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Le blog de Bernard Collot
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4 août 2018

Tristesse : l’école « Les lueurs des champs » jette l’éponge.

lueurs des champs

Cette école je l’avais visitée l’an passé (ce billet) 

C’était une des plus enthousiasmantes que j’ai pu voir, tant dans ce qui se passait avec les enfants, dans l’attitude des adultes vis-à-vis d’eux que dans l’environnement créé. Tout était clair dans ce qui était réalisé comme dans les principes annoncés ( voir cette vidéo et  celle-ci)

J’ai souvent dit et répété que les problèmes n’étaient pas les enfants. Ce n’est pas parce qu’on le sait (et il vaut mieux le savoir) qu’on va les faire disparaître. C’est par épuisement total qu’Emilie a fini par jeter l’éponge. Paradoxalement c’est parce qu’elle réussissait avec les enfants qu’elle démontrait la justesse de sa démarche que les bâtons dans les roues se sont multipliés. Au demeurant cela montre aussi à quel point le paradigme autodestructeur de notre société pèse sur les possibles de son changement de voie hors d’un effondrement prévisible (voir l’hétéronomie dans le billet précédent)

Mais ce n’est pas un échec ! L’aventure a existé ! Je me doute que beaucoup d’entre vous qui avez été amenés à un moment ou à un autre à jeter aussi l’éponge doivent être très touchés et ressentir ce qu’Émile ressent. Mais je sais que tous avez recommencé, autrement, ailleurs… parce qu’instinctivement vous savez que c’est vital. S’il n’y en avait pas eu d’autres qui avant nous avaient aussi tenté, réussi, puis été arrêtés, nous ne serions pas aussi nombreux à être convaincus qu’il faut le faire et continuer d’enrichir un chemin dont la trace s’affermit.

Le partage de l’analyse qu’en fait Emilie ci-dessous doit être utile à d’autres.

MERCI EMILIE  

 

Chers proches, chers collègues, chers tous,

Après 2 années d’existence, nous vous informons que l’aventure de notre école touche malheureusement à sa fin.

Avec les tempêtes traversées, l’école n'a pas pu se stabiliser :

Nous avions pris la décision collective de mettre fin à la session collège à la fin de l'année scolaire. Les raisons en sont les suivantes :

- l'ampleur des connaissances à acquérir pour respecter le SCCCC (socle commun de compétences, de connaissances et de culture de l'éducation nationale auquel nous sommes soumis, même en tant qu'école hors contrat), l'écart cognitif entre les adolescents accueillis (dû aux parcours scolaires complexes de nombreux collégiens se dirigeant vers notre structure),

- les limites de ce multi-âge si large (de la maternelle au collège), au sein de notre petite structure et l'importance pour les collégiens de vivre l'expérience d'un plus grand groupe pour développer leur besoin d'appartenance, leur relationnel,

- la démission de notre directeur, qui souhaite continuer à soutenir le projet mais sans ses lourdes responsabilités assumées bénévolement.

Mais l'effectif sans collège est trop réduit pour financer l'équipe.

Nous n'avons pas obtenu le renouvellement de la subvention de la fondation Nature et Découvertes octroyée depuis 2 années (qui a vu une diminution de leur budget cette  année).

En plus de ces difficultés financières, s'ajoute un travail de fond, administratif mais aussi physique (pour maintenir les lieux et l'aménagement pédagogique) conséquent, qui implique des quantités d'heures supplémentaires humainement intenables.

En fond de ce tableau, une réalité complexe, partagée, malheureusement, par les créateurs d'écoles hors contrat : les conflits humains incessants.  Les demandes parentales sont si différentes au sein du collectif que cela rend ardues la mise en place d'une vision commune partagée et la possibilité pour l'équipe de répondre aux demandes parentales, souvent opposées. Le fait que le coût de la scolarité soit à la charge des familles peut augmenter les attentes familiales et créer un trouble supplémentaire si l’équipe ne peut répondre aux attentes parentales. Par ailleurs, certaines situations comportementales de l'enfant sont difficilement gérables en collectif et nécessitent soutien, voire institut adapté pour les gérer, même dans un système  alternatif, mais ce deuil d’une scolarité ordinaire peut être difficile à accepter. Les résolutions de ces différents sont si complexes qu'il est trop fréquemment impossible d'instaurer la co-éducation pourtant nécessaire entre parents et équipe. L'équipe travaille un nombre d'heures extrêmes et n'a pas assez de disponibilité pour mener à bien sa tâche. Tout comme c’est le cas pour les parents qui viennent souvent de loin et font des sacrifices importants pour cette scolarisation. Ce contexte peut rendre difficile la présence juste de chacun tant émotionnelle que physique. Malheureusement, l’incompréhension équipe / parents et la déception des familles, qui poussent certaines familles à des gestes vengeurs et dévastateurs sont très prégnantes dans nos écoles hors contrat. Ces actes mènent à la fermeture de nombreuses écoles hors contrat ou au mieux au renouvellement de l'équipe pédagogique qui souffre d'un turn-over bien fréquent.

Il est difficile sans l'avoir vécu d'imaginer le stress quotidien, la quantité de travail, de responsabilités, le poids assumé par les acteurs d'école hors contrat, attaqués et critiqués parfois très sévèrement. Ils ont des fragilités et des limitations personnelles, comme tout être humain, font des erreurs, apprennent et travaillent sur eux pour évoluer et développer leurs consciences. Malgré cela, ils sont obligés d'arriver fréquemment à cette décision d'arrêter l'aventure entamée, tout comme nous, ou à s'éloigner de leur projet initial.

Les problèmes financiers des écoles hors contrat, la surcharge de travail de l'équipe et les conflits parents / équipe ne sont pas nouveaux mais peu exprimés au grand jour, tant la douleur est vive. En revanche, elles occupent grande part des débats lors des forums pédagogiques ou échanges entre créateurs d'école.

De notre côté, nous sommes avec Cédric à saturation des conséquences de notre engagement qui nous amène actuellement à devoir justifier auprès des travailleurs sociaux du bon développement de notre fille suite à des propos calomnieux de parents mécontents vengeurs qui se sont saisis du fait que nous vivions en mobilhome le temps de la rénovation de notre maison. Même si la fin favorable de ce processus est proche, il laisse une empreinte en trop pour continuer. Les limites ont été atteintes. Pour d’autres écoles, il s’est agi d’accusations de diffusion de films pornographiques aux enfants, de diffusion du mouvement terroriste daech au sein de la classe ...

Nous avons également vécu une inspection inopinée de 3h à 3 inspecteurs récemment (pour vérifier l'hygiène, la pédagogie et la gestion administrative suite à des propos diffamatoires d'un groupement de parents), qui s’est fort heureusement terminée favorablement.

Mais même si ces attaques se résolvent positivement depuis 2 ans, les limites d'absorption émotionnelle ont été atteintes.

À côté de ce parcours obscur, se sont révélés une grande lumière, un système vivant éducatif fort, source de nombreux apprentissages tant humains que plus académiques. À l’école, nous étions arrivés depuis février 2018 à un véritable processus d’un « troisième type », dont parle Bernard Collot : les enfants apprenaient pour eux, avec enthousiasmes et plaisirs, les progrès étaient très significatifs, notre journal de 8 pages sortait chaque semaine, les enfants lisaient, écrivaient, cherchaient, se questionnaient, bref, ils avaient investi les langages de la communication. Nous avions énormément d'envie et d'enthousiasme à l'idée de les retrouver en septembre, poursuivre notre vie collective, notre forte orientation nature ensemble... Nous sommes tellement désolés de cette annonce. Et plus encore du fait de savoir les enfants et les familles potentiellement dans une situation désagréable, en questionnement quant au lieu ou au type d'instruction à donner à leur enfant à présent.

On dit que « rien n’est plus fort qu’une idée dont l’heure est venue. »

Je crois malheureusement que pour Les lueurs des champs, l’heure n’était pas encore venue.

Au nom des responsables pédagogique, administratif et associatif.

Emilie DAVID-KIEFFER, Responsable pédagogique

 

Commentaires
G
Je ne sais que dire devant un rêve qui s'achève!<br /> <br /> Et je suis d'accord avec herve_02
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H
bonjour,<br /> <br /> <br /> <br /> Il est toujours triste de voir des expériences se terminer. Nous avions pensé, un moment, créer ce type d'école pour permettre à des enfants de pouvoir expérimenter une autre approche de l'apprentissage (terme réducteur) dans notre région intellectuellement et positivement sinistrée.<br /> <br /> <br /> <br /> un simple calcul de tête nous a mis en face du fait que ce ne serait accessible qu'à des personnes ayant des revenus au dessus de notre public 'cible', devant alors majoritairement donner aux enfants de ceux qui sont déjà dominants dans notre bassin. Et donc multiplier l'inégalité sociale plutôt que de la réduire. Nous avons donc décidé de ne pas faire et nous tourner vers l'ief.<br /> <br /> <br /> <br /> Une bonne partie des parents ayant des moyens et cherchant des alternatives sont obtus et pensent que leur argent permet d'acheter les autres, je paye et donc je commande... nous avons jeté l'éponde avant de commencer. (j'ai subit 3 ans comme prof dans une institution agricole privée)
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E
Merci Bernard pour ton article. Merci à vous tous pour ces commentaires chaleureux, reçus un peu partout sur le net. Ils nous touchent, nous soutiennent. Merci pour vos retours, vos vécus. Le partage de notre expérience semble permettre de créer un point d'appui supplémentaire, une force d'arrimage de plus. Conscients de ces difficultés, d'autres pourront aller plus loin, comme vous l'écrivez Paul B. si des solutions viables ont été mises en place tant financièrement que dans la gestion humaine. Une petite graine est semée. La vie oeuvre et c'est merveilleux. Merci à tous. Emilie (Les lueurs des champs).
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P
Je pense que le message d'Emilie devrait être affichée dans tous les lieux où l'on rêve de créer une école alternative. Les problèmes financiers, techniques et humains auxquels elle et son équipe ont du faire face avant de jeter l'éponge obligent à réfléchir sérieusement aux difficultés qui attendent toute expérience de ce type et à s'y préparer sérieusement avant de commencer. Comment parvenir à faire exister une école alternative viable sur le long terme? Il ne suffit pas de dire "on tombe, puis on repart", comme Sylvie, ou "le chemin reste ouvert", comme Alice. Sans une base économique solide, une équipe de pédagogues expérimentés et une longue expérience de la gestion humaine, je crains que l'échec des Lueurs des champs ne soit la règle plutôt que l'exception. Mais ce qui m'a le plus choqué dans le récit d'Emilie, c'est l'attitude des parents. On a l'impression d'avoir à faire à de dangereux déséquilibrés. Il faut peut-être poser la question délicate du genre de parent qui est attiré vers une école alternative et la nature de ses attentes. Est-ce que l'équipe sera capable de gérer leur frustration quand leur rêve ne se réalise pas assez rapidement ou pas comme ils l'avaient imaginé ? Désolé d'être si négative, mais je suis choqué par l'énorme gâchis et inquiet pour l'avenir de telles expérimentations.
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A
Toute ma sympathie à cette équipe qui a besoin d'une pause avant de retrouver son souffle. Apprendre à se protéger est essentiel. D'ici un an, vous aurez assez digéré pour pouvoir comprendre quels outils de gestion humaine vous avez besoin de développer. Vous reprendrez autrement, ailleurs, ou au même endroit, avec plus de billes, de savoirs-faire et de recul. <br /> <br /> Parce que, même si l'école ferme, le chemin reste ouvert.<br /> <br /> Bonne continuation à vous tous !
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