1940-2021 (213) - Épilogue - XV La santé ou l’affaiblissement continu
L’aspirine, une bouteille d’alcool à 90° (sinon une bouteille de gnôle !), du sparadrap, des compresses et du coton, du mercurochrome, du bicarbonate de soude, parfois l’huile de ricin pour la constipation, c’était à peu près tout ce qu’il y avait dans les pharmacies familiales de mon enfance. S’il y avait des enfants, il pouvait s’y rajouter l’huile de foie de morue (pouah !), du charbon végétal, un sirop pour la toux.
Les maladies, c’étaient la grippe (au lit avec un cachet d’aspirine), la rougeole et la varicelle que de toute façon il était mieux de contacter et que pratiquement tout le monde avait et qui te faisaient manquer l’école quelques jours. Les vaccins obligatoires : tétanos et diphtérie, BCG en 1950 (la polio seulement à partir de 1964). Pour la tuberculose, à l’école on nous apprenait qu’elle se développait surtout dans les habitats malsains, sombres et humides. Mais on nous apprenait aussi que c’était notre Pasteur qui avait inventé les vaccins (cocorico !). Je me suis toujours demandé si le BCG serait devenu obligatoire s’il avait été conçu par exemple en Russie. Il a fallu attendre ces dernières années pour qu’il soit reconnu comme plutôt inutile et nocif, peut-être aussi parce que l’on a constaté que la tuberculose avait diminué de façon semblable dans les pays développés où la vaccination obligatoire n’était pas instituée et où comme chez nous les cités bétonnées avec des appartements plus lumineux ont remplacé les banlieues à la Zola (à partir des années 1950).
La drogue, je n’en ai entendu parler pratiquement qu’à partir des années 1990. Il y avait bien l’alcoolisme, mais évidemment ce ne pouvait être que chez des paysans ou des ouvriers qu’il pouvait sévir ! Et puis pendant la guerre de 14 qui n’était pas si éloignée, les poilus étaient bien abreuvés de « picrate » pour qu’ils puissent sortir des tranchées et se faire mitrailler. Quant au tabac, officiellement pas pour les garçons avant 18 ans, pas pour les filles puisqu’elles ne pouvaient être comme les hommes ! Au service militaire, la cartouche de « gauloises caporal » faisait partie de la solde.
La mortalité ? Il n’y avait pas de statistiques !
Autrement dit, pendant longtemps la maladie n’a angoissé personne et n’était que du « pas de chance ». Mes grands-parents n’avaient ainsi aucun souvenir de la grippe espagnole qui avait pourtant été une vraie pandémie. Les médecins se déplaçaient de jour comme de nuit et n’étaient appelés qu’en dernier recours. Ils savaient tous remettre en place une épaule luxée « Vous avez un verre de rhum à lui donner avant que je lui remette son épaule en place ? » m’avait dit un médecin de montagne, le cigarillo au bec, pour un moniteur allongé dans l’herbe après une mauvaise chute ! Ils savaient recoudre une plaie, mettre des attelles voire ensuite poser un plâtre… À l’hôpital de Belley, mon père y avait été une fois se faire opérer de l’appendicite, c’était le médecin lui-même appelé la nuit qui l’y avait conduit.
Je ne me souviens plus à quel moment la santé est devenue un problème. Peut-être dans les années 1970 lorsqu’est apparue l’assurance maladie qui finalement permettait d’être malade sans trop perdre son salaire.
Peu à peu de nombreuses maladies sont apparues. D’abord parce que les progrès de la médecine permettaient de les découvrir. Le cancer par exemple, il est probable qu’il avait toujours existé, mais les décès étaient attribués à autre chose. En même temps, les mêmes progrès nous apprenaient que s’il se multipliait c’était parce qu’il était favorisé par tout ce que le progrès (toujours lui) avait fait développer : pollution de l’air, pesticides retrouvés dans les aliments, utilisation des produits chimiques, etc., etc. Donc multiplication des moyens pour tenter de le soigner, pour le dépister… multiplication des moyens pour filtrer ce qui polluait… parce que pas question de remettre en cause les systèmes et les modes de vie imposés par un autre truc appelé économie. Il valait mieux que chacun consulte le médecin pour n’importe quoi, même quand il n’avait rien. C’était la sécurité sociale qui payait.
Jamais auparavant médecine et surtout pouvoirs publics ne s’étaient autant préoccupés des épidémies, y compris des plus banales comme la grippe. Ce n’était pas tant une dangerosité accrue qui inquiétait, mais surtout qu’elles vidaient écoles et entreprises pendant deux ou trois semaines et fragilisaient… l’économie. Donc, vaccinations ! La vaccination c’était devenu comme les assurances. Vaccinez-vous de tout, vaccinez vos enfants de tout, si vous êtes réticents ce n’est pas compliqué, elles deviennent obligatoires (nous n’en sommes encore qu’à 11 vaccinations obligatoires !). Après Monsanto ou Bayers, ceux qui dictaient aux États ce qu’il fallait qu’ils régissent s’appelaient Pfizer, Johnson & Johnson, Sanofi… Bien sûr personne ne faisait un rapprochement quelconque avec les épidémies qui dans le même temps décimaient les élevages en batterie. (voir le chapitre sur l’agriculture).
Ce n’est que dans les années 2 000 qu’est apparue une épidémie apparemment complètement nouvelle, le SIDA. Il est vrai qu’elle a pu rendre perplexe, ce d’autant qu’elle semblait ne pouvoir qu’être attribuée aux rapports sexuels. Comme cela a été dans les milieux homosexuels qu’elle a d’abord été détectée, ce sont bien sûr les mœurs qui ont été accusés et cette communauté encore plus montrée du doigt et considérée comme pestiférée, notre société judéo-chrétienne l’avait condamnée depuis longtemps.
Le handicap.
Pendant très longtemps nous n’avons pas entendu parler de handicaps. Presque chaque village avait quand même son « idiot du village », il fallait bien en avoir un pour rassurer tout le monde ! En classe, j’avais eu un handicapé mental dans le Beaujolais (qui ne l’était pas tant que ça !), un à Moussac qui avait été catalogué comme tel, mais il ne l’était pas du tout, seulement un peu plus lent. À l’école, des classes dites de « perfectionnement » ont bien commencé à se développer dans les années 70 pour caser les enfants catalogués comme retardés ou caractériels qui gênaient les classes ordinaires. Ce n’est vraiment qu’à partir des années 2 000 que le handicap est devenu un problème sociétal national. Je ne pense pas que c’était seulement parce qu’on les voyait plus, mais parce qu’il y en avait beaucoup plus.
Il peut paraitre osé de dire que les progrès de la médecine ont multiplié un certain type de handicaps. Pourtant, pendant très longtemps la sélection naturelle les éliminait : fausses couches et enfants mort-nés. Il faut dire qu’en milieu rural la procréation n’était pas tellement différente de celle de tous les mammifères : chaque année, un enfant ! Les familles nombreuses n’étaient pas forcément une aspiration des femmes. Le seul contrôle des naissances toléré par l’Église était l’abstinence ou la très peu fiable méthode Ogino et, pour les dépravés capables de maîtriser leur organe, c’était le retrait avant éjaculation. La contraception mécanique (préservatifs) n’a vraiment été répandue et sa publicité autorisée qu’avec l’épidémie du SIDA, c’est-à-dire que l’on a pu en acheter sans honte.
Ce n’est que dans les années 1970 que la contraception chimique (pilule) a permis aux femmes de choisir le temps de leur maternité. Est-ce que cette modification des cycles a favorisé la multiplication des handicaps à la naissance, les malformations, les maladies auto-immunes ? La question est difficile à poser encore moins d’y répondre. Il est en tout cas probable que la quantité de produits chimiques, médicamenteux que nous ingurgitons à longueur de vie doivent bien perturber quelque peu les cycles de la procréation.
Toujours est-il que les progrès de la médecine ont permis de maintenir en vie des enfants qui autrefois n’auraient pas vécu à peine nés. C’est surtout à partir des années 2 000 que le handicap est devenu un problème national. Aujourd’hui des membres de ma famille, des voisins ont un enfant handicapé. Normalement il aurait dû en avoir beaucoup moins qu’autrefois avec tous les dispositifs de prévention mis en place. Ce sont les familles ayant des enfants handicapés qui se sont mobilisées dans des associations pour que la société permette à leurs enfants d’avoir le droit de vivre normalement (accès aux bâtiments accueillant du public, AVS dans les écoles, aménagement du travail…).
La science d’aujourd’hui a bien cerné tous les facteurs qui amplifient les risques de maladies, connues ou inconnues autrefois.
Évidemment, la pollution.
Pendant mon enfance elle était inconnue en milieu rural, mais nous savions bien qu’en ville on subissait les fumées de charbon des usines, Lyon était réputée pour son brouillard glauque l’hiver et les mauvaises odeurs de son complexe chimique de Feyzin qui par vent du sud pouvaient parfois se ressentir jusque dans le Beaujolais. Il a fallu pratiquement attendre les années 2 000 pour en connaître toute la variété et l’étendue en même temps que ses conséquences, en particulier dans le milieu rural : en 2 002, lorsque je me suis installé en Sancerrois, il y avait des avions qui répandaient les insecticides ou les fongicides sur les vignes au ras de ma maison. C’est la pollution qui est considérée aujourd’hui comme la principale cause de nombreuses maladies ; la solution n’a pas été de se passer de ce qui la provoque, impossible sans tout chambouler, mais de compliquer de plus en plus tout ce qui la produit. On ne trouve jamais d’autres solutions que de faire appel à la technologie.
La perturbation du sommeil
Pendant mon enfance, à la campagne tout le monde selon l’expression consacrée « se levait et se couchait avec les poules ». Les nuits étaient simplement plus courtes l’été. Peu de temps après la nuit tombée, les lumières s’éteignaient dans les villages. Le samedi, seuls les parties de belote et les bals populaires écourtaient un peu les nuits. De toute façon il y avait peu de choses à faire une fois le repas du soir terminé, de temps en temps passer un moment à trier les grains de haricots charançonnés ou lire un moment l’almanach Vermot ou un bouquin pour les plus cultivés, mais le cycle naturel du sommeil nous envoyait vite au lit.
Lorsque nous sommes allés dans la région semi-rurale avec ses usines proche de Lyon, cette fois il y avait l’impératif des horaires fixes de travail qui l’hiver prolongeaient la journée dans la nuit. Mais il n’y avait toujours pas grand-chose à faire une fois rassasié, et la fatigue suffisait comme somnifère. À l’école normale d’instituteurs de Lyon, je découvris les lumières de la ville qui font qu’il n’y a plus vraiment de nuit. Notre sommeil était alors encadré par l’extinction des feux et la sonnerie du lever, c’était l’horloge et le règlement qui le régulaient, on ne pouvait y échapper qu’en faisant de temps en temps « le mur ».
Devenu instituteur dans les années 60 en Beaujolais, c’est à partir de ces années que mon sommeil commença à être perturbé pendant la semaine : soirées entre amis qui se prolongeaient, soirées à Mâcon ou Villefranche-sur-Saône peu éloignés d’un coup de voiture pour le cinéma, le théâtre, voire les boites de nuit… Nous étions dans les Trente Glorieuses, tout devenait plus facile pour les classes moyennes auxquelles je commençais à appartenir. Mais pour le monde vigneron, il n’y avait bien que la télévision qui commençait à se répandre qui écourtait de temps en temps les nuits, et encore, pour les uns c’était seulement les jours de la « Piste aux étoiles », pour les autres c’était plutôt « Cinq colonnes à la une » parce que, avec une seule chaîne en noir et blanc, il n’y avait pas grande variété dans ce qui pouvait justifier une veillée devant un écran. Quant aux enfants, seuls les plus petits qui commençaient à être scolarisés à trois ans souffraient du manque de sommeil avec l’heure du lever obligatoire pour aller à l’école. Je peux situer fin des années 1990 une perturbation générale du sommeil avec la multiplication des chaînes de télé, des films diffusés… jusqu’à aujourd’hui où le streaming, les smartphones, les jeux vidéo, tout le monde peut être sollicité jour et nuit.
Les troubles du sommeil apparaissent enfin dans les problèmes de santé. Mais qu’y faire quand les addictions aux écrans, les nuits où les plus jeunes se gavent de décibels arrosés répondent comme les drogues au besoin d’oublier un moment ce qui perturbe de plus en plus l’esprit dans la journée, les soucis existentiels, le stress… pour tenter de retrouver un sommeil ?
Nous sommes la seule espèce qui ne vit plus selon ses rythmes biologiques, il ne faut pas s’étonner qu’elle ait besoin de plus en plus de palliatifs artificiels pour survivre.
Le stress, les troubles psychologiques, le burn-out.
Pendant mon enfance et mon adolescence, les mots eux-mêmes étaient inconnus des profanes. Nous savions bien qu’existait ce qu’on appelait des asiles de fous, le qualificatif psychiatrique était celui des spécialistes. Ils étaient pour nous pas tellement des lieux où l’on soignait, mais des sortes de prisons pour les personnes dangereuses pour tous. La seule personne que j’ai vue y être périodiquement internée a été une brave dame à Lantignié dans le Beaujolais. Son seul défaut, c’était que lorsqu’elle avait un peu trop bu, elle clamait à haute voix dans le village toutes les incartades auxquelles s’étaient livrés quelques notables. Le maire demandait alors son internement administratif, les gendarmes la conduisaient à l’hôpital psychiatrique de Mâcon où elle était une habituée, au bout de quelques mois elle revenait et, rigolarde, elle recommençait lorsqu’elle avait besoin d’être nourrie-logée !
On connaissait Pasteur, mais pas Freud. C’est après 1968 que Freud, Reich, Jung…ont commencé à être connus et leurs idées diffusées, mais cela ne dépassait pas les cercles d’intellectuels de la bourgeoisie ou la mouvance soixante-huitarde. La psychanalyse concernait surtout les grandes bourgeoises, leurs époux ayant bien autre chose à faire que d’aller se raconter sur un divan, ce qui aurait mis à mal leur virilité. Si les antipsychiatres (David Cooper, Thomas Szasz, Giorgio Antonucci, Ronald Laing, Franco Basaglia, Maud Mannoni…), remettaient carrément en question toute la société, leur influence ne dépassait pas non plus la mouvance de 68.
C’est surtout à partir des années 1990 que l’école n’a plus pu se passer des psychologues scolaires. L’échec et le retard scolaire, perturbant de plus en plus le fonctionnement du système tayloriste scolaire, ont été carrément médicalisés. Chimiquement d’abord pour éteindre ce qui était appelé l’hyperactivité, celle-ci devenant une maladie. Et puis cela a été l’appel généralisé aux psychologues scolaires pour des séances particulières individualisées et régulières pour remettre des enfants dans les chemins de l’élève. Si beaucoup d’enseignants ne signalaient qu’avec prudence des enfants, par contre les familles elles-mêmes et à leurs frais se sont mis à alimenter les cabinets privés qui se sont mis à proliférer jusqu’aux spécialistes comme les orthophonistes. La réussite scolaire était devenue une obligation pour réussir sa vie, « si tu ne veux pas finir éboueur ou chômeur ! ». La pression scolaire, à tous les niveaux, n’avait jamais été aussi forte. Pas question de remettre en question l’école comme cause elle-même des dégâts qu’elle provoquait.
C’est dans les années 2 000 que se sont développés les psys de toute sorte. Sophrologues, psychothérapeutes, hypnothérapeutes, art-thérapeutes, sexologues, relaxologues… Le stress, l’angoisse, la dépression… sont devenus de vraies maladies chroniques. Les suicides qui se multipliaient dans certains secteurs comme l’agriculture, les télécoms, voire dans la police, ont commencé à inquiéter. Le tout nouveau burn-out finit même par être reconnu comme une maladie professionnelle. Le capitalisme devenant forcené, l’économie de marché et la mondialisation en ayant comme seuls leitmotivs rentabilité, concurrence, compétition et comme meilleur moyen la diminution des coûts du travail par les salaires, la réduction des effectifs, les délocalisations, tout ceci en demandant toujours plus au monde du travail et en brandissant le chômage comme moyen de pression, ne pouvait qu’aboutir à cette situation. Le plus insoutenable psychologiquement est peut-être que dans ce qui est demandé aux salariés de supporter dans toutes les grandes entreprises sous l’emprise des multinationales, voire dans les services publics, très peu en voient encore une utilité sociale ou économique.
Lorsque l’on connait les causes d’un problème majeur, la raison demanderait d’agir d’urgence sur ces causes. Nous avons dû perdre la raison depuis longtemps puisque la floraison de nouvelles professions, les moyens institutionnels comme la médecine du travail, ont pour but d’aider à supporter cette situation, pas de la changer. Dans les médias audiovisuels, depuis seulement quelques années se multiplient les émissions du type « comment éviter le burn-out ? » ou « soigner l’angoisse », les livres, les stages, les méthodes sur le « développement personnel » ont de plus en plus de succès. On a vu apparaître les coachs ou conseillers en tout : coach scolaire, coach d’adolescent, coach de couple, coach bien-être, coach nutritionniste… jusqu’aux coachs en parentalité ! Une société complètement déboussolée où beaucoup ne savent même plus comment être parent !
La liste de tout ce qui est devenu la cause de la détérioration de la santé s’est allongée sans cesse. Les allergies par exemple. Pendant longtemps, à part le rhume des foins et les piqûres de guêpes ou d’abeilles, je n’en connaissais pas d’autres. Dans le restaurant scolaire dont j’ai eu à m’occuper pendant une quinzaine d’années ou pendant les colonies que je dirigeais (1963 à 1975) tous les enfants mangeaient de tout, il n’y en a jamais eu un seul pour qui il eut fallu proscrire tel ou tel ingrédient. Aujourd’hui c’est un casse-tête pour les cantines.
Ou encore l’obésité ou son contraire l’anorexie. Il est vrai que « de mon temps », les images de top-modèles n’envahissaient pas des écrans et les pubs, le sucre n’était que celui que les mamans ajoutaient dans le dessert du dimanche ou les confitures pour qu’elles se conservent, pour les glaces il nous a fallu attendre le développement des congélateurs... Je ne parle pas des maladies cardio-vasculaires, des diabètes, de l’hypertension, des AVC et de bien d’autres. Il n’y a que peu de temps aussi que l’on a découvert la malnutrition des pays développés alors qu’elle était avant la plaie des pays pauvres et était surtout du manque de nourriture après que nous avons été détruire leur agriculture vivrière traditionnelle pour faire du profit et approvisionner nos industries textiles, alimentaires et autres.
…
Si bien que la santé est devenue une énorme part dans les budgets individuels ou dans ceux de la collectivité. Sécurité sociale et assurance maladie ont, certes, permis à presque tout le monde de se soigner pour l’essentiel. Mais en même temps les recours au médecin pour le moindre petit bobo ou la moindre douleur se sont multipliés. Il s’est rajouté la prévention, c’est-à-dire le recours à la médecine avant d’être malade. Parallèlement au développement des cancers et autres maladies, se sont développés les dépistages permanents. Ma compagne qui est un peu hypocondriaque a dû déjà effectuer je ne sais combien de dépistage du cancer du sein. Dès que j’ai eu dépassé les soixante-cinq ans, j’ai reçu chaque année les vives recommandations de la sécurité sociale pour me faire vacciner contre la grippe, dépister un futur cancer de la prostate… Les rares fois où je suis allé chez le médecin (essentiellement pour accompagner mon fils qui avait besoin d’un certificat médical pour faire du sport… ou manquer l’école !), chaque fois il me faisait, sans que je le lui demande, une ordonnance pour une analyse de sang dans laquelle il aurait bien trouvé quelque chose qui n’allait pas. J’avais beau lui dire qu’à mon âge c’était comme si j’amenais ma vieille bagnole, qui roulait toujours bien, chez le garagiste pour qu’il trouve ce qui pouvait être changé, celui-ci m’aurait dit qu’il valait mieux m’en acheter une neuve, rien à faire, « je vous la prescris, comme cela on ne peut rien me reprocher, vous en faites ce que vous voulez » me disait-il quand même ! Évidemment, je n’en ai jamais rien fait !
Bien sûr l’espérance de vie s’est considérablement allongée, encore qu’il faut se méfier de ce qui n’est qu’une statistique. Elle ne s’est pas allongée de la même façon pour tout le monde et partout. Il est certain que la technologie a beaucoup diminué pour une bonne partie de la population l’usure de la fatigue physique d’autrefois. N’importe quelle voiture avec laquelle on roule un peu moins et que l’on entretient dure plus longtemps. Il n’empêche qu’à propos du recul de l’âge de la retraite il faut des manifestations pour que la « pénibilité du travail » soit prise en considération et que de réticences pour qualifier et limiter ce qui est pénible !
Paradoxalement si le nombre des maladies nouvelles et des malades augmentait en raison du « progrès » qui modifiait nos modes de vie, simultanément le même progrès de la science nous permit de survivre à ce qui auparavant nous aurait envoyés dans la tombe. Aujourd’hui, on vous change un cœur ou presque n’importe quel organe (pas pour les pauvres !), on vous prolonge avec une kyrielle de médicaments, on peut même vous faire vivre des années en état végétatif. Les urgentistes font quotidiennement des miracles. Il y a toutes les prothèses qui peuvent palier à bien des déficiences dont les prothèses dentaires qui permettent aux vieux comme moi de continuer à s’alimenter et mastiquer normalement, ce qui est peut-être bien ce qui augmente le plus notre espérance de vie. Voilà que, nous les vieux que l’on se targue de vouloir protéger et prolonger, que l’on range dans des EHPAD, voilà que nous devenons une importante charge pour l’économie. Le paradoxe : nous vivons plus longtemps tout en étant plus fragiles.
Logiquement la santé publique est devenue une énorme machine. Mais dans une société capitaliste, plus rien ne peut se faire s’il n’y a pas à la clef des profits privés. En dehors des privatisations, il fallait que ce qui restait du service public (hôpitaux) devienne rentable et surtout coûte le moins cher possible à l’État. D’où la diminution régulière des moyens qui lui étaient alloués tout en augmentant la charge du personnel soignant. Il a fallu la crise du COVID pour que l’on s’aperçoive à quel point le service public avait été affaibli en même temps que c’étaient les firmes multinationales pharmaceutiques qui s’enrichissaient de façon éhontée tout en dictant les politiques de santé aux pays. Après la crise… rien n’a changé ! Très curieusement plus vous êtes malades et coûtés cher, plus augmente le PIB, parait-il le thermomètre de la richesse d’un pays !
Il me semble qu’un parallèle pourrait être fait par n’importe qui avec l’autre domaine du vivant qui est celui de l’agriculture. Bien sûr les progrès de l’agriculture et la monoculture ont permis de produire massivement des plantes aux rendements de plus en plus grands (donc de plus en plus rentables !) en les nourrissant en quelque sorte artificiellement (engrais chimiques), en éliminant tout ce qui pouvait leur nuire (insectes, mauvaises herbes, champignons). Mais en même temps il a fallu augmenter sans cesse insecticides, fongicides et autres pesticides parce que lesdites plantes pouvaient de moins en moins résister, y compris lorsque le climat s’en mêlait. Cela a été la même chose pour tous les élevages concentrationnaires et hors sol en batteries. En même temps que sévissait le covid chez les humains, un virus de la même famille ravageait les élevages en batterie de poulets ou de canards (grippe aviaire). Personne n’a fait le rapprochement.Une grande partie d’entre nous ne vit-elle pas comme ces plantes sous perfusion, dans d’autres batteries que sont les habitats, les écoles, les entreprises, les transports ? Les grandes surfaces commerciales ne sont-elles pas pour notre alimentation un peu comme les distributeurs automatiques de granulés des élevages ? N’avons-nous pas, nous aussi, été considérablement affaiblis par le confort, l’hygiénisme ? Lorsqu’une majorité de la population vit (ou doit vivre) dans des appartements dont toutes les pièces sont semblablement chauffées jour et nuit, voire climatisées, il semble évident que ses facultés naturelles de régulation thermique s’affaiblissent et que les moindres canicules ou vagues de froid provoquent des ravages.
L’hygiénisme forcené qui nous fait vivre nous et nos enfants dans des lieux aseptisés, javellisés, désinfectés, qui nous fait doucher et savonner tous les jours, qui nous fait laver et relaver le linge à 90°, qui veut éliminer absolument tous les milliards de microbes que l’on serait susceptibles de respirer ou de toucher, cet hygiénisme n’a-t-il pas affaibli nos défenses naturelles ?
Peu importe que ce soit l’immunité artificielle (vaccins) qui ait affaibli l’immunité naturelle ou que l’immunité naturelle ait été affaiblie par nos modes de vie et ait nécessité l’immunité artificielle, toujours est-il qu’une autre branche s’est développée, l’immunologie, pour le plus grand bonheur des laboratoires pharmaceutiques.
Si l’apparition du COVID a pu légitimement effrayer en rappelant la grippe espagnole, par contre la psychose qu’a entretenu le ministère de la Santé alors que l’épidémie peu à peu s’apparentait plus à une forte grippe, puis à une simple grippe, la série de mesures collectives qu’il prenait alors que toutes s’avéraient inefficaces et ses affirmations péremptoires que s’il ne les avait pas prises cela aurait été pire, sa soumission aux multinationales pharmaceutiques avec ses vaccins si efficaces qu’il fallait les renouveler sans cesse, le déni du constat que dans les pays qui ne prenaient pas toutes ces mesures l’épidémie n’était pas plus importante, la censure de tous les scientifiques qui ne disaient pas les mêmes choses que ceux qu’il avait désignés comme faisant partie de son conseil scientifique dit indépendant… rien n’a provoqué une résistance quelconque voire simplement un questionnement de la majorité des citoyens. Même les médecins cessaient d’être des médecins et devaient se contenter de prescrire ce que le ministre disait de prescrire, c’est-à-dire rien du tout. On aurait pu croire que le délabrement de l’hôpital public qui est apparu dans toute son ampleur aurait fait prendre à la sortie de crise des mesures immédiates et importantes. Pas du tout ! Le budget des armées a été doublé
J’aurais pu penser, en admettant que cette épidémie ait pu légitimement désarçonner tous les responsables de la santé publique, qu’ensuite il soit fait un débriefing de ce qui s’était passé. Rien de tout cela : la guerre de l’Ukraine et les problèmes d’approvisionnement de l’énergie qui en résultaient a remplacé le COVID pour occuper les foules et l’occasion de prendre de nouvelles mesures dont on ne pouvait pas non plus douter.
« C'est la nature qui guérit les malades. Que ton aliment soit ta seule médecine ! La médecine est la seule profession dont l'erreur n'est punie que par l'ignominie… » Hippocrate.
La nouvelle grande peur permanente de ce siècle est la maladie. À moins que ce soit la peur la nouvelle maladie, bien entretenue.
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