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Le blog de Bernard Collot
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24 mai 2022

1940-2021 (98) – 1963 à 1996 : Les voyages forment la jeunesse ? Pas que !

L’aventure des voyages-échanges

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Elle avait déjà commencé à Lantignié et s’étaitt poursuivie évidemment à Moussac. Il faut avant d’en conter quelques-uns faire un peu l’histoire de ces voyages-échanges particuliers au mouvement Freinet.

Dans les échanges interscolaires qui ont été et sont toujours un point fondamental de la pédagogie Freinet et d’une école du 3ème type, il est évident que la connaissance mutuelle qui s’établissait dans les relations épistolaires devait aboutir à l’envie de se rencontrer physiquement et de vivre des moments communs, de les vivre dans l’environnement de l’autre classe, dans le village des autres.

La première rencontre entre correspondants semble avoir eu lieu en juillet 1947, entre les classes de Roger DENJEAN (Seine-Maritime.) et Pierre GUERIN (Aube). Guérin avait vu pratiquer l'échange réciproque de groupes de jeunes en vacances, par Mlle JADOULLE, animatrice des CEMEA de Belgique, et cela lui avait donné l'envie de faire la même chose dans le cadre scolaire avec son correspondant. Il profite une dernière fois avant sa majorité (21 ans) du permis gratuit de son père, cheminot, et rend visite à Roger Denjean. Ce dernier est un peu éberlué de voir arriver un jeune homme en short (d'éclaireur) qui lui propose un voyage-échange représentant une véritable aventure. Mais il faudrait autre chose pour effrayer ce pacifiste-résistant qui a terminé la guerre en Allemagne. Comme Guérin a étudié les tarifs, il s'avère qu'un voyage de 12 jours bénéficie du prix de transport le plus bas. Et l’affaire s’est engagée. L'été 1948, même type d'échange entre les classes de Leroy (Aisne) et Coquard (Côte d'Or).

C’était aussi l’époque d’après-guerre, les congés payés, le développement du scoutisme, de l’éducation populaire, les premières ouvertures hors des limites du village ou du quartier pour une population qui n’avaient jamais eu les moyens d’en sortir. Ouvrir les perspectives des enfants a toujours été un des premiers soucis de ces instituteurs. Et les voyages-échanges vont se développer et devenir pour certains un élément important dans la recherche de correspondants.

Dans certains départements, l'administration voulait cantonner dans les derniers jours de l'année scolaire ce qu'elle considérait comme simple tourisme scolaire, au même titre que les traditionnels voyages de fin d'année. La détente et la récréation, voire la récompense de fin d’année quand les programmes sont bouclés. C’est d’ailleurs encore l’esprit de pas mal de voyages scolaires où l’éventuel prétexte culturel n’est que celui des enseignants, les enfants eux y voient enfin l’approche des vacances libératrices. J’ai un jour expliqué aux parents qu’un voyage scolaire de fin d’année d’une journée pour faire visiter des régions à des enfants qui n’attendent que les vacances, cela aurait autant d’effet, cela coûterait moins cher et les enfants seraient aussi ravis si on les faisait monter dans le car le matin et qu’on le laissât tourner au ralenti devant l’école la dernière journée de juin ! C'était bien sûr une boutade ! Il fallut (et il faut toujours !) démontrer l'importance éducative de ces échanges en cours d’année. Certains, comme Paul Fort (Aube), faisaient déjà de sa préparation et de ses retombées le pivot de toute une partie du travail de l'année. En général le voyage aller s’effectuait aux alentours d’octobre, le retour aux alentours d’avril ou mai.

Dans les demandes de correspondance que publiaient régulièrement les bulletins du mouvement Freinet (aujourd’hui c’est sur son site), il était précisé si un voyage-échange était demandé. Il y avait d’abord l’équivalence de niveaux et du nombre d’enfants pour que chacun puisse être « apparié » avec un correspondant. « Cherche une classe de CM1-CM2… » Mais, par la suite, dans les circuits de correspondance naturelle puis dans le réseau télématique, ce n’était plus ce qui était forcément recherché. Par exemple en 1981 une correspondance et un voyage-échange étaient organisés entre une classe de 5ème du collège de Banville et des maternelles de l’Isle. « On reçoit en sixième et en quatrième, avec perplexité et admiration, les dessins, les poèmes et surtout les enregistrements : comme ils en inventent des choses ! Embarras, souvent, pour répondre ; mais on tâche d'être à la hauteur ! » Il est souvent difficile pour ceux qui n’ont jamais vécu dans une classe unique de croire que des relations réciproquement enrichissantes peuvent s’établir entre de grandes différences d’âge. À Moussac cela a été très souvent le cas avec des collèges ou lycées de Cluj en Roumanie, Montevideo en Uruguay ou Barcelone en Espagne. C’étaient des classes de français qui participaient aux échanges. L’intérêt linguistique pour elles était évident. Les grandes filles maternaient souvent épistolairement les petits, les grands garçons fiers de leur savoir aimaient piloter de loin les tâtonnements expérimentaux. Par contre nous n’avons pas fait de voyage-échange avec eux !

Le choix d’un correspondant était aussi souvent géographique « Cherchons classe correspondante à la montagne », ce qui s’expliquait à une époque où les enfants voyageaient peu et c’était pour beaucoup l’occasion de découvrir la mer ou la montagne pour la première fois et, a priori, pouvait décupler l’intérêt de la correspondance. Ce qui faisait protester les nombreuses écoles qui n’étaient pas sises dans un lieu touristique !

Enfin beaucoup de ces appariements découlaient d’une rencontre entre enseignants au cours d’un congrès, d’un stage. Le côté affectif était aussi important pour ceux-ci, ce d’autant qu’il valait mieux qu’ils soient dans le même esprit pour s’engager dans une entreprise qui allait leur demander beaucoup de temps, d’énergie et quelques incertitudes. Dans tous les cas, le choix dépendait des enseignants.

Donc, dans un premier temps, le voyage-échange déterminait au préalable le choix d’une classe correspondante et facilitait le lancement des relations : « Cette année, nous allons correspondre avec la classe de… et nous irons les voir, et ils viendront chez nous ! », et les deux classes allaient vivre dans cette attente, la correspondance était d’emblée motivée et n’avait plus l’aspect d’un exercice plus ou moins obligatoire.

On se doute que la réalisation d’un voyage-échange n’allait pas sans problèmes. C’était même chaque fois un véritable parcours du combattant.

Celui d’abord de l’administration et de ses paperasseries, des règlements, des autorisations à obtenir, souvent des inspecteurs qui ne voyaient pas d’un bon œil ces instits sortir des sentiers battus. Il fallait trouver dans le fatras des instructions officielles, qui se succédaient et parfois se contredisaient, celle dans laquelle finalement le voyage pouvait très bien rentrer. Parfois, il fallait trouver des astuces comme par exemple l’appeler « classe découverte » quand celles-ci sont devenues à la mode. Il fallait rassurer l’autorité en lui assurant que toutes les mesures de sécurité et encore plus étaient prises, de telle façon, qu’elle ne court aucun risque, elle !

Le problème financier n’était pas le moindre. Une fois un budget le plus serré possible établi, ce qui était fait souvent avec les enfants qui faisaient ainsi des maths pour de bon, il fallait trouver les sous ! Les trésors de diplomatie avec les municipalités étaient souvent vains quand l’école, surtout en milieu rural, devait déjà mendier des crédits pour des bâtons de craie. L’appel à la participation des parents était réduit et nous étions quelques-uns à refuser cet appel, l’école étant laïque… et gratuite ! Alors c’était l’organisation de concours de belote, de tombola, de brocantes, le forcing sur la vente des journaux scolaires… Et nous finissions toujours par boucler ce satané budget !

La quasi-totalité de ces voyages avait lieu en train grâce aux tarifs que l’on pouvait obtenir de la SNCF. Ce qui était plus compliqué que de prendre un car devant l’école et d’en ressortir à l’arrivée. Trouver les bons horaires et les bons itinéraires se faisait avec les enfants, nous utilisions les cartes, l’oublié « chaix » des horaires de train et ses pages de tableaux et de chiffres compliqués. Encore des maths et de la géographie ! Comment se rendre à la gare la plus proche, jamais à moins d’une vingtaine de kilomètres ? Là c’était la mobilisation des véhicules parentaux. Quand un peu plus tard il fut interdit de faire monter des enfants dans des voitures particulières pendant le temps scolaire, soit il fallait le faire sans rien demander, soit malignement déclarer que la rentrée de l’école se ferait… à la gare ! Dans les centaines de voyages-échanges qui ont eu lieu pendant quatre-vingts ans, il n’y a jamais eu à ma connaissance d’incidents notables dans ces déplacements. Il était rare aussi d’avoir un trajet direct. Il fallait donc prévoir et gérer les changements dans les gares, parfois le métro. Ce qui n’allait pas sans une certaine angoisse. Je me souviens de la première fois où j’ai pris le métro en pleine heure de pointe avec ma classe de petits paysans beaujolais qui n’avaient jamais pris le train et qui n’étaient même jamais allés à Lyon. Ah ! Comme nous étions tous serrés pour ne pas nous perdre ! Et quel soulagement quand j’étais certain qu’aucun n’était resté sur le quai ou dans la rame ! (raconté dans cet épisode)

Il y avait aussi le problème de l’hébergement. Le principe était que chaque enfant accueillait son correspondant dans sa famille. Mais toutes ne le pouvaient pas. Il y avait rarement le même nombre d’enfants de part et d’autre, il y avait ceux qui n’avaient pas de correspondants attitrés. Il y avait les frères et sœurs ou les copains qui ne voulaient pas se séparer. Il y avait ceux qui ne voulaient pas quitter la maîtresse ou le maître… Il fallait beaucoup d’échanges au préalable pour régler tout cela. On trouvait aussi diverses solutions comme l’utilisation des locaux d'une colonie de vacances, ou bien l’on s’organisait pour se retrouver dans la même classe appelée transplantée (neige, mer ou nature).

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Et les parents ? D’abord les convaincre de l’intérêt de « perdre son temps » dans une expédition de plus de trois jours. Lorsque c’était une classe unique comme à Moussac, ils vivaient déjà depuis plusieurs années une « autre école » et le voyage- échange faisait partie de la culture du village, d’autres parents avaient déjà laissé partir leur enfant et pouvaient raconter et rassurer. Il n’en était pas de même pour les classes urbaines ou celles qui faisaient cela pour la première fois. Il fallait absolument que tous, sans exception, acceptent cette séparation, d’où l’élimination de la raison financière. Il fallait gérer avant et pendant le voyage une angoisse légitime. Curieusement le fait de savoir leur enfant hébergé par un autre parent ne les rassurait pas toujours, pas plus que de recevoir un enfant inconnu. Nous faisions parfois écrire un petit mot par les familles accueillantes, ce qui n’était pas inintéressant dans la création de relations.

Et enfin l’accompagnement : le plus souvent c’était deux ou trois parents que nous recrutions. Ce qui n’allait pas sans problèmes. Il manquait rarement de volontaires, en particulier quand c’était pour eux aussi une des rares occasions de voyager. Mais justement, il fallait choisir sans vexer personne, sans provoquer de jalousies, jongler avec des inimitiés : « Si c’est madame ou monsieur untel qui les je n’envoie pas ma fille ! ». Lorsque le problème était réglé, restait à gérer au plus vite pendant le voyage et chez les correspondants leur comportement qui ne devait plus être tout à fait celui du parent de son enfant. Si nous avions fait ou avions été contraints de faire un mauvais choix, il fallait alors déminer rapidement les tensions naissantes. Je me souviens d’une nuit diplomatique passée en Bretagne pour qu’un de mes parents ne soit pas mis à la rue par la famille qui l’hébergeait et qui ne pouvait plus le supporter. Mais finalement tout finissait toujours par s’arranger et les enfants n’y voyaient que du feu. Des relations entre familles se nouaient et perduraient. À Moussac, pendant des années, deux familles de Parnans, village de la Drôme, et de Moussac, avaient créé des liens et allaient se voir pendant les vacances.

Prudemment, des collègues choisissaient des accompagnateurs qui ne soient pas les parents.

Bien sûr, il incombait à la classe qui recevait de prévoir ce qu’elle allait pouvoir faire faire aux correspondants. Le village et les parents étaient mis à contribution. Le marin pêcheur qui faisait monter les enfants sur son chalutier, le vigneron qui faisait visiter son cuvage et sa cave (ce qui plaisait beaucoup aux papas accompagnateurs !), l’après-midi passé avec un forestier… les piqueniques dans les bois ou au bord de la rivière, la baignade collective…

Vous me direz, mais pourquoi des enseignants engageaient et dépensaient une telle énergie, consacraient tant de temps, affrontaient de tels problèmes pour un simple voyage de ce type alors que rien ne les y obligeait ? Si l’on reste dans l’optique de l’école traditionnelle, il est vrai que cela peut paraître inutile, voire insensé. Dans la pédagogie Freinet et encore plus dans une école du 3ème type, le processus de la communication est celui qui enclenche tous les apprentissages. La correspondance ne peut être un simple exercice plus plaisant que les autres. La communication traverse toutes les activités de la classe, elle les provoque, c’est son moteur. D’autre part, l’affect occupe une place très importante. La rencontre, l’envie de la rencontre avec les autres, fait naturellement partie de ce processus. Elle l’amplifie, le prolonge, le fait rebondir. On retrouve le même phénomène chez les adultes « Il me tardait de voir à quoi tu ressembles et discuter de vive voix ! » Tous ceux qui se sont engagés dans cette pratique en ont tous des souvenirs inoubliables, comme leurs élèves. Et ils recommençaient !

Prochain épisode : Aventures de voyages-échanges - épisodes précédents ou index de 1940-2021 - À leur demande, j’ai créé un tag pour celles et ceux qui sont surtout intéressés par les billets de ces périodes sur l’école et l’éducation

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