1940-2021 (106) – 1985 Création d'une "toile" des écoles.
Aujourd’hui, créer un réseau utilisant les technologies de communication sur internet se fait d’un clic et ne coûte rien. À l’époque c’était une autre histoire et cela avait un coût important ! On imagine mal ce qu’avait été cette appropriation, en particulier dans des écoles du mouvement Freinet (pas toutes !) ainsi que dans nos classes uniques de « 3ème type ». Peut-être est-ce pour cela que peut-être jamais cette utilisation de la communication n’a été aussi intense qu’à cette époque. À noter que dès son origine la pédagogie Freinet, réputée entre autres pour être matérialiste, avait introduit et utilisait tous les outils existants ou apparaissant n’ayant rien de scolaire, de l’imprimerie aux appareils photo, magnétophones, caméras, magnétoscopes, Caméscopes… marteaux, fers à souder… etc.
Nous n’étions pas forcément très nombreux, mais à cette époque nous croyions vraiment que les technologies nouvelles de communication appropriées par la population allaient vraiment changer le monde en redonnant du pouvoir au peuple. Nombreux étaient aussi ceux qui se passionnaient avec l’informatique, dont beaucoup d’instituteurs et professeurs, et c’est grâce à ces derniers, à leur aide et à leurs bricolages que les réseaux télématiques d’écoles sans internet faisaient d’étonnants réseaux sociaux.[1]
Venons-en donc aux réseaux télématiques. Simultanément à ce que nous faisions dans la Vienne, des collègues du mouvement Freinet du Rhône[2] avec Roger Beaumont avaient de leur côté contacté le CNRS de l’Isle d’Abeau, obtenu l’utilisation de son serveur très performant et constitué de leur côté le réseau TRAFIC[3]. Dans le réseau de la Vienne j’étais celui qui avait le plus le pied dans le mouvement Freinet, nous avons donc appartenu aux deux réseaux, la Vienne apportant peut-être sa plus grande habitude de la communication interactive puisque c'était dans le prolongement de son réseau de classes uniques et petites écoles. Les écoles de ce réseau n'ont pas toutes participé aux deux réseaux : la multiplication des échanges et des interactions a fait que les classes dont les cadres restaient encore un peu rigides ne pouvaient tout gérer.
Du côté de l’INRP (Institut National de Recherches Pédagogiques) un département spécial « télématique » travaillait aussi à son utilisation avec à sa tête Patrick Guihot, connaisseur et ami du mouvement Freinet. En 1984 il nous réunit trois jours au Centre international d’études pédagogiques de Sèvres. C’était la première fois que j’allais seul à Paris ! Il y avait aussi Bernard Monthubert, cheville ouvrière de INFORMATICEM (commission de l’Institut Coopératif de l’École Moderne pour travailler sur l’usage de l’informatique dans nos classes), qui venait d’être détaché à la ville de Châtellerault pour la création d’un nouveau serveur au service des écoles de la ville, mais pas encore en service. Patrick Guihot trouvait dommage que nous nous dispersions sur trois serveurs. Il s’en suivit un très long et animé débat où nous étions quelques-uns à préférer le serveur le plus performant, celui de TRAFIC, mais finalement avoir l’un d’entre nous avec les clefs d’un serveur emporta le morceau et c’est ainsi que nous nous retrouvâmes tous sur son futur serveur et ce fut le réseau ACTI.
Nous étions nombreux des classes uniques ainsi que d’anciens des circuits de correspondance naturelle sur ce réseau qui compta jusqu’à 300 classes. Dans les années 90, la ville de Châtellerault constatant qu’il n’y avait qu’une seule de ses classes utilisant ACTI (l’épouse de Bernard !) elle ferma son serveur. Une autre négociation permit l’émigration sur le serveur du rectorat de Nice, EDUCAZUR.
Du côté des classes uniques qui ne comportaient pas que des instits du mouvement Freinet et qui étaient aussi en lutte contre leur éradication avec d’autres acteurs que les enseignants, il est apparu dès 1989 le besoin de créer un réseau autonome pour ne pas perturber le réseau Freinet en le squattant. Il eut d’abord une intégration du réseau des petites écoles rurales sur le serveur du mouvement « École et Nature » qui avait des moyens et auquel nous pouvions apporter notre habitude de cette communication, mais la mayonnaise n’a pas pris. Après le colloque du Vercors (1993) et après des tractations que je vous raconterai plus tard, nous réussîmes à avoir notre propre serveur, Marelle, nous devenions autonomes et plus à la merci du bon vouloir d’un hébergeur.
Comme je l'ai déjà dit, tout cela se passait à l'insu ou sans aucune aide de l'Éducation nationale ! Cependant c'est bien le plan Fabius de 1986 en dotant comme la Vienne toutes les écoles de TO7 qui a permis à toutes celles et ceux qui le voulaient de participer au réseau. Il faut dire aussi que beaucoup d'enseignants mettaient leur propre matériel dans les classes.
Mais internet arrivait !
[1] On ne peut imaginer aujourd’hui ce que ces quelques instits ou profs pouvaient faire pour sans cesse répondre aux nouveaux besoins, aux nouvelles idées qui apparaissaient et qui étaient formulées au fur et à mesure de l’utilisation non seulement de la télématique mais aussi de tous les outils numériques. C’étaient les enfants et les enseignants usagers qui provoquaient perfectionnement et adaptations par ces quelques autres enseignants. Et ceci sans les moyens techniques ni les moyens financiers et humains dont dispose par exemple aujourd’hui un Facebook par exemple.
[2] Le mouvement Freinet avait toujours été à la pointe de l’utilisation des technologies. Si cela avait débuté en 1920 avec l’imprimerie, vieille elle de cinq siècles, par la suite appareils photo, caméras Pathé-Baby, magnétophones, super8, caméscopes… étaient introduits à peine leur commercialisation grand public était commencée.
[3] Dans le mouvement, nous avions acquis certaines capacités ou roublardises de négociateurs !
[4] L'image de couverture est celle du bulletin que réalisait Alex Lafosse avec ses propres moyens du bord et qui informait, mettait en relation toutes les expériences réailsées à cette époque, y compris non scolaires, à propos de la télématique et du numérique.
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