Re-connaissance
J’insiste chaque fois sur l’importance de la re-connaissance, entre enfants, entre enfants et adultes, entre adultes. La re-connaissance passe aussi par l’empathie, celle-ci n’étant pas se mettre à la place de l’autre mais pouvoir percevoir ce que ressent l’autre et ce qui motive et justifie ses paroles et ses actes.
Mon ami et philosophe social, Laurent Ott, relie la naissance, évènement personnel, à la re-connaissance qui est « re-naître » avec les autres (con-naissance). Je dirais même que c’est une succession de nouvelles naissances dans des communautés, avec et de par les autres, la première étant la famille. C’est aussi se re-connaître par ce que les autres reconnaissent en soi. Mais il y a aussi le danger souligné par Lacan : l’image que les autres renvoient de vous peut vous enfermer dans ce qui n’est plus vous ou inciter à chercher à vous conformer à cette image. La re-connaissance implique d’accepter l’autre dans son être et non pas dans ce que l’on voudrait qu’il soit.
Il est reconnu aujourd’hui que cette re-connaissance, qui assure aussi l’état sécure de chacun comme des collectifs, est indispensable pour pouvoir se construire, évoluer, parmi, avec et par les autres (certains se contenteront de dire « apprendre » !). L’école du 3ème type est fondée sur la liberté d’être et de faire dans une communauté autonome, mais il ne suffit pas de la déclarer ou de la proclamer, il faut la rendre possible.
On me demande souvent le rôle de la clef de voûte de la structure dissipative qu’était la réunion quotidienne. J’insiste toujours pour expliquer que dans les premiers temps c’était uniquement d’aider chaque enfant à se re-connaître, à re-connaître les autres. La confiance en soi et aux autres dont on parle beaucoup passe par cela. Cela n’est pas forcément inné ou plutôt cela a pu être fortement perturbé par moult évènements, attitudes… et son contraire, la méfiance, peut être parfaitement justifié. Dans cette re-connaissance, le rôle de l’adulte est particulièrement important, évidemment pas seulement pendant le temps de la réunion. L’intérêt réel à ce que dit ou fait un enfant (ou un adulte) est la clef de la re-connaissance. Ce n’est pas « j’aime ce que tu fais ou a fait », personne ne fait pour être aimé ou plutôt il vaudrait mieux ne pas faire uniquement pour cela. J’ai souvent insisté sur l’ambiguïté du verbe aimer. D’autre part l’enfant confond souvent « aimer ce qu’il a fait » avec « l’aimer, lui ». Aimer implique aussi son contraire : si on n’aime pas, cela suppose que ce qui n’est pas aimé n’a pas de valeur, cela devient un jugement en particulier quand il est proféré par une personne ayant l’autorité de l’expérience. La plupart des termes utilisés ont un contraire, par exemple la pédagogie de la réussite induit la menace de l’échec. Par contre manifester son intérêt pour ce que dit ou fait un autre, cela engage dans le questionnement pour mieux le comprendre, c’est créer un lien relationnel, c’est faire exister l’autre. Dans le moment collectif de la réunion, c’était d’abord moi l’adulte qui devait être attentif à manifester l’intérêt à ce que chacun disait, ne serait-ce d’ailleurs que pour mieux les comprendre. Le poids de l’adulte qui s’intéresse engage alors les enfants à aussi s’intéresser, à écouter différemment, puis aussi à s’exprimer « Tiens ! Mais moi aussi je peux intéresser ! », autrement dit « j’existe moi aussi ! Les autres peuvent voir que j’existe ! » Ce rôle de l’adulte dans la re-connaissance de chacun par les autres et qui demande aussi un certain doigté (l’intuition, l’empathie) est primordial pour que s’établisse l’indispensable climat de confiance, d’où l’importance que j’attachais à ce moment collectif qu’était la réunion. Il se poursuit ensuite sans cesse « Avez-vous vu ce qu’a fait Untel à l’atelier sciences ? Et si tu faisais écouter ta musique à tout le monde ?... ». Mais bien sûr ce n’est possible que si l’adulte est derrière ou à côté et non pas devant à « faire faire ».
C’est la re-connaissance qui permet de pouvoir solliciter et pouvoir être sollicité en même temps qu’elle produit la dynamique du groupe. En particulier dans le multi-âge. Par exemple lorsqu’un plus âgé est sollicité par un plus jeune, l’un et l’autre se sentent exister, le premier parce qu’on fait appel à lui sur des compétences qu’il pouvait croire incertaines ou sans valeur, le second parce que le premier apporte du coup de la considération à sa demande ce qui de surcroît fait avancer les deux[1].
La re-connaissance c’est aussi l’acceptation de l’autre tel il est, même si l’être de chacun évolue sans cesse et surtout n’évolue qu’à partir du moment où il est reconnu. Je prends l’exemple des enfants dits hyperactifs qui souvent troublent les collectifs. On s’évertue à leur faire changer de comportements, parfois par la coercition, par des règles… les faire rentrer dans une supposée norme qui n’est pas la leur. C’est aussi absurde que de vouloir mettre des échasses à un trop petit pour l’obliger à jouer au basket avec ceux qui ont la taille ! Dans un collectif chacun est ce qu’il est, c’est le fonctionnement et l’aménagement du collectif qui doit le permettre, s’adapter. J’ai toujours constaté dans l’interaction sociale permise, que l’adaptation du collectif à chaque enfant faisait évoluer le premier comme les seconds. Pour cela aussi il ne faut pas nier le rôle de l’adulte.
Les re-connaissances sans lesquelles aucun vivre ensemble n’est possible, d'abord ! Tout le reste, même de la pédagogie si vous voulez, vient après et vient tout seul.
Mais au fait, ne souffrez-vous pas aussi de la non-reconnaissance dans le monde des adultes ?
[1] Le principe de la re-connaissance était celui des « Arbres de connaissances » de Michel AUTHIER avec qui j’ai collaboré pendant quelques années. Un outil qui ré-instaurait artificiellement la valorisation, l’utilité de chacun, la mutualisation, dans les groupes sociaux où les individus avaient fini par s’ignorer.
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