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Le blog de Bernard Collot
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9 mai 2023

1940-2021 (217) - Épilogue - XIX L'école

école

Je ne m’attarderai pas trop sur ce chapitre : l’école, je l’ai évoquée dans pratiquement tous les chapitres de l’épilogue et dans tous les tomes de ma rétrospective, dans tous les ouvrages que j’ai pu écrire. C’est normal, elle a occupé la plus grande partie de ma vie.

L’école publique obligatoire est née avec l’ère industrielle, cela n’est pas le hasard. Au lieu de parler d’école on devrait parler DU système éducatif. C’est peut-être le système qui est le mieux perçu comme une machine avec son architecture, qui peut se comparer avec d’autres systèmes éducatifs ailleurs comme celui de la Finlande. Mais c’est un système mécanique, pas du tout un système vivant (je reviens sur ces notions dans le chapitre suivant), c’est-à-dire qu’il a été construit pour une finalité précise, celle de l’origine de l’école publique : faire des enfants les citoyens dont la République avait besoin (1882), puis ceux dont l’économie de marché et la société libérale ont eu besoin (2007, dans les annexes du traité de Lisbonne). Les employés du système éducatif (les enseignants) sont des fonctionnaires, au service de l’État et devant appliquer ses instructions, pas au service des enfants et des familles, leurs possibilités sont donc très limitées.

Lorsqu’enfant j’y suis entré, elle était identique à celle de Jules Ferry avec son tableau noir et ses craies, ses bancs de bois qui talaient les fesses, ses rangées d’élèves, son maître avec sa règle qui remplaçait la baguette, son emploi du temps et ses récréations, ses résumés à apprendre et à réciter par cœur…

Ce qui est stupéfiant, c’est qu’aujourd’hui elle n’a pratiquement pas changé.

images (1)

Certes, les tableaux noirs et leurs craies, après être passés aux tableaux blancs en Velléda et les feutres effaçables, ont été remplacés par des écrans et des claviers. Certes, les bancs de bois ont fait place à des chaises, les fenêtres placées pour que l’on ne soit pas troublé par ce qui se passait à l’extérieur ont été remplacées par des baies vitrées, les chiottes dans la cour sont devenus des WC à l’intérieur… Certes, les petites écoles où l’on s’y rendait à pied ont disparu et maintenant il faut prendre les cars de ramassage scolaire pour aller s’entasser dans ce qui ressemble plus ou moins à une HLM. Certes, les maîtres ou maîtresses d’école sont devenus des professeurs d’école, ils n’ont plus de blouses grises et ils n’ont plus droit de châtier par des claques les récalcitrants. Certes, le certif a été remplacé par le brevet et il faut que tout le monde aille au collège voire au lycée et ce n’est plus le certif qui marque la libération mais le bac. 

Mais à part cela, aujourd’hui rien n’a fondamentalement changé, voire s’est accentué. Ses piliers (horaires, emplois du temps, programmes, contrôles, examens, leçons, devoirs…) sont toujours les mêmes, même si ce qui est mis dedans change constamment au gré des ministres qui se succèdent. L’obéissance inconditionnelle y est tout aussi nécessaire qu’autrefois.

On a pu croire ou on nous a fait croire que l’école n’avait pas été conçue pour formater[1] des citoyens conformes à ce dont la République et la société industrielle puis l’économie de marché avaient besoin, mais qu’elle était le lieu indispensable où là seulement on savait comment faire apprendre ce qui devait être appris, ce qui n’a pas été tout à fait faux dans les débuts, tout au moins pour l’alphabétisation.

Aujourd’hui on continue à le croire.

apprendre

Dans mes tous débuts d’instituteur (1960), je le croyais aussi. Très vite, c’est toute une vie dans l’école qui m’a appris que tous les apprentissages ne se construisaient pas du tout dans ce cadre rigide, artificiel et tout aussi hors sol que les élevages en batterie. Les scientifiques, neurologistes et autres, n’ont cessé eux-mêmes de découvrir et d’expliquer comment les cerveaux apprenaient. Depuis plus d’un siècle, avec les pédagogies modernes, la pédagogie Freinet, les classes uniques de 3ème type, nous n’avons cessé de démontrer par nos pratiques qu’effectivement, si une école pouvait encore servir à apprendre, elle n’avait plus rien à voir avec l’école à laquelle tout le monde tient encore. Il est vrai qu’il ne s’agissait pas seulement de méthodes qui auraient été plus efficaces : ces pratiques éducatives accordaient de plus en plus de liberté et d’autonomie aux enfants, faisaient éclater les emplois du temps, la séparation des matières, se dispensaient de manuels scolaires, de leçons, ne fixaient plus des âges butoirs où telle ou telle notion devait être acquise,  privilégiaient l’expression libre et la création, introduisaient l’hétérogénéité des âges, plaçaient la coopération comme le principe de l’auto-organisation du vivre ensemble, laissaient la vie rentrer dans l’école… Mais comme les enfants y apprenaient tous aussi bien, voire beaucoup mieux et avec du plaisir que ceux de l’école traditionnelle, il n’y aurait eu aucune raison de ne pas les laisser se développer, voire se généraliser. On sait que cela n’a pas du tout été le cas (sauf pour la pédagogie Montessori, mais seulement dans des maternelles)

Donc, la seule raison d’apprendre qui justifierait de conserver cette école, telle elle a toujours été, n’a plus aucune légitimité ! Les apprentissages ne sont pas la finalité réelle de l’école maintenue dans la même conception qu’autrefois. Mais aujourd’hui, la plupart des parents doivent bien laisser leurs enfants quelque part pendant qu’ils vont chercher leur salaire, c’est je pense une des raisons de leur acceptation de cette école. Si cela peut encore justifier le maintien d’un tel lieu plus que du maintien de ce qui est une institution, ce devrait être bien autre chose que sa réduction aux simples apprentissages puisque c’est là que les familles sont bien obligées d’y laisser leurs enfants pendant la plus grande partie de leur temps de construction en adultes. On n’a pas encore bien saisi que c’est dans l’école que les enfants deviennent les adultes qui peuvent et doivent subir la société telle elle est devenue et qui n’arrivent pas à la changer.

Il y a eu, pour ce que j’ai vécu, deux périodes où ce que nous défendions a semblé intéresser. D’abord évidemment les années 1970.  Sont apparues alors les notions de plaisir, d’épanouissement pour une frange de la population de parents. Nous avons alors vraiment cru que l’école publique allait pouvoir changer de finalité, donc de conception. Nous n’avions pas encore vraiment intégré que l’école publique était avant tout l’école de l’État. Toutes les avancées qui avaient été conquises ont été peu à peu détricotées jusqu’à son point culminant qui a été le ministère socialiste de JP Chevènement[2]. Si je pouvais encore avoir des illusions en ce qui concerne la Gauche, elles ont été définitivement balayées.

La seconde période a été dans les années 1990 celle du mini-soulèvement contre l’éradication des classes uniques. Pour une fois nous avions été un peu aidés par les médias régionaux et même nationaux qui découvraient que beaucoup de classes uniques étaient dans un autre monde, vivaient dans un autre paradigme. Il y a eu, toujours dans la même frange, des familles qui ont cherché à changer de région pour que leurs enfants puissent être dans une classe unique. Encore une fois j’ai perdu mes illusions lorsqu’en 1998 la socialiste Ségolène Royal mit fin au moratoire sur l’éradication des petites écoles que nous avions obtenu.

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Et puis plus rien ! Dans les années 2000 tous les grands systèmes sociétaux ont commencé à être interrogés et remis en question, sauf le système éducatif et son école. Lors des élections présidentielles de 2017 j’avais tenté d’inciter le parti de la France insoumise, qui me paraissait enfin être la Gauche, de joindre la question du système éducatif à toutes les autres remises en cause qu’il mettait sur la table du changement nécessaire ; à son propre appel à contributions, je lui avais transmis à la fois un état des lieux vu de l’intérieur et des propositions pour engager une transition… sans jamais avoir eu de réponse ni même d’accusé réception. Lors du mouvement des Gilets jaunes j’avais aussi tenté d’introduire la question de l’école dans toutes les réflexions qui animaient les ronds-points et les assemblées citoyennes, en pure perte[3].

À partir de 2015, les écoles alternatives démocratiques ont semblé pouvoir se développer. Au-delà de l’épanouissement des enfants elles constituaient comme nos classes uniques de 3ème type des lieux de vie où, avec des adultes, les enfants devaient construire, voire créer dans le tâtonnement expérimental, les modalités et les habitus d’un vivre ensemble respectant ce qui n’a encore jamais été respecté dans ce qui devait être une république : liberté, égalité, fraternité. Ce ne pouvait qu’être insupportable pour l’État et les pouvoirs qui se voyaient perdre la main sur le formatage des futurs citoyens. En 2018 la ministre, encore socialiste, Najat Vallaud-Belkacem, commença à durcir les conditions pour ouvrir une école alternative et les contrôles de l’Éducation nationale, en même temps que les conditions pour faire l’instruction en famille. La raison invoquée (ou le prétexte) était la crainte du développement du radicalisme religieux, évidemment musulman parce que les écoles privées catholiques dont l’État rémunérait les enseignants ne dérangeaient personne. La peur que l’on insuffle (toujours elle) fait accepter n’importe quoi : son successeur, Jean-Michel Blanquer, n’y alla pas par quatre chemins. L’instruction en famille est devenue quasiment impossible, quant aux écoles alternatives, les obligations de respecter les programmes, la multitude des contrôles encore plus que dans l’école publique sur les niveaux des élèves suivant leur âge, tout cela fait qu’il faudrait qu’elles ressemblent à l’école publique pour exister.    

Que l’État ne veuille surtout pas changer son outil qu’est son système éducatif, cela se comprend. Même les États communistes totalitaires ont soigneusement conservé le même système en modifiant simplement les ingrédients qui l’alimentent pour un autre formatage, en particulier ceux de l’Histoire.

Par contre je n’arrive pas à comprendre pourquoi l’ensemble de la population se refuse obstinément ne serait-ce qu’à s’interroger sur ce qu’est et fait l’école. Pourtant l’enjeu est de taille et dépasse le seul intérêt des enfants. Dans toute espèce du monde animal, c’est bien de la façon dont s’élèvent ses petits que dépend la survie même de l’espèce. Nous sommes la seule espèce qui élève ses petits en les extrayant de leur famille et de l’environnement où ils se construisent, exactement comme elle élève les animaux en batterie pour les manger.

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C’est bien le système éducatif qui prépare les enfants à se conformer ensuite à tous les autres systèmes dont ils dépendront et du coup à les faire perdurer. L’école est ainsi la pierre angulaire de tout l’édifice social, politique, économique. Prétendre changer la société lorsqu’il y a urgence sans toucher à son école est de l’aveuglement. Si notre espèce arrive à changer de route avant son implosion imminente, ce ne pourra être que ses enfants qui pourront le faire si enfin nous ne leur ôtons pas d’emblée toutes leurs capacités créatives et sociales de le faire, ce que fait l’école de l’État obligatoire de facto dès trois ans.

Prochain chapire : macrostructures et système - chapitres précédents 


[1] Le verbe formater n’est évidemment jamais utilisé pour qualifier la finalité de l’école. On a d’abord utilisé instruire, puis éduquer. L’éducation est un terme dans lequel on peut tout y mettre, ce d’autant que l’on peut l’utiliser aussi bien à la forme transitive (éduquer quelqu’un) ou pronominale (s’éduquer) ! Les deux étymologies educare (nourrir) et educere (élever) : laquelle s’applique vraiment à l’école traditionnelle ? Je pencherais pour le second en pensant que l’on élève aussi du bétail !

[2] J’ai pointé spécialement les socialistes dans les coups d’arrêt qu’ils ont mis aux transformations qui auraient été possible non pas parce que les autres partis de droite ne l’ont pas fait mais parce qu’on aurait pu s’attendre à une autre ouverture d’esprit de leur part.

Commentaires
A
Merci très belle analyse... Pourquoi acceptons nous de faire élever nos enfants hors sol, en batterie, à la coupe de l'Etat ? Ma mère disait déjà dans les années 80 "je n'ai pas mis au monde de la chair à canon"... Quelle est cette peur du changement qui nous pousse à accepter cela pour nous et nos petits ? Qui pousse nos familles à nous traiter de déserteurs ? Pas évident... même quand on choisit de ne pas mettre nos enfants à l'école, celle si subsiste, doit être surmontée...
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