revue pédagogique… soviétique ! Je n’ai jamais su comment mon nom et mon adresse avaient pu se retrouver là-bas. Emilia cherchait pour sa classe de collège et la pratique de notre langue des correspondants en France. Je pensais que cela pouvait intéresser les profs de collège du réseau et je lançai l’information sur la liste de diffusion. Au bout d’une quinzaine de jours mon message n’ayant pas provoqué de réactions et ne voulant pas laisser cette professeure sans réponse, je lui proposais alors ceci :
« Nous sommes une classe d’enfants de 4 à 10 ans. Je sais bien que cela ne correspond pas à vos élèves, mais nous pouvons vous envoyer régulièrement notre journal, La Fourmilière, cela fera des textes assez simples pour vos élèves apprenant le français, rien ne les oblige à nous écrire. »
Ce qui fut fait à la rentrée. Et nous reçûmes une première lettre de Roumanie qui enclencha des échanges. Les échanges entre des enfants et des adolescents étaient toujours surprenants. Avec le collège de Cluj, c’étaient surtout les filles qui prenaient un peu les petits sous leurs ailes. Avec celui de Montevidéo c’étaient plutôt les garçons qui commentaient, conseillaient tout ce qui se rapportait aux expériences scientifiques. Avec un lycée de Barcelone c’étaient des échanges de créations d’affiches qui devenaient le support de l’expression… et des revendications !
. Leurs lettres étaient assez stéréotypées mais la Roumanie était sous le joug de Ceausescu et je savais que le courrier était surveillé et ouvert. Notre journal ne devait pas trop avoir l’aspect d’un journal puisqu’Emilia me raconta plus tard que c’était la seule revue « étrangère » qui avait échappé à la censure. C’était une correspondance très tranquille qui ne nous prenait pas beaucoup de temps, mais nous publiions leurs lettres ou des extraits dans La Fourmilière sous la rubrique « nouvelles de Roumanie ». Les classes de notre réseau connaissaient donc les roumains, mais aucune ne leur avait écrit de leur côté.
Les échanges continuaient leur bonhomme de chemin, lorsqu’un matin du 17 décembre 1989, Mélanie arriva à l’école en pleurant : « J’ai entendu à la radio qu’en Roumanie ils sont tous morts ! Peut-être que nos correspondants aussi ! ». Il est vrai qu’à cette époque la révolution roumaine faisait tous les jours la une de tous les médias et la politique rentrait brutalement et concrètement dans la vie des enfants. L’émotion était très grande, amplifiée encore par l’impossibilité de savoir. Un message fut envoyé immédiatement au réseau et ces roumains, connus auparavant par ce que transmettait "La Fourmilière" devinrent les roumains de tout le monde.
Je passais une dizaine de jours au téléphone pour tenter d’obtenir des nouvelles : ambassade, consulat, associations de roumains en France… et, par l’intermédiaire d’une professeure d’Université d’origine roumaine, je parvins à faire parvenir un télégramme à Emilia. Lorsque le 5 janvier je reçus enfin une lettre attestant que tout le monde était vivant, vous imaginez le soulagement et la joie, non seulement des enfants de la classe, mais aussi des parents pour qui les petits roumains étaient devenus un peu les leur, et de tout le réseau immédiatement informé. Cette lettre était particulièrement émouvante. En voici quelques extraits :
« J'ai reçu votre télégramme le 30 décembre. Je vous remercie pour la bonne pensée que vous avez eue pour moi, pour nous, les Roumains. Je remercie aussi toutes les classes prêtes à collaborer à des échanges amicaux. Je suppose que maintenant, grâce à la radio et aux chaînes de la télévision française, vous connaissez tout le tragique des événements de l'histoire contemporaine des Roumains. C'est à peine aujourd'hui que je peux vous écrire en parfaite liberté, que le droit de communiquer avec n'importe qui est officiellement reconnu.
(…) C'est pour ça que nous n'avons pu vous parler de notre vie telle qu'elle était, que nous devions nous contenter d'aborder des sujets neutres qui ne pouvaient pas décrire les réalités quotidiennes.
(…) Vous devez connaître maintenant les conditions dans lesquelles nous avons travaillé, mieux dire, comment avons-nous fait des efforts surhumains pour survivre, pour percer l'obscurité effrayante dans laquelle la dictature voulait nous maintenir. Imaginez un groupe de quarante élèves environ travaillant dans une salle de classe où la température ne dépassait pas 6oC en hiver, des enfants affamés, mal habillés, employant des manuels scolaires édités quinze années auparavant, des enfants qui s'efforçaient de s'instruire malgré tout ça, des enfants qui nous faisaient pleurer à la sortie de la salle de classe.
(……………………..)
Je lus bien sûr la lettre aux enfants. Ce fut encore un choc, cette découverte d’une vie qu’ils ne pouvaient imaginer. Chacun emmena la lettre photocopiée à la maison. Je la faxais moi-même à toutes les écoles du réseau, je l’envoyais aux quotidiens et les collègues du réseau faisaient de même si bien qu’elle fut publiée par la plupart des journaux régionaux.
Et le 20 janvier nous reçûmes les premiers textes vraiment libres écrits en Roumanie depuis deux décennies.
Quand j'ai vu du sang sur les trottoirs, j'ai eu mal. Ensuite, autour des taches de sang on a allumé des bougies. C’était bien triste. Angèle
J’ai eu très peur les jours de la Révolution. Des enfants ont été fusillés. Les coups de canon étaient les plus terribles. Ils faisaient beaucoup de bruit. Marius
Les enfants aussi ont participé à la révolution. Les fêtes de Noël étaient proches. Dans la resserre il n'y avait rien.Alors nos parents sont sortis dans la rue. Ils criaient "du pain, de la liberté". Nous les avons suivis. La révolution étaient commencée.Léa
Nouveau choc. Il fut psychologiquement atténué parce que dans un de ces textes, un enfant expliquait qu’ils devaient se prêter les crayons pour écrire. « Il faut leur envoyer des crayons, des livres… ! ». L’émotion devient positive quand elle se transforme en action. « Si tout le monde leur envoyait un crayon, ils en auraient beaucoup ! » Et c’est dans l’enthousiasme cette fois que les enfants engagèrent une véritable opération « Un livre, un cahier et un crayon pour nos copains roumains de Cluj » auquel fut rajouté un peu plus tard « et un nounours » lorsque Mélanie nous dit un matin qu’elle avait vu à la télé une émission sur un orphelinat roumain.
Les premiers textes libres roumains avaient bien entendu été publiés immédiatement sur "la Fourmilière" et étaient à nouveau répercutés par les autres journaux des écoles du réseau. Et les enfants lancèrent leur idée sur la liste de diffusion.
Il faut dire que le gouvernement français avait à l’époque décrété la franchise postale pour les colis en direction de la Roumanie. Une nouvelle fois les enfants sollicitèrent leurs amis journalistes comme le firent d’autres écoles et leur opération fut à nouveau signalée dans les quotidiens régionaux. Toute la France ou presque devenait au courant. Des associations qui organisaient des convois humanitaires nous contactaient. Un professeur de Français de Apt mobilisa son collège et fit détourner un convoi par Cluj, chargé de livres et de friandises du sud-est.
Un jour je reçus un coup de téléphone, pendant la classe, de la mairie de Châtellerault où je connaissais bien le responsable de l’éducation, Bernard RABY. Le maire de Châtellerault était Edith CRESSON, alors aussi ministre : « Bernard, Edih CRESSON vient d’apprendre qu’il se passait quelque chose sur le serveur télématique de la ville. Elle vient de m’appeler de sa voiture, tu as un quart d’heure pour me dire ce que vous voudriez que la ville fasse ! ». Conciliabule rapide.
- Il faut qu’elle envoie un camion plein de choses !
- Quoi ?
- Des ordinateurs, des photocopieuses, de la peinture…».
Ce qui fut fait ! Les enfants informaient les autres par tous nos moyens de communication et ceux-ci répercutaient à leur tour. Les dons affluaient de toute part, des entreprises s’y mettaient. Le convoi partit en février. L’accompagnatrice est venue nous raconter l’arrivée à Cluj, la joie des enfants, l’accueil des profs… ce qui était une fois de plus retransmis à tout le monde par l’intermédiaire et des journaux scolaires et de la liste de diffusion.
Ce furent plus de mille colis qui arrivèrent à ce collège. Emilia me raconta par la suite qu’il fallait qu’elle aille tous les jours à la poste avec une charrette parce qu’on ne voulait pas lui donner un colis sans qu’elle ait signé un papier !
Edith Cresson qui comme tout politique cherche à avoir un retour sur ses actions, organisa très rapidement un colloque à Châtellerault sur la solidarité internationale dont Emilia fut la vedette et faisait ainsi son premier voyage en France. La classe de Moussac aussi puisqu’elle y fut invitée officiellement. Cette bande d’enfants en culottes courtes détonnait quelque peu au milieu des messieurs et des dames très sérieux qui fréquentent habituellement ces manifestations, mais il y en eut plusieurs qui ne se démontèrent pas pour parler au micro.
On se doute que la correspondance avec Cluj a pris par la suite une autre dimension non seulement avec Moussac mais aussi avec d’autres écoles et même avec le lycée de Barcelone et le collège de Montevideo avec lesquels nous échangions déjà.
Dans cette histoire, les enseignants du réseau avaient été autant touchés que les enfants. Touchés par leur collègue roumaine. Je lançais alors l’idée de la faire venir en France pendant les vacances et de l’héberger à tour de rôle. Il a fallu choisir dans toutes les propositions celles qui pouvaient lui faire exécuter un trajet dans tout l’hexagone. Et c’est ainsi qu’Emilia passa les deux mois de l’été 1989 chez les uns et les autres avec chaque fois de grands moments d’émotion.
Au bout de deux ans les échanges ralentirent : partout les enfants n’étaient plus les mêmes, n’étaient plus dans la même histoire. Mais qu'elle ne fut pas ma surprise quand, cinq ans plus tard, j’appris que la classe de Georges BELLOT du collège de Vedène avait reçu les collégiens de Montevideo. C’était au cours de l’aventure roumaine à laquelle les uns et les autres avaient participé qu’ils avaient noué les premiers contacts.
La vie dans le réseau télématique était imprévisible comme ses rebondissements.
(Il me faut rajouter que la liste de diffusion des enfants qui comprenait jusqu'à 300 classes était doublée en parallèle par la liste des enseignants du réseau. A l'intérieur de ce vaste espace, se constituaient des réseaux plus restreints utilisant le journal, le fax, le courrier pour des échanges plus intenses. Nous savions ainsi ce qui était provoqué dans chaque classe, comment les enfants avaient réagi, ce qu'ils avaient fait... Nous étions dans une école planétaire)
B. Collot
Nous eûmmes beaucoup d'autres de ces aventures qui après coup se révèlent étonnantes, avec des enfants de Kiev après Tchernobyl, avec des enfants de la Réunion lors de l'éruption de la Fournaise, avec des enfants de la forêt amazonnienne, etc. Quelques-unes dans "La fabuleuse aventure de la communication" du mouvement Freinet à une école du 3ème type (TneBookEdition.com)(TneBookEdition.com)