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Le blog de Bernard Collot
Le blog de Bernard Collot
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16 juin 2023

L’élevage industriel de touristes en stabulation.

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Je ne suis jamais arrivé à être touriste, non par principe mais parce que je n’arrive pas à me déplacer si je n’ai pas quelque chose à faire quelque part. D’autre part, je n’arrive pas à suivre un groupe, un guide, une brochure… La foule (ou les troupeaux !) m’étouffe. Le seul musée où je suis allé plusieurs fois avec intérêt a été celui de la sorcellerie, j’y ai amené plusieurs fois mes amis, mais ledit musée n’était qu’à quelques km de chez moi et le Berry est réputé comme terre des sorcières et des sorciers ! J’avais bien emmené mon fils au Louvre et à Beaubourg, mais assez vite ce fut l’overdose et le but était beaucoup plus les expéditions que nous avions faites tous les deux pour y aller.

Je suis complètement insensible aux cathédrales, quand tu en as vu une, une fois, tu les as toutes vues et il est impossible de ne pas imaginer la cohorte de travailleurs qui s’y est épuisée, a en partie péri pour sa construction pour la gloire et la puissance de l’Église. Il n’y a que la cathédrale d’Albi, ville où j’avais eu à faire, qui m’avait intéressé par son histoire : après la croisade contre les Albigeois, les protestants et les cathares, l’Église a voulu marquer sa puissance en même temps que son austérité morale en construisant une écrasante cathédrale tout en briques sans pratiquement aucune statue, mais lorsque nous rentrions à l’intérieur, elle dégoulinait de dorures, de statues et autres ; la moitié de l’espace était occupé par le Chapitre, espace interdit aux fidèles : tout était dit !

Ce qui ne veut pas dire que je ne sois pas intéressé par l’art, la technique, l’histoire… Un jour devant me rendre de Limoges à Eymoutiers, sur la route j’ai entrevu, un peu comme perdu dans les arbres, le musée Rebeyrolle. Intrigué, je me suis arrêté. Il n’y avait personne en dehors de la gardienne qui ne m’a même pas fait payer… et là, je me suis régalé ! Ceci dit, il n’y a pas besoin de courir au fond du monde, on a tout de quoi occuper nos yeux, notre curiosité à deux pas de chez soi, souvent sous nos pieds. Pour mon entourage que j’ai probablement empêché de satisfaire des intérêts légitimes, je reconnais avoir été une plaie !

Avertissement :

Toute cette longue introduction pour contextualiser les 8 jours que je viens de passer. Petit détail qui a son importance dans la suite : une colonne vertébrale quelque peu en compote (l’âge !) fait que je ne peux plus marcher très vite et très longtemps, mais je fais avec. La narration qui va suivre n’est pas ce qu’ont vécu les centaines de personnes ou celles que j’ai accompagnées devenant un temps touristes, terme qui en lui-même n’a rien de péjoratif. Si je fais apparaître des comportements comme ridicules, ce n’est que ma façon de les voir dans notre société et ce ne sont aucunement les personnes qui sont ridicules, mes propres comportements le sont tout autant. Ce n’est que le factuel, vu de ma position qui était un peu particulière et pas forcément confortable. Par contre, oui, s’il y a une entité que je pointe, c’est bien Lookéa et par extension toutes les multinationales semblables qui asservissent l’humanité pour l’unique profit.

 

Mon épouse est pompière volontaire. L’amicale des pompiers de Sancerre utilise une partie des fonds qu’elle récolte lors de la vente de ses calendriers pour s’offrir environ tous les deux ou trois ans un séjour loin de l’hexagone. L’occasion pour le groupe de vivre ensemble autre chose dans d’autres relation que dans le stress permanent des interventions, de faire des voyages que chacun n’aurait pu se payer seul. Ce n’est finalement pas grand-chose au vu de la plus grande partie de leur vie qu’ils consacrent bénévolement aux autres1.

Bien sûr, pour organiser ces séjours, il vaut mieux confier l’affaire à une des multinationales du tourisme qui vous la vend clefs en main, tout compris, vogage, séjour, restauration, guides… Cette fois c’était Lookéa, le but c’était l’Algrave, au fin fond du Portugal, à quelques pas de la mer. Pas si loin que cela, le Portugal j’y étais allé quatre ou cinq fois quand nous nous bagarrions pour les petites écoles avec des associations portugaises et espagnoles, j’aimais ce pays et ses habitants, je me laissai me convaincre par mon épouse de l’accompagner. Et puis, avec 14 pompiers à mes côtés j’étais tranquille !

En avant donc pour faire le touriste.

 Se rendre sur les lieux.

Le parcours du combattant du voyage était prévu, pas question de rêvasser même en n’ayant qu’à suivre les autres et à ne pas se perdre, surtout qu’un pompier ça marche vite ! Départ en car un dimanche matin à minuit et demi de Sancerre. RDV sympa, bises, même à moi, tout le monde est cool, moi un peu moins, mais bon, on verra bien. Arrivée à Roissy deux heures et demie après, trainer sa valise (heureusement qu’on y a inventé des roulettes !), bien suivre les indications des panneaux sans se tromper dans le circuit pour ne pas se retrouver en direction d’Honolulu ou d’une autre ville du monde pour aller se faire enregistrer et se débarrasser de sa valise (à Roissy, c’est bien écrit aussi en français, mais faut-il encore savoir ce qu’ils disent et pourquoi il faut que tu y ailles!). Ouf ! Tu as une carte d’embarquement et tu vois partir ta valise si avant tu as préparé ta carte d’identité et le premier billet ; si elle ne dépasse pas le poids, un tapis roulant te l’embarque et tu te demandes si, quand et où tu vas bien la récupérer à l’arrivée. Du coup tu te sens tout léger, un peu nu. Puis attendre qu’un haut-parleur t’indique que les passagers du vol n° tant doivent se rendre aux formalités d’embarquement à tel endroit (avec une lettre ou des chiffres !). Tu as intérêt à avoir l’oreille aux aguets parce que la voix ne te le répète pas trente-six fois et les annonces d’autres vols se succèdent. Tout ce ci est bien aussi indiqué sur plein de grands panneaux qui clignotent, faut-il encore savoir ce que tu cherches dans des alignées de colonnes de lettres et de chiffres ! Nouveau parcours où tu as intérêt à ne pas lâcher d’une semelle les basques de tes pompiers (mais pas en tenue !) qui disparaissent facilement dans la foule qui elle aussi ne veut pas louper son départ. Eux sont des chevronnés des voyages en avion… Bon, tu sais quand même que ce sont des pompiers qui ne laissent jamais tomber un camarade, même s’il n’est qu’éphémère, qu’ils feront tout pour te récupérer… sauf si l’avion part !

Tu crois que ça y est et que tu n’as plus qu’à attendre de monter dans l’avion. Innocent ! Tu es bien au bon endroit, dans une file qui tourne dans les tourniquets comme on fait passer les moutons avant de les tondre un à un, mais tu dois passer au contrôle de sécurité, au cas où tu fasses sauter l’avion ou que tu aies l’idée de le détourner. Tu arrives devant le tapis roulant. Il faut que tu y vides tes poches, que tu enlèves tes bretelles, que tu enlèves de ton sac à dos tout flacon de liquide, tout ce qui a un truc de métallique, appareil photo et je ne sais plus quoi encore, tu poses tout ça sur un plateau sans trainer parce que derrière toi ça piaffe, tu avances en tenant ton pantalon d’une main, tu crois passer le portique pour aller récupérer ton barda de l’autre côté, et paf ! L’uniforme t’arrête : tu n’avais pas enlevé la tablette numérique de ton sac à dos ! Il vide ton sac sans aucune précaution comme on vide un sac de pommes de terre, flanque tes papiers sur un plateau, ton appareil photo sur un autre, le reste sur un autre, les uns et les autres se mélangeant à la file du tapis roulant, puis il te fait passer le portillon, te papouille de partout, toi tenant toujours ton pantalon d’une main. Et puis c’est bon, tu n’es pas un terroriste, débrouille-toi pour récupérer ton barda sur le tapis roulant qui lui ne s’est pas arrêté ainsi que la file de ceux qui sont bons pour le départ, tu essaies de remettre tout en vrac dans ton sac, tu n’oublies surtout pas tes papiers, et tu dégages vite pour ne pas créer un bouchon. Heureusement que mon épouse dégourdie était derrière moi, surtout pour m’aider à rattacher mes bretelles !

Tu te dis que tu n’as plus qu’à monter dans l’avion qui doit t’attendre à la porte. Pas du tout : là il faut te précipiter dans des bus bourrés à mort qui vont te transbahuter à travers les km de l’immense tarmac pour rejoindre une des innombrables pistes où t’attend ton engin volant. La conductrice de celui où nous étions montés devait avoir une ou deux minutes de retard (à moins qu’elle fût pressée de rentrer chez elle), si bien que si nous avions été des bouteilles il n’y aurait eu qu’un amas de verres cassés à charger au bout de la course, fallait se cramponner ferme aux barres… ou au voisin ou la voisine.

10 heures. Nous étions partis de Sancerre depuis minuit et demi, l’avion décolle, dans deux heures il atterrira au sud du Portugal, deux heures peinard ! À la descente plus qu’une préoccupation : récupérer sa valise ! Faro, capitale de l’Algarve, n’est pas un aéroport de la taille de Roissy, le chemin pour trouver où notre valise allait passer sur un tapis roulant était bien plus court, encore que les indications n’étaient plus qu’en portugais ou en anglais, pénible pour celui qui comme moi est allergique à tout ce qui est anglo-saxon. Lorsqu’enfin tu vois passer ta valise et surtout que tu la reconnais (mon épouse avait bien collé des ronds blancs pour qu’elle se distingue des semblables… mais ils s’étaient évidemment décollés dans les soutes !), tu te dis que ça y est, les vacances vont peut-être commencer !

Deux nouvelles heures de car, tu vois défiler des maquis, des garrigues, parfois d’immenses pépinières d’orangers te rappellent que les meilleures oranges que tu manges venant du supermarché sont portugaises.

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12 heures. À l’arrivée tu t’attends à entrevoir la mer. Pas du tout, tu as l’impression de débarquer dans une cité HLM de luxe ! La différence avec les HLM, c’est qu’ils n’hébergent pas des habitants portugais mais uniquement des locations de vacances. Les autochtones ? Et bien il va falloir un bon bout de temps de marche pour voir le bout du nez de quelques-uns. S’il y en a eu quelques-uns autrefois, ils ont cédé la place aux usines à touristes et il n’y a plus de traces de leurs habitations. Encore deux terrains vagues, un qui doit encore faire l’objet de tractations avec les multinationales, l’autre qui a déjà le trou entamé du prochain bloc. Mais tout est blanc et propre !

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Voilà l’entrée de notre séjour. Probablement que de l’autre côté ça va être la verdure et la mer ! Comme à cette période il y a beaucoup de groupes comme nous, c’est la cohue dans la réception. Tu arrives enfin à t’inscrire et savoir le numéro de ta chambre. Il y en a 500, réparties en trois blocs séparés de chacun six ou sept étages accessibles évidemment de la réception par des « élévators ». Comme nous y étions entrés par la rue, nous croyions que celle-ci était au rez de chaussée, pas du tout, c’était le 3ème étage, il fallait descendre pour atteindre notre chambre : l’hôtel était ancré sur une pente, tu imagines le brassage de tonnes et de tonnes de terre et de pierres qui avait permis sa construction.

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 Avant tu as bien sûr été marqué comme membre de Lookéa, pas au fer rouge comme les bovins d’un troupeau mais par un bracelet que tu ne pourras enlever qu’avec des ciseaux et qui te donnera accès gratos à tout ce qu’il peut y avoir dans ton espace de villégiature. Chambre un peu plus grande que celles d’un Formule 1, bien sûr télé et même frigo, mais pas un fauteuil ou même une chaise.

Enfin, ouf ! On va pouvoir se décontracter. Un petit tour sur le balcon, on va enfin le voir l’océan.

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Ouaf ! En face, les autres cases de la cage aux touristes ! En tournant un peu la tête, tu vois quand même une partie de la stabulation de ta résidence pour huit jours. Et tu entends surtout la rumeur permanente qui va en remonter pendant tout ce temps !

   

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Tu as de la chance : tu entrevois un petit coin de l’océan. Bon il est là et pas trop loin !

 

 

 

Les restaurants.

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Il y en avait cinq, deux sous forme de selfs grandioses, deux pour des repas à thèmes servis et un snack pour la nuit. Pour être grandioses, ils l’étaient ! Des usines à bouffer ! Et pour la bouffe, je n’ai jamais tant vu se bâfrer de ma vie ! Je ne sais pas si en un mois même le plus boulimique serait arrivé à tout essayer, je n’ose même pas dire goûter. Tu pouvais manger de tout sans aucune limite. La quantité de déchets devait être phénoménale puisque, à quelle heure que ce soit, tout était comme si cela sortait du four. Il paraît que c’est une règle internationale : en restauration tout ce qui n’est pas consommé doit être jeté et ne peut être donné même à ceux qui crèvent de faim (cela me paraît tellement stupide que ce serait à vérifier s’il y a des restaurateurs qui me lisent). Cependant, si l’on se place dans la logique du profit, c’était probablement le plus rentable pour une entreprise qui a à servir tous les jours aux environs de 1500 personnes : les matin ou la nuit arrive la même énorme quantité de denrées, d’où le poids pour négocier les marchés. Puis la rationalisation pour transformer ces denrées à la chaine en une grande variété de plats mais toujours les mêmes. Énorme économie de personnel agissant comme les OS d’une chaine de n’importe quelle industrie, économie de personnel de service puisque les clients vont eux-mêmes confectionner leur menu, remplir leurs assiettes. Alors peu importe les déchets, d’ailleurs on va les blanchir en disant qu’ils ne sont pas perdus mais transformés en compost, peut-être même que, dans le cycle, d’autres entreprises les achètent. Et tout le monde est content, l’économie de marché et le capitalisme ont encore de beaux jours !

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Quant au nombre de décibels ingurgités en même temps, rien que cela me faisait écourter les repas. Pour le petit déjeuner, tu avais intérêt à être le tout premier pour avoir une dizaine de minutes à peu près normales. Rapidement, c’était l’infernale cacophonie des trois ou quatre centaines de convives devant parler de plus en plus fort. Les architectes ont conçu un ensemble en béton comme une formidable caisse de résonance, même dans l’espace extérieur, dans tous les lieux, au bord ou loin des piscines, impossible d’échapper un moment au bruit, sauf très très tard dans la nuit. Dans une dizaine d’années, la terre sera peuplée de sourds.

Pour ma part, la seule chose que j’ai appréciée, ce sont les sardines ! Mais il n’y a qu’au Portugal que l’on sait faire griller les sardines. Déjà, lorsque j’étais allé à Sétubal pour créer avec Luis l’Espagnol et Rui le Portugais l’association européenne de défense des petites écoles, Rui nous avait emmenés dans un bouge du port industriel où il valait mieux ne pas y aller seul et j’avais découvert ce qu’étaient des sardines grillées.

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Le personnel à notre service.

Dans les salles de resto, vers les tables des buvettes des piscines, sur les terrasses, des dizaines de ce qu’on ne peut qu’appeler des « larbins » étaient à l’affut du moindre verre, de la moindre assiette qui était vide, et hop c’était enlevé ! Il suffisait même que tu poses ta fourchette dans ton assiette, cela suffisait à signifier que tu en avais assez, elle était enlevée et tu allais choisir autre chose dans une autre. À l’extérieur devant les buvettes, partout c’était pareil. Le moindre gobelet, le moindre papier par terre disparaissait à peine tombé. Même les microbes devaient avoir la vie dure.

 

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J’ai réussi à interviewer un garçon de salle (pas facile lorsqu’on ne parle pas anglais !) : c’était un Hindou comme la plupart de ses collègues m’expliqua-t-il. Eux n’avaient absolument pas le droit de d’aller se servir, une fois tout le monde parti, dans l’énorme quantité de plats restants qui allait partir à la poubelle.

Tous les jours, nos lits étaient faits, vêtements qui trainaient pliés, serviettes changées, chambres nettoyées. Dans les couloirs, c’étaient cette fois des femmes portugaises qui étaient à l’affut avec tout leur matériel. Dès qu’une chambre était vide, hop elle devenait nickel. Nous n’avons jamais vu quand la nôtre était quotidiennement transformée comme si on n’y avait encore jamais dormi. Je suppose que la direction devait vérifier avec une loupe si un grain de poussière avait été oublié.

L'ensemble du personnel comportait environ 400 personnes ! Aucune de celles que j'ai pu interviwer n'a pu me préciser le nombre exact.

J’ai titré "élevage industriel de touristes en stabulation", c’était exactement cela ! Cela s’est confirmé lorsque je me suis demandé ce que faisaient ces touristes sortis de leurs cages à dormir.

  

Où se passait l’essentiel des « vacances » des touristes (donc les miennes !) ?

Là !

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L’espace était multiplié en plusieurs niveaux de béton pouvant te donner l’illusion de pouvoir te promener dans un paysage. Pour passer de l’un à l’autre tu empruntais une espèce de tunnel fluorescent et oppressant, pas loin de te faire penser au couloir de la mort d’une prison. C’est pour cela qu’il doit être fluorescent ! Sont pas géniaux ces architectes ?

Il fallait que toute cette foule attende un peu pour aller tremper ses fesses dans les piscines parce que tous les jours il y avait le vent frais de l’Atlantique, mais l’objectif n’était pas tant celui de la baignade que celui de teinter sa peau au soleil pour qu’au retour chacun puisse prouver qu’il était bien allés au fin fond du Portugal. 

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L’océan n’était pas loin, mais lui il était à 17°, il y avait le vent frais, les vagues… De toute façon tu ne pouvais le voir qu’en grimpant sur les dernières terrasses. Et puis, en restant au chaud et à l’abri, il y a les buvettes !

 

 

 

Ah ! Les buvettes, il y en avait partout ! On t’y servait à volonté, du coca au whisky en passant par tout ce qu’on peut trouver dans un bar jusqu’au pastis de Marseille ! Pour le champagne, c’était dans l’immense salon de la réception avec fauteuils en cuir ou simili, mais là, comme dans les restos, les décibels ne pouvant s’échapper dans l’air, ils devenaient insupportables et il était impossible d’y conter fleurette à voix basse. Les pompiers s’y retrouvaient systématiquement midi et soir, à l’extérieur ou à l’intérieur.

  

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Mais un touriste cela a des mômes. Bien que nous étions en période scolaire, il y en avait beaucoup. Pas mal de familles étrangères, il n’y a qu’en France où manquer l’école est un crime d’État. Mais il y avait justement aussi des familles françaises. Comme quoi, lorsqu’on a les moyens de se payer ce genre de vacances, l’État et ses fonctionnaires deviennent plus tolérants.

Un gosse, ça reste beaucoup longtemps dans l’eau, mais il arrive un moment où il faut qu’il ne reste plus trop dans les pattes des adultes et qu’il les laisse bronzer tranquille. Lookéa a évidemment étudié le problème. Tu peux contraindre les vaches à rester à manger, à boire et à ne pas bouger, mais tu dois quand même laisser batifoler leurs veaux pourvu que ce soit propre. Dans les différents niveaux, ils avaient des espaces conçus pour eux. Béton et plastique. Il y avait bien un coin pour jouer au ballon. De loin tu crois voir de l’herbe, tu te trompes, c’est du gazon synthétique !

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 Pourquoi n’y a-t-il pas grand monde pour taper la balle ? Évidemment, il faut s’inscrire à l’avance pour un jeu proposé par un gentil animateur !

Et oui, il y avait une bande de GO, jeunes, sautillants, s’agitant, constamment avec la banane : il faut que tout le monde reste dans l’enclos et éventuellement les faire bouger un peu. L’équipe parlant français était en blanc. Tu avais tout un menu à ta disposition : yoga, à telle heure, fitness, massages, danse aquatique, beach-volley… à telle autre. Faut dire que pour le beach-volley ce n’était pas la queue ! Il y avait, probablement pour les jours de pluie, la salle de jeux avec tout ce qu’on peut trouver dans les bars : baby-foot, flippers… billard. Je n’y ai jamais vu personne (on n’y bronze pas !), dommage, j’aurais bien fait un billard !

 

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J’ai interviewé un ou deux de ces jeunes. Je pensais que c’étaient surtout des étudiants ou des jeunes se faisant un ou de ux mois de gratte pour payer leurs études ou voir venir, un peu comme les moniteurs de colonies de vacances. Pas du tout, ce sont des pros. Six mois au Portugal, six mois en Thaïlande, six mois au Cap-Vert… Pas beaucoup plus payés que le SMIC, mais nourris, logés…

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Parmi le personnel c’étaient les seuls à pouvoir se servir aux selfs ou auxbuvettes comme ils le voulaient. Plusieurs m’ont dit qu’ils comptaient bien y faire carrière, monter en grade, devenir GO en chef. Ils pouvaient rester chez Lookéa (sécurité de l’emploi!) ou aller voir au Club-Méditerranée ou toute autre multinationale du tourisme. Comme je leur demandais si cela ne leur devenait pas pénible d’avoir toujours à sourire, gesticuler en rythme pour présenter et animer les soirées ce qui avait quand même un côté plutôt comique et ridicule, ils me répondirent : « Pas du tout. Dans notre contrat, il est bien précisé que ce ne doit pas être factice, que vous ne puissiez penser que c’est factice, qu’il faut qu’on aime cela ! ». Bon, faut pas trop s’imaginer que toute la jeunesse veut changer le monde !

 

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J'ai passé beaucoup de temps, comme autrefois les vieux assis sur leur porte, devant ma bière à regarder passer, aller et venir la foule cherchant une place pour bronzer. Je pouvais aussi passer pour un vieux pervers qui reluquait les gens à moitié nus. Mais quand u es assis à ne rien faire, faut bien que tes yeux se posent quelque part et comme il n'y avait rien d'autre ! Il ne devait pas y avoir un seul intellectuel parce que je n'ai vu personne avec un bouquin. Parmi les quelques revues en toutes langues dans la boutique de la réception, la seule en français était Charlie-Hebdo, il n'y avait qu'un seul exemplaire, c'est moi qui l'ai acheté ! Incroyable, pour Lookéa c'est Charlie qui représente la France, Cabus ou Cavanna doivent rigoler là-haut !

De ma vie, jamais je n’aurais pensé qu’il existe dans la population un tel pourcentage de gros, de grosses, de gras, de grasses, de ventripotent-e-s, voire de carrément obèses ! De tous âges, sauf des enfants, comme quoi ce n’est pas forcément génétique, ils ont le temps que cela vienne sans qu’ils ne s’en aperçoivent ! Des deux sexes. Peut-être n’était-ce qu’une concentration du fait que ce pouvait être la grande bouffe jour et nuit sans supplément à payer ! Faut dire qu'en 8 jours là-bas, il n'y en a pas beaucoup qui n'ont pas dû voir leur tour de taille augmenter de quelques centimètres. Devoir porter sans cesse un tel poids doit bien finir par user les machines. En tout cas ils semblaient toutes et tous parfaitement libérés et heureux de vivre, c’est peut-être pour cela qu’ils étaient encore plus beaux jusqu’à faire envie, et c’est bien l’essentiel.

Quelques spécimens parmi ceux que je voyais défiler en quelques minutes en sirotant ma bière :

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Frise de photos autocensurée. Je l’avais mise dans une première mouture parce qu’esthétiquement je la trouvais réussie. C’est mon fils qui m’a fait remarquer qu’elle pourrait être interprétée complètement autrement et blesser celles et ceux qui souffrent de leur état. Dommage.

 

 

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Dans le béton, tu ne t’attends évidemment pas à voir un oiseau. De temps en temps une mouette venait se percher un instant sur le bord d’une terrasse reluquer d’un œil si par hasard n’y aurait pas quelque chose à becqueter, mais vu l’armada de « larbins » qui ramassait tout ce qui pouvait tomber par terre, elle retournait vite voir ailleurs. Même les moineaux y renonçaint. Alors, lorsque tu voyais deux perroquets se percher sur le bord d’un fauteuil, tu te disais pourquoi pas, au sud du Portugal il y en a peut-être qui vivent dans la nature. Pauvre cloche !

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Lookéa ne recule devant rien, ce n’est pas une montreuse d’ours qu’il avait embauché mais une montreuse de perroquets qui baladait ses deux bestioles à longueur de journée et qui en prime, avec un acolyte photographe qui te tirait ton portrait devant un décor en carton. C’est pas beau les vacances au Portugal ?

 

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J’ai oublié l’employé le plus relax de toute l’entreprise Lookéa : le maître-nageur ! Sous son échelle obligatoire où je ne l’ai jamais vu grimper, il avait toute sa petite installation pour passer le temps ! Il était Brésilien !

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À l’intérieur tu n’avais même pas besoin de monter des escaliers : escalators !

 

 

 

Le premier jour, tu te dis quand même que tous ces gens, qui ont craqué leurs économies pour aller au bord de l’océan au fin fond du Portugal, c’était pour passer du temps à la mer, éventuellement voir le Portugal et des Portugais. Et bien non ! L’eau, elle était à 10 minutes avec ma marche de handicapé de la colonne. Tu descendais sous des pins, finissais par des escaliers et tu débouchais sur une petite crique avec un peu de sable. D’accord, pas très grande, mais tu pouvais passer dans une autre un peu plus grande en passant à quatre pattes par une espèce de tunnel creusé dans la roche.

Il n’y avait pas grand monde… et personne dans l’eau à part mon épouse qui y est allée nager presque tous les jours. Faut dire qu’il y avait toujours du vent et des vagues et que l’eau ne dépassait pas 18° !

Le long d’une côte de falaises, pas question de la longer les pieds dans l’eau, tu étais obligatoirement coincé dans ces deux criques à moins d’être alpiniste.

C’était animé surtout par des bateaux de toute taille qui s’approchaient les jours sans trop de vagues avec leurs cargaisons de touristes leur faire voir, comme dans un zoo, qu’il y avait bien des plages et d’autres touristes.

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Les excursions

Dans une stabulation, il faut quand même que s’aèrent un peu les bestioles à élever. Et puis Lookéa comme les autres multinationales du tourisme se doivent quand même de justifier, auprès des pays qu’elles squattent, qu’elles contribuent à leur économie et à les faire connaître, en se piquant d’une pointe de culture. D’où l’organisation quotidienne d’excursions pour faire sortir un peu leur cheptel.

Tout le groupe des pompiers participant à quelques-unes, je me suis forcé à être de la première. Et puis j’étais curieux de voir ce qu’était une excursion organisée. C’était la visite de la côte ouest.

 

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Tous les matins, aux heures indiquées des cars numérotés attendent leurs troupes d’inscrits. Chacun a son guide qui a compté soigneusement avant que l’on parte que tout le monde est bien là, qui après chaque arrêt recomptera si tout le monde a bien réintégré son siège, qui va tout vous dire, ce qu’il faut regarder à gauche, à droite, devant, qui dans les rues ou les bâtiments visités vous dira tout, bref encore mieux que les moniteurs de colonies de vacances.

 

 

 

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Il faut dire que rien que pour le guide je n’ai pas regretté l’expérience : un vrai portugais (j’en ai vu un !), aimant passionnément son pays et les Portugais, féru d’histoire, d’économie, de géopolitique… Pendant pratiquement six heures sans discontinuer, il a tenu le micro dans le car, tenu le crachoir dans les visites, à tel point qu’à la fin il avait endormi la moitié du monde du car. Je lui ai fait remarquer au retour qu’il avait enfilé pratiquement six conférences d’universitaire à la suite, apparemment complètement improvisées, tout en y glissant malignement quelques messages cruellement politiques pour nous autres !

Premier arrêt, Lagos d’où les grands navigateurs portugais partaient. Classique : tu suis ton guide (il vaut mieux d’ailleurs si tu ne veux pas te perdre), tu tournes la tête où il te dit de la tourner, tu écoutes et tu apprends peut-être que le personnage de telle statue a fait ceci ou cela, et pendant ce temps il y a à côté des trucs pittoresques de la vie qui se passent ! Exemple en image où personne n’avait vu ni entendu le saxophoniste de rue:

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 Et puis, il faut bien reconnaître, que ce soit à La Rochelle, Poitiers, Toulon ou dans n’importe quelle ville moyenne européenne, au soleil les rues où l’on balade les touristes sont à peu près les mêmes, avec les mêmes magasins à touristes, les mêmes arrêts devant d’autres statues, les mêmes incursions dans un ou deux musées.

Une ville, quelle qu’elle soit, tu as besoin d’y rester quelques jours si tu veux vraiment la découvrir

Sous le coup de midi, tu as un moment de liberté lorsque ton guide va bien t’indiquer en long et en large les repères pour rejoindre ton car à l’heure indiquée. Il ne te lâchera que lorsqu’il en sera sûr.

Pour une fois il va falloir que tu te trouves à bouffer ! Avec mon épouse et un pompier nous avons délaissé le centre pour aller renifler du côté du port et trouver la terrasse d’un restaurant avec vu sur le port au dernier étage du marché couvert où ce ne sont bien que des Portugais qui y font leurs courses  ! Manger, enfin tranquille, presque seuls en pouvant entendre seulement les rumeurs du port ou les cris des mouettes.

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 Et on remonte dans le car parce que le but de l’excursion, c’était la côte ouest et on ne l’a toujours pas vue ! Faut dire que tu n’as pas une seule route qui longe vraiment une côte, pour voir l’océan il faut que le car puisse y faire une incursion. Deux étaient prévues.

La première sur un promontoire avec une vaste vue, escaliers de terre aménagés, passerelle de bois, vue panoramique avec explications… et tu as une demi-heure pour longer un peu la falaise.

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 Je ne veux pas jouer au blasé, mais sincèrement, y a-t-il au niveau du spectacle visuel une grande différence entre n’importe quelle côte du monde entier ayant la même géologie ? Tu as vu la Bretagne, la Vendée, les Landes, le Languedoc et la Côte d’Azur et tu feras partout ailleurs à peu près les mêmes photos ! D’accord, j’exagère… un peu !

 

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Le but final était le « Bout du monde », Sagres et sa forteresse. Presque tous les pays ayant une côte atlantique ont un bout du monde avec son phare ou sa forteresse. Après les explications très imagées du guide, une heure de liberté. Les marcheurs, dont mon épouse, s’empressent d’essayer de parcourir le plus des chemins sur les falaises qui surplombent l’Océan. Pour ma part, après avoir parcouru une ou deux centaines de mètres pour tirer une ou deux photos de ma compagne (faudra que je la sous-titre pour que l’on se souvienne que c’était bien au Portugal !), prudemment je vais attendre leur retour devant une bière à la terrasse de l’immanquable buvette à côté des obligatoires boutiques de souvenirs made in Chine.

 

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J’y suis vite rejoint par les pompiers les plus anciens, puis par tout le groupe qui a fait son plein d’Océan… et de vent ! Finalement, les seuls envahisseurs de la forteresse du « Bout du monde » auront été les touristes d’aujourd’hui !

 

Avant l’industrie du tourisme, la vie locale se passait à Porches à une dizaine de km, dans l’arrière-pays, le hameau des pêcheurs au bord de la côte remplacé aujourd’hui par les installations à touristes. Mais tout le personnel qui était logé dans la zone touristique devait bien quand même se rendre dans de temps en temps au bourg. D’où une sorte de petit train, en réalité un gros tracteur tirant quelques remorques déguisées en wagons qui faisait deux ou trois fois par jour la navette. Les retraités du groupe des pompiers ont décidé l’avant-dernier jour d’y aller manger. Je m’étais décidé de les accompagner pour quitter l’infernale cage aux touristes. Mais j’ai loupé le rendez-vous à l’heure du passage de la navette : je me suis trompé d’heure en ayant oublié le décalage horaire !

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Je n’ai pas regretté : j’en ai profité pour aller faire quelques photos de ce que l’immobilier avait fait de cette région. Et alors, j’ai rencontré le seul autochtone de tout mon séjour. À ma grande surprise, je vis apparaître au bout de l’avenue un troupeau de chèvres et son chevrier. Je me suis dit que Lookéa avait dû louer ses services pour faire couleur locale, comme pour sa montreuse de perroquets ! Pas du tout : il profitait des terrains vagues pas encore construits pour y conduire ses chèvres ! Vision surréaliste !

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 Bon, vous avez compris que mes problèmes de dos m’ont quelque peu empêché de sortir de ce confinement touristique aberrant, et puis vous savez que je n’aime pas trop suivre des guides, regarder où je dois regarder, faire que ce que j’ai seulement le droit de faire. Mais du coup j’ai vécu ce à quoi l’immense majorité des quelque 1500 vacanciers de Lookéa aspirait. Le groupe des pompiers était lui partagé en deux : ceux encore en activité et les retraités. Les premiers et mon épouse ont beaucoup marché hors des murs, visité de fond en comble paysages et villes des excursions. Les seconds ont fait toutes les sorties organisées possibles. Ils sont satisfaits de leur séjour, même s’ils reconnaissent que des voyages précédents avec des organismes semblables étaient beaucoup plus dépaysants et instructifs.

Avec l’amicale, cette petite affaire nous a coûté 200 € chacun. Mais par curiosité je suis allé voir quel était le tarif ordinaire. Voyage compris pris en charge à partir de Paris la même semaine revenait à environ 900 € par personne et la plupart des vacanciers était des familles avec un ou plusieurs enfants. Le prix pour vivre une semaine dans le béton ! Évidemment ce ne sont pas des lieux fréquentés par les riches, ils ont bien mieux à leur disposition ! Des GO m’ont expliqué que le club Méditerranée, avec le même système, est beaucoup plus étalé dans la nature et la mer y est plus utilisée que les piscines, mais il est beaucoup plus cher.

Qui a dit que notre société allait à sa perte ?

 Ma position favorite pendant ces 8 jours ! 

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ou du balcon de ma cage (reflet sur les vitres de la cage d'en face !)

 

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1 Boulot, pompiers (astreintes, entrainements) et pas toujours dodo ! Le plus étonnant, c’est que beaucoup de pompiers professionnels sont après leur service pompiers volontaires..

Commentaires
R
Merci Bernard d'avoir tenté cette expérience qui n'a fait que renforcer ma certitude que le tourisme est un facteur de mort pour les pays qui le subisse.
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