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Le blog de Bernard Collot
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23 avril 2021

L’école dehors, l’école en voyage : souvenirs.

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Actuellement, virus et confinement obligent, on parle beaucoup de l’école dehors, comme si c’était une innovation. On s’inquiète aussi beaucoup du risque que cela comporterait. Or, il y a cent ans (100 ans=1 siècle !) que des enseignants, en particulier du mouvement Freinet, pratiquaient ce qu’on appelait autrefois la classe promenade. Non seulement ils sortaient régulièrement avec les enfants en balade mais pratiquement chaque année faisaient des voyages-échanges où ils allaient passer une semaine chez leurs correspondants lointains qui ensuite venaient chez eux. Ils faisaient aussi fréquemment des voyages, le plus souvent en train. J’ai raconté tout cela dans « La fabuleuse aventure de la communication, du mouvement Freinet à une école du 3ème type ».

Chacun de ces voyages était une aventure ! Je ne résiste pas à vous en conter une.

 

C’était lors de mon premier poste dans une petite école du Beaujolais, au début des années 60, avec des enfants de 7 à 14 ans. Aucun môme de notre campagne n’était jamais allé plus loin que le chef-lieu de canton. Il fallait bien aller voir une ville, et, tant qu’à faire, pourquoi pas Paris ! Moi-même n’avais jamais été dans la Capitale, encore moins pris un métro !

À cette époque l’OCDE du Rhône (Office départemental de la coopération à l’école), en liaison avec le comité d’accueil de la ville de Paris, affrétait de temps en temps un train à disposition des écoles pour aller visiter la Capitale pendant deux ou trois jours. L’occasion était trop belle, pas d’hésitation. J’ai inscrit ma classe mais sans les plus petits. La vente du journal scolaire avait rapporté quelques sous, le « Sou des écoles » avait complété, et les parents, quoiqu’inquiets, avaient tous donné leur accord.

Bien sûr j’étais aussi ignorant que les enfants et me demandais bien comment cela allait se passer dans une mégapole. Pas facile d’imaginer et d’anticiper !

La hantise de tous les enseignants dès qu’ils quittent les murs de l’école avec leurs troupeaux, c’est de ne pas perdre une de leurs ouailles. Ils n’arrêtent d’ailleurs pas de compter et recompter l’effectif. Lorsque nous baguenaudions en ordre dispersé sur les chemins, dans les bois ou les bords de la Vienne, il ne m’était jamais venu à l’idée qu’il pouvait manquer quelqu’un au retour au bercail. Mais j’avoue que pour mon premier voyage lointain en terre inconnue avec ma bande de galopins des champs, je n’étais pas très tranquille !

J’avais donc armé comme il est de coutume chacun d’un badge avec en gros le nom, le nom de l’école, le numéro de téléphone de l’accueil ou nous devions être hébergés les soirs. Et de ma vie d’enseignant je n’ai jamais autant martelé une consigne : « S’il arrivait que vous vous perdiez quand même, vous dites au premier policier que vous rencontrez que vous vous êtes perdu en lui montrant votre badge. » J’avais bien expliqué qu’un policier n’était pas méchant et qu’en ville on les appelait même des gardiens de la paix. Pour ne rien laisser au hasard je leur avais bien montré à quoi ressemblait un képi de gardien de la paix, à ne pas confondre avec celui d’un facteur !

Départ un matin de très bonne heure, un car nous amena à la gare de Belleville sur Saône, grimpée pour la première fois dans un wagon, et en avant.

Arrivée en gare de Lyon. Toutes les écoles descendirent. Je n’avais pas eu à me tracasser pour faire un programme de visite, j’aurais d’ailleurs été bien en peine, tout était prévu par le comité d’accueil et il n’y avait plus, avec deux autres écoles, qu’à suivre le guide qui nous était imparti. Et en route pour la bouche de métro (je ne savais même pas comme on la repérait), chaque classe groupée autour de son instit, nous en queue de peloton. À l’époque nous pouvions partir sans accompagnateurs, il n’y avait donc pas pour nous un autre adulte en serre-file.

Je leur avais dit qu’il fallait bien se suivre pour ne pas se perdre. Moi-même j’avais plus les yeux rivés sur le guide un peu loin que sur mes ouailles sensées me coller aux fesses. Je vérifiai quand même au bout de quelques mètres, horreur, je n’en vis qu’une dizaine ! Penser donc, il y a tellement de choses nouvelles à regarder et puis chez nous en balade, à plusieurs dizaines de mètres on se suit et la moindre coccinelle vous fait s’attarder ! Mais il n’y a pas la foule pressée dans laquelle on se perd de vue. Le plus difficile fut de faire arrêter le parisien de guide et toute la troupe bien alignée des deux autres écoles, mais je ne m’en faisais pas trop : instinctivement et même affolés ils allaient bien continuer sur le même trottoir jusqu’à nous apercevoir. Une ou deux minutes tendues mais effectivement tout le monde recolla et cette fois je n’eus plus besoin de contrôler, je savais que tous allaient prudemment s’accrocher à moi.

À l’arrivée dans la station de Bercy, cette fois c’est moi qui stressais après avoir vu pour la première fois comment cela se passait sur un quai de métro bondé, la rame n’attendant évidemment pas comme nos chauffeurs de car de campagne que tout le monde soit bien monté. Il n’allait pas falloir que j’en laisse un sur le quai ou dans le wagon à la descente, ce d’autant que je ne savais même pas à quelle station on devait descendre ! La montée dans la rame fut épique : toute ma bande s’est collée à moi comme une mêlée de rugbymans et au signal cela a été la ruée compacte. Finalement les Parisiens sont sympas, ils se marraient gentiment !

Lorsque nous redescendîmes au complet, nous avions fait le plus dur ! Et c’est vrai que la journée puis la suivante nous étions presque des Parisiens, il faut dire que les enfants s’adaptent bien plus vite que nous.

Jusqu’au dernier après-midi. La dernière visite était le jardin des plantes. Il avait été judicieusement choisi parce qu’il n’y a qu’une entrée. Avec le guide et les deux collègues, nous convînmes que nous resterions jusqu’à la fermeture annoncée par haut-parleurs pour sortir les derniers, ce qui permettait de se séparer et de s’y promener un peu le nez au vent en s'attardant où chacun voulait. Si les autres enfants suivaient bien leurs maîtres, les miens habitués à laisser aller leur curiosité étaient beaucoup plus dispersés, mais je n’étais pas inquiet vu que nous étions dans une enceinte très sécurisée et que théoriquement personne ne devrait en sortir.

Tout le monde au signal de la fermeture du jardin devait se retrouver près du bureau des gardiens.

À l’heure fatidique, tout le monde se regroupa, les instits comptèrent leurs ouailles, il en manquait un seul, mon Gérard ! Le connaissant, il n’avait probablement pas entendu le signal, il devait bien être quelque part. Les gardiens nous rassurèrent, il n’y avait plus personne d’autre que nous dans le jardin, il devrait être facile de le repérer. On organisa rapidement avec eux le ratissage du lieu « Gérard ! Gérard ! » Pas de Gérard nulle part. Il fallut bien se mettre en rang derrière les autres pour aller rejoindre le centre d’accueil où nous étions hébergés.

J’essayais de faire bonne figure pour ne pas affoler les enfants, mais ça tournait dans ma tête, essayant d’envisager tout ce que j’allais pouvoir faire pour retrouver l’aiguille Gérard et son badge dans la botte de foin parisienne. Qu’est-ce qui avait bien pu lui arriver ? Le fameux badge avait-il pu servir ? À qui allais-je bien pouvoir m’adresser ? … Les collègues ne faisant rien d’autre que de compatir en se disant qu’heureusement eux ne pratiquaient pas ces méthodes nouvelles !

Nous sortîmes donc du jardin des plantes devenu désert, bien en rangs cette fois. À l’époque il n’y avait pas de feux rouges partout pour traverser les rues, c’étaient les agents avec leur bâton blanc qui faisaient la circulation. Au milieu de la première rue à traverser, le képi blanc nous lança hilare « Ce ne serait pas vous qui auriez perdu un enfant par hasard ? » Ouaaaahhh ! La décompression générale et surtout la mienne ! « Et bien il est au commissariat du 6ème ! »

Ouf ! Il a fallu quand même que nous allions d’abord jusqu’au centre d’hébergement. J’y laissai ma troupe sachant que les grandes filles allaient s’occuper de tout le monde. Heureusement le commissariat n’était pas loin, je pouvais y aller à pied sans me perdre à mon tour. Et j’y retrouvais mon Gérard, pas du tout affolé mais tout penaud et horriblement vexé de s’être retrouvé chez « les flics » !

Qu’est-ce qui était arrivé ? J’avais donné une autre consigne aux garçons : « Si vous avez envie de pisser, à Paris cela ne se fait surtout pas contre un arbre ou un mur. Il faut aller dans une pissotière, il y en a partout dans les rues. » Et je leur avais consciencieusement montré des photos pour qu’ils puissent les reconnaître. Et mon Gérard avait eu une irrésistible envie de soulager sa vessie. Ne trouvant rien qui ressembla à la description, il était sorti du jardin jusqu’à ce qu’il rencontre l’édicule. Mais ensuite impossible de retrouver son chemin. Appliquant la fameuse consigne de son maître, il avait tout bonnement montré son badge au premier uniforme rencontré conforme à la description retenue. Et c’était l’agent devant lequel nous avions eu la chance de passer. Ambiance lorsque nous sommes revenus au centre et quelle bonne nuit nous avons tous passée !

Au retour, lors de la descente du train et l’accueil des parents, il était le héros du voyage !

 

Par la suite il y a eu bien d’autres voyages, à Paris ou ailleurs, mais nous étions prêts à tout. Chaque fois il y avait des péripéties. J’aurais pu raconter, entre autres, le voyage en train-couchette, la nuit dans le train, la journée à Paris, le retour de nuit. À l’arrivée à la gare de Lyon, nous descendions comme d’habitude tranquillement les derniers. Un des guides du comité d’accueil vint me voir : « Nous sommes embêtés, il y a une classe de CM de Lyon qui est venu sans instituteur. Vous ne pourriez pas les prendre avec vous ? » C’était un jeudi, jour sans classe. Comme le voyage était organisé par l’OCDE, l’instit en question avait bien amené sa classe jusqu’à la gare, l'avait fait monter dans le train, puis, pensant que l’OCDE s’occupait de tout et la prenait en charge, il était tout bonnement rentré chez lui. En plus il avait demandé à tous ses élèves de prendre des notes pour les lui montrer en classe au retour, sinon gare ! Je ne vous dis pas tout ce qui s’est passé avec ma cinquantaine de mômes, dont la moitié totalement inconnue !

Ou encore le voyage début juin 68, avec encore l’odeur des fumées, où ma classe se retrouva seule au milieu des cars de CRS en attente d’un éventuel retour de flammes de mai… et mes mômes allant les questionner benoîtement !

Et puis la bonne vingtaine de voyages-échanges réalisés jusqu’à la fin de ma carrière, les périples à pied et en camping autogéré avec d’autres écoles du même acabit !

Ni les enfants ni moi n’aurions pu nous passer de ces aventures.

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