1940-2021 (104) – 1983 – Débuts de l’ère du numérique dans nos écoles.
1983, avec l’arrivée dans nos classes de ce que l’on appelait les TNC (technologies nouvelles de communication) et de l’informatique, nous avons été projetés dans de nouvelles aventures. À l’époque, nous étions un certain nombre à penser que les TNC allaient vraiment permettre des transformations sociales et surtout démocratiques. Même dans la société civile, beaucoup y croyaient comme à Parthenay, ville qui voulait être numérique au service de toute la population. Une espèce d’euphorie comme en 68 qui s’emparait de nous, ce d'autant que la gauche venait d'accéder au pouvoir avec Mitterrand. Illusion ! Utopie !
Cependant, cela a bien permis dans nos classes uniques et une partie du mouvement Freinet de prolonger encore plus loin l’éclatement de tous nos cadres, de multiplier encore tous les possibles, d'étendre l'ouverture permanente jusqu'à l'au-delà de l'hexagone.
En tout cas nous avons eu la chance d’être dans le département de la Vienne.
Le président du Conseil général de la Vienne et sénateur, René Monory, ancien mécano et avec juste le certificat d’études primaires (il a même été ministre de l’EN !), bien que faisant partie de la droite traditionnelle, était un mordu des technologies nouvelles. On peut dire que son « œuvre » avait été le célèbre Futuroscope de Poitiers. En 1983, il lança le premier plan informatique des écoles dans le département deux ans avant le plan national.
Le Conseil général subventionnait à moitié un équipement des écoles composé de quatre ordinateurs TO7, d’une imprimante à aiguilles, d’un téléviseur avec un magnétoscope. Énorme ! Dans la dotation il y avait aussi une cassette pouvant émuler un ordinateur en minitel qui n’était pas encore distribué gratuitement dans le Vienne et une autre cassette pour utiliser le langage informatique « logo » du génial Seymour Papert. Il y avait une condition originale pour les communes qui acceptaient de se lancer : que le matériel puisse aussi être accessible aux habitants du village pour leur formation aidée par les instituteurs.
Dans le département les clubs informatiques se multipliaient. Lorsque sont arrivés les PC, une de leurs principales occupations était de "déplomber" les logiciels de microsoft. Je soupçonne Bil Gate d'avoir volontairement peu cadenassé ses applications, contrairement à APLE dont les applications étaient cadenassées, si bien que lorsque les PC sont arrivés dans nos classes, les copains nous passaient les DOS, word,excel, acces et autres. Si bien que les mairies ou habitants dont nous avions été les "formateurs" s'équipaient plutôt avec des PC qu'avec des Mac pourtant à l'époque largement supérieurs. Nous avons été sans le savoir les meilleurs agents commerciaux d'une GAFA !
Toute la bande du réseau d’écoles rurales de la Vienne fit évidemment le siège de leurs mairies pour qu’elles participent et fassent un investissement important et absolument inhabituel pour leurs budgets. Et nous fûmes tous les premiers équipés. Pour les mairies, il ne suffisait d’ailleurs pas de payer la moitié du matériel, il fallait aussi qu’elles installent une ligne téléphonique dans la salle des ordinateurs en même temps qu’il n’y ait plus de fumée et de poussière de craie parce que, disait-on, celle-ci était nuisible aux circuits électroniques ; d’où suppression des vieux poêles à charbon et remplacement par des radiateurs électriques, suppression de la craie et habillage de tous les tableaux par des rouleaux adhésifs de Velléda. L’école était transformée et plus de corvée d’allumage des poêles.
Et ce fut une autre aventure qui commença.
Si dans les grosses écoles à plusieurs classes il fallait une salle à part pour l’informatique, que les classes s’y rendent par petits groupes pour « faire informatique » (il n’y avait pas un ordinateur par élèves !), dans nos classes uniques le matériel était à disposition permanente de tous. En plus, pas de problème pour que les habitants du village puissent y venir s’initier ou s’en servir : ils étaient habitués à venir dans l’école ouverte en permanence. On peut vraiment dire que c’est dans les classes uniques équipées que l’exploration de tout ce que permettaient les TNC a été faite, classes uniques dites archaïques par l’Éducation nationale pour les éradiquer.
Au début on ne savait pas trop quoi faire avec ces outils, ce d’autant que les ordinateurs TO7, dont le choix avait été fait parce que fabriqués par l’entreprise française Thomson, ne possédaient pas tous les logiciels des PC ou des Mac, à part les deux cassettes que j’ai citées. Celle du logo où l’on pouvait faire évoluer une tortue laissant une trace sur l’écran en écrivant un programme était passionnante, mais il n’y en avait qu’une. Bien sûr, faire de petits programmes en langage basic ou encore mieux en langage logo, c’était créer avec un nouveau langage et nos petits habitués à créer en mathématique s’y régalaient[1]. Celle pour émuler un TO7 en minitel pour chercher un numéro de téléphone ou les horaires d’un train, mais cela n’allait pas très loin. C’est alors que nous découvrîmes la télématique.
[1] Avec le logo on pouvait faire bien d’autres choses que programmer un dessin à une souris : Les plus grands aimaient faire des petits programmes qui résolvaient tout seul des problèmes, faisait des calculs compliqués de plusieurs opérations à leur place. Ils rentraient dans la mathématique booléenne qu’ils avaient déjà abordé avec les circuits logiques électriques qu’ils fabriquaient avant, dans l’utilisation des variables, des parenthèses imbriquées etc. Un enfant avait même eu l’idée d’envoyer des lettres écrites avec le logo ce qui donnait :
- Bonjour. Comment vas-tu ? Réponds par bien ou pas bien.
Le programme faisait que Si « bien » écris « moi aussi », Si « pas bien » écris « écris pourquoi cela ne va pas bien ? »
Et la lettre programmée et interactive à sa lecture continuait ainsi !
Des copains instits avaient aussi bricolé un traitement de texte avec le langage logo… en attendant que l’on puisse pirater les « word » sur les PC.
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