École et société. (14) Le risque et l’incertitude
Autre version de l’ allégorie de la caverne de Platon : Pour sortir de la caverne le prisonnier se trouve face à une dizaine de portes différentes. Laquelle choisir ? Incertitude ! Il sait qu’une fois franchie l’une, il ne pourra revenir en arrière. S’il reste devant, il meurt. Finalement il prend le risque d’en prendre une. Que trouve-t-il derrière ? Dix autres portes ! Il faut qu’il continue d’en choisir une. S’il avait choisi une autre porte il y aurait eu aussi dix autres portes derrière mais pas forcément les mêmes. Chaque fois qu’on fait un choix, on prend le risque de ne pas faire le meilleur choix. Mais une fois fait, ce sont d’autres possibles qui s’offrent et d’autres risques à prendre pour avancer vers la lumière de Platon.
On peut continuer avec la caverne : pour voir les portes il faut que le prisonnier allume sa bougie. Il n’y voit pas grand-chose, en tout cas pas toutes les portes et les indications qu’elles portent. Mais si d’autres prisonniers allument aussi leurs bougies, alors ils voient toutes les portes, discutent entre eux pour estimer celle qu’ils pensent la meilleure. Ils vont prendre le risque à tous.
« Courir le risque » pour qualifier, dans le sens commun, un événement, un inconvénient qu'il est raisonnable de prévenir ou de redouter l'éventualité » (Wiki dit bien « prévenir » pas « empêcher »)
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L’éducation au risque ou le risque éducatif |
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Société sans risques |
Il y a quelques décennies, les parents ne se posaient pas trop la question du risque, en particulier en milieu rural. Sur le chemin de l’école les dénicheurs de nids de pie dans les peupliers feraient frémir aujourd’hui. Je ne sais pas si aujourd’hui les dangers possibles ont augmenté, mais la phobie du risque atteint son paroxysme, en particulier à l’école. Condamnés à rester assis à écouter et exécuter, les enfants ne risquent pas de prendre le risque de la moindre initiative ! Même quand le besoin physiologique de faire pipi se fait sentir, ils ne peuvent prendre le risque de lever le doigt pour demander d’aller le satisfaire. D’accord, il ne faut surtout pas qu’ils dérangent le déroulement de la pièce de théâtre pédagogique à laquelle ils ne doivent pas échapper, mais il y a le risque qu’en cours de route ils musardent, fassent une « bêtise », se coincent les doigts dans la porte des WC, et surtout le risque supposé qu’ils aient envie d’échapper à l’ennui plutôt que de vider leur vessie. Aucun risque ne doit être possible dans la classe, dans les couloirs, dans la cour de récré. Dans la classe on n’a pas encore pu interdire les crayons qui pourtant pourraient servir à crever un œil, mais pas question de les tailler avec un couteau qui coupe. Les cours bétonnées doivent être vierges de tout objet, de tout obstacle derrière lesquels des enfants pourraient échapper au regard de la surveillance sécuritaire. Lorsque dans les maternelles il y a un toboggan ou autre jeu, il faut obligatoirement qu’il soit acheté et homologué (le fabriquant est alors responsable !), pas question de bricoler quoi que ce soit. La phobie est poussée tellement loin que si une classe veut fêter un anniversaire, pas question de manger le gâteau confectionné par un parent ou par les enfants : il faut qu’il soit acheté, sous emballage plastique avec inscrite la date limite de conservation. Vous pensez qu’il s’agit de la sécurité des enfants ? Pas du tout. Lorsque la sirène les libère soigneusement tous ensemble de leurs chaises comme lorsqu’on ouvre le couvercle d’une cocote minute, c’est l’explosion dans les couloirs, escaliers, cour où il n’y a rien à faire, et tout ce qu’on a pu enlever, empêcher, n’a jamais fait baisser la courbe des accidents (statistiques des assurances). Non, il ne s’agit pas de la sécurité des enfants, il s’agit de la responsabilité des enseignants (dans ce cas responsable = accusé = celui qui doit payer). De nos jours, la moindre égratignure doit avoir un responsable contre lequel se retourne et sanctionne soit l’administration, soit un tribunal. Il ne faut pas s’étonner ni leur jeter la pierre si les enseignants n’osent plus sortir ou prendre un car avec les enfants. Dans un reportage tourné autrefois dans mon école on voyait des enfants, seuls ou à plusieurs, aller à la poste, partir faire une enquête… Que n’ai-je entendu de l’inspecteur, des collègues : « Tu ne te rends pas compte des risques que TU prends ! » Or je ne prenais et ne faisais prendre aucun risque aux enfants en dehors du fait qu’un pot de fleur aurait pu tomber sur la tête d’un enfant, ce qui statistiquement n’avait pas plus de chance d’arriver que celle de gagner à l’euro-million. Parce que ces enfants vivaient depuis longtemps ce que les CEMÉA (Centre d’Entrainement aux Méthodes d’Éducation Active) ont été les premiers à appeler « l’éducation au risque » qui n’élimine pas les dangers mais apprend à les connaître et à faire avec si les enfants peuvent prendre des initiatives. Evidemment il vaut mieux ne pas mettre une scie circulaire ou une tronçonneuse dans l’atelier bricolage, mais on ne se coupe pas avec un couteau, d’abord s’il coupe, ensuite quand on a appris à le tenir (tous les vieux paysans vous le diront), enfin quand l’organisation collective a habitué chacun à respecter et prendre soin des autres (ne pas leur faire encourir les risques que l’on prend). En une quarantaine d’années de pratiques avec des enfants de tous âge, plus une vingtaine de direction de colonie de vacances, aucun enfant n’a été victime du moindre accident, il en a été de même avec les collègues des écoles du 3ème type. Sur la durée, il est impossible de dire que c’était parce que nous avions eu de la chance ou que nous aurions été des irresponsables ! Tous ceux qui ont eu des enfants et les ont observés le savent : un enfant n’apprendra jamais à marcher sur ses deux pattes s’il ne prend pas le risque de tomber. Si un regard bienveillant est porté sur lui, il prendra encore plus facilement ce risque. C’est le regard bienveillant qui permet d’oser, pas la surveillance qui empêche. Et vous avez dû remarquer que les enfants savent très bien estimer le risque qu’ils peuvent entreprendre avant d’en prendre un plus grand. Ils nous donnent la leçon des petits risques à prendre. D’ailleurs vous-mêmes pour avancer êtes obligés de vous mettre en un déséquilibre qui risque de vous faire tomber et pour ne pas tomber, vous avancez ! L’école traditionnelle met les enfants en cage comme des canaris. Mais lorsqu’un canari sort de la cage, il a, lui, toutes les chances de se faire dévorer par le premier chat rencontré. Dans la crainte du risque qui conduit la majorité des enseignants à l’immobilisme il y a bien sûr celui de ne plus être conforme à ce qu’exige l’administration bien que celle-ci admette la liberté pédagogique… dans les limites très étroites qu’elle fixe (débrouillez-vous pour faire ce que je vous demande de faire !). Le risque d’une mauvaise note (et oui les enseignants sont notés comme leurs élèves) qui condamne à voir son salaire ne progresser qu’à l’ancienneté, voire le risque d’une sanction (dans l’ordre : avertissement, blâme, déplacement d'office, abaissement d'échelon, exclusion temporaire, mise à la retraite d'office, révocation. Les sanctions sont prononcées par un tribunal interne, un conseil de discipline, semblable au tribunal des armées qui lui n’existe plus. Avant d’arriver à la dernière sanction, il y a un peu de marge, quoiqu’on ait vu l’Education nationale transformer sans problème une pédagogie différente en une faute grave inventée pour se débarrasser de simples trublions à l’ordre pédagogique). Mais il y a aussi le risque éducatif à prendre quand enseignant veut modifier son approche des apprentissages lorsqu’il a constaté que ce qu’impose le système éducatif ne permet pas à tous les enfants d’apprendre ce qu’on veut qu’ils apprennent. Il est alors confronté à l’incertitude. Est-ce qu’ainsi tous les enfants vont apprendre en temps voulu ce qu’on me demande de leur apprendre ? On est bien plus tranquille, et même irréprochable, quand on se contente de « faire le programme », même quand tout le monde sait que tous les enfants n’auront pas acquis ce que le dit programme leur demande d’acquérir. Même beaucoup de parents s’inquiètent dès qu’un enseignant ne suit pas le programme comme tout le monde. Le processus normal de tous les cerveaux devant résoudre une situation est le tâtonnement expérimental, c’est devenu une certitude ! Le tâtonnement expérimental c’est la prise continue de risques d’erreurs, ce sont celles-ci qui amènent à résoudre une situation, c'est-à-dire à apprendre. Mais on ne sait pas comment il procède, quels stimuli vont le provoquer, à quel moment il résoudra la situation à laquelle il se confronte (c'est-à-dire apprendra). Aujourd’hui c’est encore une certitude ! Il est très difficile d’accepter la certitude des incertitudes, même lorsque tous les constats démontrent une seule certitude : c’est ainsi que tout le monde apprend. C’est le risque de quitter l’autoroute pour prendre des chemins de traverse dont on n’est pas certain qu’ils seront très carrossables, et pourtant, comme dans la caverne de Platon, en route on en rencontre quelques autres avec lesquels on peut s’éclairer mutuellement. J’ai toujours été étonné du peu de parents revendiquant la possibilité de pouvoir choisir une école à la pédagogie différente. Il est vrai que l’Education nationale se garde bien et ne prend pas le risque de les informer qu’il existe d’autres façons d’apprendre. Mais faire un choix c’est l’incertitude que ce choix sera le meilleur, c’est prendre un risque. Pour en revenir à ma caverne de Platon, c’est bien le nombre de portes différentes qui s’offrent qui crée l’angoisse et fait que prudemment chacun reste où il est même s’il y est mal. Ceux qui offrent d’autres choix sont même fustigés et traités d’illuminés ou d’irresponsables (exemple des écoles alternatives). Les parents, l’école leur a enlevé tout pouvoir sur leurs enfants leur demandant seulement d’être ses complices (déresponsabilisation quotidienne). Lorsqu’ils se retrouvent dans un conseil d’école où leur statut d’élus leur permettrait d’émettre des avis non conformes, il faut avoir du courage pour oser prendre le risque de le faire et quand ce risque s’avère effectivement inutile, plus personne ne le prend. L’école où plus personne n’a le droit et la possibilité de prendre un risque (les enfants), où plus personne n’ose prendre un risque (les enseignants, les parents) est la mère de tous les immobilismes. |
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Assurance tout risque (mais surtout pas le gaulois Assurancetourix !) Le risque est même devenu une source très juteuse de profits. Il faut, on vous y oblige même, s’assurer sur tout. Et on croit que c’est pour se protéger des risques. Jusqu’à « l’assurance vie » qui ne vous protège certainement pas du risque de la mort ! Avoir une « bonne assurance » ne protège aucunement quelqu’un du risque d’être écrasé, à la limite vous pouvez vous en ficher d’écraser quelqu’un puisque votre « bonne assurance » paiera les dégâts que vous aurez occasionnés. Il n’empêche que la société veut éliminer l’infinité de risques ordinaires qui ne sont que ceux inhérents à la vie, de ce fait elle désarme chacun face au moindre risque qu’elle transforme en risque majeur. Par exemple et pour un sujet quasi tabou, il ne faut surtout pas s’aviser à émettre quelques réserves sur la kyrielle de vaccinations qui vont être injectées aux nouveaux nés. Attention ! Ils risquent d’attraper la rougeole ! C’est ennuyeux la rougeole, nous l’avons presque tous eu autrefois, il est possible mais pas certain que quelques-uns en soient morts lorsque leur état général était déjà très faible, comme lorsqu’on est très âgé on meurt bien forcément de quelque chose. C’est comme la grippe, quand la vaccination n’empêche pas de l’attraper n’allez pas la remettre en cause pour le coup suivant. C’est vrai qu’il y a eu la terrible pandémie de grippe espagnole. Mais dans l’étude de ses causes il est avéré que pendant la guerre de 14-18 elle s’est développée à partir des populations civiles qui souffraient particulièrement des pénuries alimentaires… à cause de la guerre. Si on faisait remarquer que la tuberculose avait régressé de la même façon dans les pays où l’on ne vaccinait pas parce que chez eux comme chez nous les conditions d’hygiène des habitats s’étaient améliorées, on se faisait traiter d’irresponsables (aujourd’hui le BCG qui devait nous protéger du risque a été reconnu comme inutile et nocif par l’OMS !). Autrement dit, pour faire face aux risques de n’importe quelle maladie, il vaut mieux vivre sainement et être en forme que de se vacciner à tour de seringues. Tiens ! Tiens ! Mais c’est ce que demandent les Gilets jaunes, pouvoir vivre dignement ce qui implique aussi sainement (alimentation, habitat, réduction du temps de travail…) ! Le vrai risque de la grippe, ce n’est pas le vôtre, c’est celui de l’économie de marché qui est grippée le temps qu’elle passe. Nos dirigeants clament le principe de précaution ce qui ne les empêche pas de nous imposer volontairement de vrais risques majeurs comme le risque nucléaire (que ce soit celui des bombes nucléaires ou des centrales) tout en déployant des moyens démentiels pour nous faire croire qu’ils les réduisent. Par contre au nom du même principe vous ne pouvez plus manger un camembert, un laitage qui ne soit pas pasteurisé et fabriqué par une ou deux des multinationales… ce qui en fait comporte un risque massif, l’actualité récente nous en donne quelques exemples. Ce qui revient aussi à un billet précédent sur la taille des structures de productions : plus ce sont des macrostructures et plus les risques sont grands, irréversibles et incontrôlables. Cependant le risque imaginaire ou réel est bien utile pour maintenir une société en l’état. Il est brandi comme une menace : risque du chômage, risque de délocalisation, risque de la violence… Pour cette dernière l’actualité nous a montré que le pouvoir n’hésite pas à la provoquer puis à la monter en épingle pour dissuader de prendre le risque d’aller protester. Dans une société qui a une telle peur des risques, alors qu’une majorité subit les méfaits d’un système et des politiques qu’il impose, on peut se demander pourquoi cette majorité ne s’élève pas pour en changer ? L’incertitude ! Prenons l’exemple de la Grèce. Parmi les possibilités pour sortir de leur situation, il y avait la sortie de l’euro ou de l’Europe. On comprend que leurs dirigeants, une fois élus, aient vite abandonné cette solution pour maintenir le statu quo. Mais pourquoi ont-ils été réélus ? Parce qu’il a été dit et répété sur toutes les ondes que personne ne pouvait prévoir ce qui allait alors se passer : l’incertitude. La majorité du peuple grec n’a pas voulu prendre le risque de cette incertitude et comme dans ma caverne de Platon il est resté devant les portes qu’il aurait pu prendre… et il continue de se mourir devant ces portes. L’incertitude est sans cesse brandie : attention, vous ne savez pas tout ce qui risque de vous arriver si vous bougez. Vous risquez de perdre un peu du beaucoup que vous avez, le peu que vous avez. Que risquent les PDG des multinationales et autres ? Rien ! Quand une exception arrive comme pour Ghosn, c’est la stupéfaction générale. Revenons à nos Gilets jaunes qui bousculent quelque peu l’hétéronomie générale. Ils proposent le RIC. Tous nos intellectuels et politologues patentés énumèrent le chapelet des risques qu’une telle proposition comporte et, au passage, affirment leur certitude de l’imbécilité de ces gens du peuple qui bien sûr avec leur RIC vont revenir sur la peine de mort, l’avortement, demander l’éradication des juifs, etc. C’est vrai que le RIC est bien un risque certain… pour ceux qui se cramponnent à leurs positions et privilèges ! Toujours dans ma caverne de Platon qui pourrait être leurs assemblées, chaque Gilet jaune allume sa bougie pour éclairer ensemble la porte qui pourrait être prise, par exemple celle du RIC (et ça en discute partout !). Une fois franchie s’ils sont suivis, il y aura les portes des propositions à soumettre à référendum. Mais là encore avant de prendre une porte, dans chaque caverne-assemblée c’est avec l’éclairage de toutes leurs bougies qu’ils pourraient déterminer celles qui valent la peine de prendre le risque d’ouvrir, avec le risque que tous les autres ne les suivent pas, c’est seulement cela le risque accepté d’un référendum. On n’avance pas sans prendre le risque de tomber à chaque pas en se rattrapant au pas suivant. Ce que nos doctes éminences n’ont pas compris, c’est que les Gilets jaunes ont inventé ou réinventé des collectifs qui ne sont pas les troupeaux ou les bandes qui se laissent conduire pour ne pas prendre de risques (l’autonomie). Ces collectifs qui peuvent se fédérer en un grand collectif n’éliminent pas les risques, ils peuvent les prendre consciemment ensemble, donc aussi les assumer. Il y a le risque que les GJ abandonnent, qu’ils retombent dans les travers des politiques, des égos, de la société, qu’ils soient rejetés par tous ceux qui ont peur du risque. Oui. Mais ils l’auront pris, le risque. C’est peut-être en cela qu’ils sont le plus révolutionnaire et peuvent commencer à réveiller tout le monde : ils ont osé prendre des risques, n’ont plus peur des risques et ils continuent. Et le risque du changement climatique, risque qui, lui, est une quasi certitude. Comment il va évoluer ? Qu’est-ce qui va se passer ? C’est l’incertitude. Mais, climat ou non, que la destruction de l’environnement par note société du profit la conduise à l’effondrement est une certitude si elle ne prend pas ses propres risques !
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Quelques autres textes : Le risque (éducatif et autre) – De la classe unique aux organisations sociales - La mono-industrie scolaire – Livres de Alain Berthoz : « La simplexité », « La vicariance », de Anne Dufourmantelle « L’éloge du risque »
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