Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog de Bernard Collot
Le blog de Bernard Collot
Derniers commentaires
5 janvier 2023

1940-2021 (178) - 1998... En Belgique, « L’Autre École »

 

belgique2

À partir de la retraite j’ai été libre de mes mouvements et me suis pas mal déplacé. J’ai assez vite cessé de fréquenter les congrès Freinet où je m’ennuyais. Ce que nous défendions n’était pas vraiment dans la ligne classique de la pédagogie Freinet et puis les militants Freinet qui adhéraient à nos idées participaient aux rencontres des CREPSC.

En 2 002 mon bouquin « une école du 3ème type ou la pédagogie de la mouche » avait bien été édité, avait été un peu lu par ceux qui me connaissaient, m’avait fait inviter à quelques rencontres du mouvement Freinet, bien sûr à celles des CREPSC ainsi que dans un ou deux IUFM, et même jusqu’au Centre international d’études pédagogiques de Sèvres. Très curieusement c’est en Belgique que nos idées ont le plus intrigué, d’abord dans le mouvement Freinet belge, puis dans les CEMÉA.

Je fus invité en Belgique par Henry Landroit (Mouvement Freinet) puis par Alain Buekenhoudt (CEMÉA) .

belgique

Henry était un personnage haut en couleurs, un mélange de très grand sérieux et d’humour permanent. C’était une des chevilles ouvrière du mouvement Freinet belge, il venait de prendre sa retraite. Il avait créé deux écoles, « L'école ouverte » à Ohain, en Belgique et « L'Autre École » à Bruxelles en 1973, qui accueille des enfants de 2 ans et demi à 12 ans. C’était dans « L’Autre École » qu’il m’avait fait venir. 

 

Je me suis bien fait expliquer une dizaine de fois le système éducatif belge mais je ne suis pas encore sûr d’avoir tout compris. Il y a trois sortes de ce qu’on appelle chez nous Éducation nationale, totalement séparées et indépendantes, qui recouvrent et régissent les trois communautés linguistiques (français, néerlandais ou flamand, allemand). Donc, à Bruxelles c’est « la communauté française » sorte de ministère de l’éducation, qui organise le système éducatif, forme et paie tous les enseignants (sauf pour ce qui concerne le « privé », le hors-contrat chez nous, mais chez eux il est pratiquement hors contrôle). Et il y a « les pouvoirs organisateurs » Les pouvoirs organisateurs, ce sont ceux qui créent et assurent le fonctionnement des écoles. Ces pouvoirs peuvent être la communauté française elle-même (ce qui correspond à nos écoles publiques) ou des communes ou des ASBL (associations à but non lucratif). Dans les deux derniers cas le pouvoir organisateur doit fournir les moyens concernant les locaux et leur fonctionnement, puis recrute ses enseignants parmi ceux formés et payés par la communauté française. Lorsqu’il s’agit d’une ASBL, comme chez nous il faut qu’il y ait un apport des familles pour le fonctionnement. L’ensemble de ces trois types d’écoles doit se conformer aux règles émises par la communauté française, mais règles quand même beaucoup moins tatillonnes et obtuses que chez nous (exemple de nos évaluations et de notre diplômite !). Vous me suivez ?

belgique3

J’avais d’abord passé une journée à L’Autre École. C’est une école dont le pouvoir organisateur est une ASBL, une association comprenant des parents. Ces derniers ne participent pas à l’élaboration de la pédagogie et à la gouvernance, en ce sens ils sont dans la même position que nos parents de l’école publique et de certaines écoles alternatives, mais ils doivent assurer le fonctionnement matériel de l’école par l’association et par leurs apports. Le problème de la participation effective des parents a été soulevé dans toutes les rencontres, il semblait bien que c’était avec le multi-âge la nouvelle phase abordée par le mouvement Freinet belge.

Dans cette école comme dans les suivantes, les locaux ont été dès leur origine soit construits, soit transformés quand ils existaient déjà, pour être une école Freinet. Un peu comme chez nous les très rares écoles ouvertes des années 70 ou plus récemment l’école de Monticello en Corse. De par sa situation urbaine « L’autre école » était dans la verticalité avec deux étages. Si l’organisation des espaces était ingénieuse quant à la circulation entre les uns et les autres, s’il y avait un magnifique espace commun avec un double amphithéâtre, elle avait été conçue à l’origine dans la perspective d’une salle pour chaque niveau d’âge. Avec le temps, la nécessité de disposer de beaucoup plus d’espace avec le même effectif, en particulier lorsqu’était envisagé un multi-âge vaste, s’avérait difficile à réaliser

belgique4

 On pouvait bien parler d’ateliers permanents à accès libre pour les enfants, mais où les placer dans une salle de 56 m2 ? Les contraintes matérielles qui limitent les possibles étaient les mêmes partout. Pratiquement tous les systèmes éducatifs du monde conçus en fin du XIXème siècle l’ont été dans l’optique tayloriste qui faisait fureur à cette époque et le sont restés. C’est peut-être une des raisons qui fait que toutes les pédagogies dites alternatives ont du mal à être acceptées par les États ou à inciter des enseignants à s’y lancer. En tout cas, moi qui avais eu cet espace dans ma classe unique, j’ai toujours été dans l’admiration de ces enseignants qui réussissent quand même à faire autrement. J’ai souvent parlé d’ingénierie éducative et ce sont bien des ingénieurs autant que des éducateurs que doivent être celles et ceux qui se lancent dans d’autres approches dans une école qui n’a pas été conçue pour elles.

belgique5

L’espace extérieur était aussi réduit à celui d’une cour bétonnée en dehors d'un petit jardin. Mais, lorsqu’on se promenait autour du bâtiment (ce que j’aime toujours faire, parfois simplement pour fumer ma clope !) on découvrait que derrière l’école il y avait toute une bande boisée avec une longue allée de promenade… un espace public que s’étaient appropriés les enfants et l’école, le transformant en terrain d’aventure ! Mieux, il avait été créé une charmante passerelle pour passer de la cour de récré à cet espace public presque sauvage où les enfants avaient bricolé une cabane, grimpaient aux arbres, faisaient mille et une choses. Voyez ce qui se passe autour d’une école et vous saurez tout de l’école !

Arrivé à l’autre école le lundi en fin d’après-midi et revenu lendemain toute la journée je n’avais pas pu y voir vivre les enfants puisque la journée du mardi était une « journée pédagogique » sans les enfants, journée pour laquelle Henry m’avait invité. Nous avons beaucoup discuté. Le multi-âge n’est finalement que ce qui trouble les représentations de l’acte d’apprendre. Partout je ressens que tout le monde comprend cette nécessité et aspire à cela, mais butte sur la réorganisation complète que le multi-âge induit et plus encore sur le renversement de toutes les représentations que l’on a des apprentissages. Il faut se déformater ! Les contraintes d’espace, d’attentes des institutions et des familles (elles-mêmes formatées) ne sont pas à négliger et sont bien de réelles butées, mais je continue de penser que le problème universel de nos sociétés, dites civilisées, est bien celui de l’entrée dans un nouveau paradigme, avant que ne se transforment les pouvoirs politiques sur l’école et l’éducation.

Pendant ces journées de discussion, avec Henry, du même âge que moi, nous avions dû parfois saouler les jeunes avec nos souvenirs d’anciens combattants !

Le jour suivant, je me suis retrouvé « De l’autre côté de l’école »

Prochain épisode : Belgique, "De l'autre côté de l'école" épisodes précédents

Commentaires