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Le blog de Bernard Collot
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28 juin 2023

L’ordre, c’est quoi ?

« Maintien de l’ordre », « trouble à l’ordre public », « retour à l’ordre », « forces de l’ordre »…      

Sans titre

Mais c’est quoi l’ordre que l’on ne cesse de citer ? Chez moi, l’ordre c’est que tout soit bien rangé pour ne rien perdre, trouver facilement ce dont on a besoin. « Une place à chaque chose et chaque chose à sa place » me répétait mon père, sans beaucoup d’effet sur le handicapé de l’ordre que j’étais et que je suis toujours ! Vivre dans le « bordel » est quelque peu épuisant. Aucun doute, dans ce sens il vaut mieux être ordonné, la vie est plus facile, encore que chacun a son propre ordre et qu’on ne s’y retrouve pas forcément ! On peut même se pourrir la vie et celle de son entourage en étant un maniaque de l’ordre. « Charité bien ordonnée commence par soi-même » avant de donner des leçons et l’imposer aux voisins !

« C’est dans l’ordre des choses » dit encore une expression populaire (ce qui arrive, ce qui se passe, sans qu'il soit possible de le discuter, de le refuser).Mais, dans l’ordre pour lequel sont consacrés des moyens croissants (voir la chronique précédente), les choses c’est nous. Autrement dit, que chacun reste à sa place, se conforme et fasse seulement ce que sa place l’autorise à faire. Évidemment, dans cet ordre, c’est la minorité des places d’en haut qui en a la garde… et le profit, sinon elle n’aurait aucun intérêt à s’y cramponner.

D’où la question : qui a fixé les places immuables de chacun ?

Pendant longtemps c’était simple : l’ordre divin ! Là, il n’y avait pas à discuter : va protester, contester, manifester contre ce qui est descendu du ciel ! Celui (très rarement celle) qui occupait la place suprême l’était théoriquement par voie héréditaire, il n’y avait donc pas à discuter non plus. Évidemment, même s’il y avait eu un divin, il n’y aurait pas été pour grand-chose : tous ceux qui occupaient le niveau supérieur n’aspiraient qu’à remplacer celui assis sur le trône coiffé d’une couronne (elle n’était pas d’épines !). Mérovingiens, Carolingiens, Capétiens, Valois, Bourbons n’ont cessé de se succéder, il suffisait que la fameuse couronne soit déposée sur leur tête par un des représentants officiels d’un divin, si possible le pape lui-même (la lutte était d’ailleurs aussi féroce chez eux pour le trône), et il n’y avait plus à discuter l’ordre et la place de chacun dans cet ordre.

Cela a quand même fini par n’être plus très crédible et le fameux ordre à être de moins en moins acceptable quand la masse de ceux qui occupaient les places inférieures crevaient de faim. Et puis, dans cet ordre c’étaient aussi les occupants de places un peu plus nombreuses situées juste en dessous de la noblesse, la haute bourgeoisie, qui trépignaient de prendre la place. Alors on a fait ressurgir deux autres divins inventés dans l’antiquité, la République et la Démocratie, puis comme le Zeus dans l’Olympe, une divinité suprême : l’économie de marché. Le peuple pouvait croire alors que l’ordre émanait de lui-même. Comment alors remettre en cause ce qu’on te dit que tu aurais établi toi-même ? Comment contester ta place et celle des garants de l’ordre que tu aurais désignés toi-même (le piège de l’élection !) ?

La tromperie, c’est que l’ordre, lui, est resté rigoureusement le même. Dans la chronique précédente, nous avons vu que tout système fermé nécessite le maintien d’un ordre rigoureux et immuable pour subsister, l’ordre fixant les relations et leur hiérarchisation entre les éléments composant le système. C’est ce qui est sa structure. On peut donc affirmer que la révolution et la chute de la monarchie n’ont rien changé au système sociétal :

Quelqu’un voit-il une différence entre Louis XIV et Macron ? Ils reçoivent leurs homologues dans les mêmes palais (bizarre que la Révolution n’ait pas détruit le château de Versailles comme la Bastille !). Ils ont les mêmes courtisans autour d’eux ; ceux du second, s’ils n’ont plus de particules, par contre ils possèdent et exploitent les 4/5 du monde et en réalité c’est le roi-président qui dépend d’eux et est à leur service et non l’inverse sous Louis XIV. Leurs parlements exécutent leurs volontés. On a changé quelques mots : les édits royaux sont devenus des décrets ou la promulgation des lois, les serfs sont devenus des ouvriers agricoles, des employés ou de la main-d’œuvre, les seigneurs sont devenus des PDG, les nobles qui ne travaillaient pas sont devenus des actionnaires. Les mercenaires des armées royales sont devenus des militaires. Les diverses gardes royales sont devenues des forces de l’ordre. L’endroit où était inculquée l’obéissance à l’ordre n’est plus le catéchisme de l’Église, mais est devenu l’école publique obligatoire. Etc., etc.

Les places ne sont peut-être plus assignées à vie et à la descendance directe, mais elles se transmettent dans les mêmes castes (personne n’imagine un seul instant qu’un Poutou ouvrier pourrait devenir président !). La masse de la classe sociale au service des classes supérieures doit toujours être soumise et corvéable à merci qu’avant, est toujours la même, voire encore plus importante.

Bref, l’ordre qu’il faut absolument maintenir est toujours le même, le désordre est toujours tout ce qui risque de le troubler. Autrement dit, nos malheurs ne proviennent pas de personnes qu’il faudrait changer, mais de leur place qu’a institué l’ordre qui leur permet d’exploiter ou d’asservir.

J’enfonce des portes ouvertes depuis longtemps ! Mais cela a bien été le problème de tous les vrais révolutionnaires. La rupture de l’ordre qui fait surgir la menace de l’inconnu a toujours effrayé, même ceux qui n’ont strictement rien à perdre et qui en souffrent le plus. On ne peut s’empêcher d’anticiper : qu’est-ce qui va bien arriver ? Quel autre ordre faudra-t-il instaurer pour remplacer celui dont on ne voudrait plus ? Quelle place y aurais-je ? Comment ne pas perdre ce à quoi je tiens encore ?... Même une proposition de changement de constitution (ce sont les nouvelles bibles !) provoque des craintes. Tous les peuples conquis et colonisés n’ont, eux, pas eu à se poser ces questions !

Un changement d’ordre, donc une révolution, ne peut encore se concevoir sans que soit prévu à l’avance quel sera le nouvel ordre, d’ailleurs ce ne sont jamais ceux qui font une révolution et qui en paient le prix sur les barricades à qui on demande de le concevoir.  La nôtre de révolution n’a pas changé grand-chose. Mais finalement pas plus que celle du communisme que l’on pouvait croire radicale. Il n’y avait pas plus de différence entre l’ordre établi en URSS et celui du capitalisme qu’il y en a entre celui de Louis XIV et celui de l’ère Macron et de ses prédécesseurs. La hiérarchie des places dans l’ordre soviétique a été la même, si ceux qui occupaient celles d’en haut n’appartenaient plus aux mêmes castes, ils ont vite recréé les leurs et d’autres tsars. Encore plus rigoureusement fermé, le système soviétique s’est écroulé plus vite que les autres.

Toutes les tentatives violentes pour déstabiliser l’ordre et que s’en instaure un nouveau ont échoué et ont à l’inverse renforcé cet ordre (exemple « Action directe »). Je ne crois absolument pas qu’aujourd’hui ceux qu’on appelle les « blacks blocs », bizarrement jamais identifiés, n’ont jamais eu l’intention de renverser l’ordre établi puisqu’à l’inverse et manifestement ils ne font que le justifier et annihiler les manifestations.

Cependant deux événements auraient pu être une révolution : ceux de mai 68 et les Gilets jaunes, sans remonter à la Commune de Paris. Ce qui les caractérise, c’est qu’en étant bien une contestation de l’ordre établi, simultanément ils jetaient les bases de ce que je n’appelle pas un ordre, mais une ou des auto-organisations et même les créaient entre eux (les ronds-points et les assemblées citoyennes pour les Gilets jaunes). Le refus incroyable des Gilets jaunes de tout leader, ce qui est bien hors de la notion classique de l’ordre, est ce qui a le plus surpris et inquiété les pouvoirs. Les médias se sont évertués à désigner de supposés leaders, ce qu’ils ont réussi à faire croire et c’est ce qui a effectivement affaibli le mouvement. Il est significatif que tout ce qui est institué et se dit de gauche (partis, syndicats) se soit bien gardé d’y prendre part, ou, comme en 68, ont pris le train en marche quand ils ont pu le détourner. Quelques miettes furent alors jetées pour faire penser à une victoire (accords de Grenelle), miettes qui disparurent très vite ou avancées sociales détricotées, et tout a pu continuer.

J’adhère totalement à la collapsologie. Inéluctablement notre société et son ordre vont s’écrouler (cela c’est dans l’ordre des choses !) À l’échelle du temps de l’univers, c’est en train de se faire, mais à notre échelle historique ce peut être encore quelques années. La désobéissance civile pourrait être la conduite raisonnée de cet écroulement si elle était massive, mais là encore la peur de l’inconnu du désordre l’empêche et paradoxalement ce sont ceux qui souffrent le plus de l’ordre qui ont le plus peur de sa fin.

Dans la chronique précédente, il y avait la constatation que dans beaucoup d’espèces il y avait une minorité (les petits !) qui avait conservé la capacité de subsister aux cataclysmes en s’adaptant et se transformant. Il n’y a aucune raison pour que dans notre société il n’y ait pas aussi celles et ceux qui ont cette capacité, on les connait d’ailleurs : tous les « alternatifs » qui tentent de vivre autrement. Ils ont conservé ce qui est pour moi une capacité créatrice, ce que justement l’ordre annihile.

Alors le problème c’est comment ne pas être éliminé par l’ordre, comment résister à cette espèce de « force obscure » qu’est l’ordre ? 

Il me semble que le seul moyen est la tricherie civile. Passer comme dans la Résistance dans une espèce de clandestinité, faire semblant de se conformer à l’ordre, constituer comme pendant la Résistance des réseaux permettant l’entraide et la mutualisation, ce qui se fait d’ailleurs depuis quelque temps avec internet, c’est bien pour cela que celui-ci inquiète autant les garants de l’ordre inventant les fake news. Si je continue ma comparaison avec la Résistance, lorsque l’ordre nazi a finalement été détruit, était né le Conseil National de la Résistance qui aurait pu transformer notre société. À notre très modeste échelle, c’est bien une sorte de tricherie civile qui a permis à nos classes uniques de 3ème type de perdurer un certain temps.

Si la tricherie civile demande une très bonne connaissance des mécanismes de l’ordre qui sont les mécanismes des Institutions, de repérer tous leurs interstices où l’on peut s’engouffrer, toutes les failles oubliées, ce n’est pas une technique qui aurait ses modalités, c’est quasiment un art. Mais on sait que tout le monde peut être artiste !

Conclusion : il y a quand même de l’espoir !

PS : j’avais écrit ce vieux texte, « De l'introduction du désordre pour la production de l'ordre ou de l'organisation permanente du désordre ». C’était à propos des apprentissages et de l’école, mais ce pourrait être transposé, tout en sachant qu’il n’aurait pas plus d’application qu’il n’en a eu pour l’école.

 

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