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Le blog de Bernard Collot
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26 juillet 2023

Pourquoi la foule ?

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Une foule, c’est d’abord un rassemblement de corps.

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Pourquoi, par exemple, des centaines de touristes vont-ils se serrer comme des sardines sur des plages, sans forcément aller mettre leurs pieds dans l’eau ? Certes, souvent c’est parce que ce sont les seuls morceaux de sable publics accessibles le long de côtes en grande partie privatisées. Mais lorsqu’il y a des kilomètres de sable libre comme dans les Landes, c’est pareil. Certes, vous me direz encore qu’en raison du danger des baïnes il vaut mieux se baigner seulement où il y a des périmètres surveillés. Mais lorsque le drapeau est rouge ou lorsque c’est seulement pour se bronzer, comment se fait-il que très peu s’écartent de la zone où tout le monde s’entasse ? Dès que l’on quitte un rassemblement autorisé, nait alors le sentiment d’insécurité.

Pendant longtemps je ne saisissais pas l’attrait que pouvaient avoir ces gigantesques concerts où des milliers de personnes s’entassaient debout pour encaisser les centaines de décibels que déversait ce qui ne ressemblait même pas à une vague mélodie et dont les paroles, s’il y en avait, étaient inaudibles, le tout dans une gesticulation hystérique. C’était d’ailleurs la même chose depuis une vingtaine d’années dans les discothèques sensées faites pour danser, éventuellement discuter ou draguer.

foule3Je pense avoir compris lorsqu’un jour des amis beaucoup plus jeunes m’ont entrainé à assister à un concert des Zebdas. Les Zebdas, j’aimais bien écouter ce qu’ils disaient dans leurs tours de chant. Nous étions confortablement assis dans les gradins d’une salle pleine pour « écouter » les artistes lorsque, brusquement, tous les spectateurs descendirent s’entasser devant la scène et se mirent à gesticuler (danser ?) comme dans un ballet bizarre. Je restai le seul scotché sur mon siège ! J’eus alors l’étrange et désagréable sentiment d’auto-exclusion, de ne plus faire partie d’une communauté, de ne plus exister.

J’expliquerais alors ainsi ce besoin d’être dans une foule : de plus en plus dans notre société où tous les comportements sont normés, où les relations hors du travail imposé pour la survie ont de moins en moins le temps de se développer, où s’exprimer devient inutile puisque ce n'est pas écouté, nous avons de moins en moins le sentiment d’appartenir à une communauté humaine. Je suppose qu’alors ces rassemblements provoqués par ces groupes musicaux (qui en sont les premiers profiteurs !) sont le prétexte pour retrouver ce sentiment d’appartenance, ne plus se sentir seul jusqu’à s’enivrer des autres. Dans ce phénomène, c’est le corps qui a le plus d’importance. Être très proche à se toucher pour se sentir, faire les mêmes gestes sur des rythmes (plutôt barbares pour les bien-pensants) dans un flot de décibels qui empêchent ou éliminent la parole, s’épuiser pour peut-être oublier momentanément le quotidien. On oublie trop souvent l’importance du corps dans les relations sociales. Il a fallu les mesures stupides, mais pas forcément innocentes, d’interdiction de tout contact physique pendant l’épidémie de covid pour que l’on s’en rende compte. Sans le corps, il n’y a plus de relations vraies, plus d’expression de ce que l’on est comme de ce qu’on veut. La mainmise et le formatage sur les corps sont un moyen de domination. Un exemple simple : à l’école les enfants ne peuvent pas bouger de leur banc en dehors d’un quart d’heure de récréation où ils peuvent se défouler… dans la foule des autres enfants !

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Je pense qu’on retrouve en partie ce besoin dans les manifestations où il y a aussi un besoin d’être nombreux, pas seulement pour créer un rapport de force. Je n’ai participé qu’à une ou deux manifestations parisiennes, non pas parce que je n’adhérais pas à leurs protestations, mais parce qu’éloigné en milieu rural il m’était difficile de m’y rendre. Mais chaque fois j’ai éprouvé cette jubilation d’appartenance à une communauté humaine où chacun est, au moins physiquement, proche des autres.

Si c’est la même protestation qui rassemble une foule, cette protestation ne prend force que si chaque corps devient partie d’un corps commun, c’est d’être plus ou moins serrés qui donne une impression de puissance, d’être en mouvement plutôt que d’attendre et continuer à subir.  En effet, la plupart des manifestations nécessitent de défiler. Ce n’est pas tellement pour convaincre d’éventuels spectateurs qui assisteraient à la manif, généralement il n’y en a pas, c’est à mon sens parce que cette foule veut se sentir en marche vers… Vers un autre chose que ce que la plupart vit, même si cet autre chose est encore indéfinissable. Il se crée alors se sentiment de solidarité qui fait aussi que l’on se sent enfin en sécurité dans une communauté alors que l’on sait que les forces de l’ordre des pouvoirs établis sont là à guetter le moment où elles vont pouvoir réprimer. Pour réprimer les idées, il faut réprimer les corps.

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Normalement et c’est programmé, toute manifestation ayant fini sa marche devrait se disperser, chacun rentrant chez soi… retrouver son quotidien morose. Mais chaque fois nombreux sont ceux qui restent sur la grande place : pendant le défilé, on n’échange pas beaucoup, il faut surtout y être, répéter, chanter ou danser des slogans pour peut-être bien s’en imprégner. Une foule en marche peut protester, revendiquer, par contre elle n’élabore rien. C’est après que l’on n’a pas envie de partir, d’abord pour ne pas se quitter comme cela, ensuite pour discuter librement par petits groupes et justement envisager ce « vers quel autre chose… » chacun voudrait aller. Et c’est à ce moment que chaque fois les forces des pouvoirs interviennent avec brutalité alors qu’il n’y a plus de gêne pour la ville et ses habitants. Les casseurs ou les blacks-blocs n’en sont que le prétexte, ceux-ci d’ailleurs sont en grande partie ceux qui, à mon avis, viennent pour briser volontairement les manifestations.

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À l’inverse, le phénomène de foule, mais une foule cette fois très ordonnée, contrôlée, et dirigée, peut être utilisé pour manipuler chacun. Le plus bel exemple est celui de l’armée. Pendant les trois mois de ce qui était autrefois la période des classes du service militaire, nous ne faisions pratiquement que marcher au pas au son d’une marche militaire, que saluer d’un geste réglementaire soigneusement codifié tout supérieur croisé : il fallait que ton corps se dilue dans un corps commun qui lui obéira aux ordres qui lui seront donnés.

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Une foule spontanée ou non dressée est toujours imprévisible comme sont imprévisibles les mouvements d’une volée d’étourneaux ou d’un banc de poissons sans que l’on puisse savoir ce qui a pu provoquer d’incroyables changements de direction simultanés de centaines d’individus non dirigés. Les manifestations, s’il n’y a pas possibilité de les empêcher, encore que le pouvoir trouve toujours le moyen ne serait-ce qu’en pondant des lois, il faut qu’elles soient déclarées, encadrées, voire dirigées par des organisations instituées (syndicats), leur trajet autorisé et soigneusement balisé par les forces de l’ordre, etc. Rien n’est plus dangereux pour l’ordre étatique que les rassemblements spontanés.

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Il y a aussi la foule que l’on attire cette fois volontairement… pour faire du profit. En quoi aller voir la mer pour surtout bronzer peut-il être une nécessité pour ne pas rester des « moins que rien » comme seraient ceux qui n’ont pas réussi s’ils n’ont pas « une Rolex » au poignet ? Surtout lorsqu’une partie d’entre nous peut toujours trouver un coin de verdure au soleil pour bronzer et un ruisseau pour tremper ses fesses ! Bien sûr qu’il faut attirer des foules par des renforts d’images publiées, de propositions alléchantes, pour qu’elles prennent les autoroutes ou les trains et que tout le monde se retrouve aux mêmes endroits, là où il y aura beaucoup de choses inutiles à leur vendre, où il faudra même payer un mètre carré de sable pour s’allonger, mais il ne faut surtout pas que chacun prenne l’idée d’aller tranquillement faire connaissance avec la mer n’importe où sur les milliers de km de nos côtes.

C’est bien pour attirer la foule de consommateurs potentiels qu’ont été créés les centres commerciaux géants qui désertifient les centres-villes. L’effet euphorique de foule qui fait perdre tout discernement dans ce dont on a besoin. Il faut aussi que dans les villes en saison touristique il y ait les rues où immanquablement tous les touristes vont se retrouver.

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Les hommes politiques candidats à l’élection présidentielle et à qui on a donné les moyens (on sait qui est ce « on » !) ont besoin de meetings géants pour provoquer l’hystérie de foules ce qui évite qu'elles se souviennent après les avoir élus de ce qu’ils ont promis.

 

 

Et puis il y a la foule carrément incarcérée dans des habitats démentiels. Bizarre que cette foule-là ne se soit pas encore retrouvée dans une immense manifestation de rue.

Je n’ai jamais aimé la foule. L’impression d’y être noyé, d’être entrainé à y faire ce que je ne veux pas faire, finalement et paradoxalement d’y être terriblement isolé.

Notre société mondialisée a besoin d’assurer sa domination sur des foules pour faire disparaître ce qui est un individu. Peut-être ce seront des foules qui la renverseront, tout au moins c’est ce qu’elle craint parce que pour ma part je ne suis pas certain que c’est par elles que cela se réalisera, de tout temps elles ont échoué et les dominants en ont profité pour asseoir encore plus leur domination. À moins que la foule résistante devienne elle aussi massivement et en même temps mondialisée ! Fasse alors qu’elle ne reproduise pas… des foules !

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