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Le blog de Bernard Collot
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17 avril 2023

1940-2021 (206) - Épilogue - VIII Le temps (horaires)

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Pendant mon enfance (1940-1950)

Ce qui régulait le temps c’étaient le soleil et les saisons. L’ombre et le creux dans l’estomac indiquaient qu’il était midi et qu’il fallait rentrer des champs. Très rares étaient ceux qui possédaient une montre-bracelet ; c’était, pour les plus aisés, l’achat de la première communion ou la récompense pour l’obtention du certificat d’études ; j’avais eu ma première montre lorsque je suis rentré à l’école normale d’instituteurs.

Pour mon père qui était facteur-receveur, le début de sa journée salariée était l’arrivée, à la poste des sacs de courrier. Quant à la fin de sa tournée en vélo, elle dépendait non seulement du nombre de lettres qu’il y avait à distribuer mais aussi du temps qu’il fallait pour trouver les personnes à qui les remettre (les boites aux lettres étaient rares), du temps à discuter ou à aider à remplir un formulaire, des détours à faire pour rendre le service d’apporter une « commission » à des vieux qui ne pouvaient se déplacer… Lorsque l’Autrichienne qui habitait dans la forteresse perchée au sommet de la montagne recevait son magazine périodique, c’était une bonne heure à rajouter en ayant posé son vélo au pied du raide chemin caillouteux qui conduisait jusqu’au pont-levis. Parfois il s’arrêtait en cours de route pour casser la croûte, invité dans une ferme lorsque midi passé la tournée n’était pas finie. Normalement l’après-midi il devait être à la poste à 14 heures pour ouvrir le guichet, s’il n’y était pas, pas d’importance c’était ma mère qui faisait la postière. Il y avait bien des facteurs qui se laissaient un peu trop aller à accepter le « tu vas bien boire un canon ! » et qui rentraient plus ou moins difficilement bien tard, mais tant qu’ils n’avaient pas perdu leur sac dans un fossé, ils faisaient juste rigoler.

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Il n’y avait bien que les cloches de l’église qui avec l’angélus indiquaient qu’il était 19 heures, mais ce n’est pas pour cela que par exemple les travaux s’arrêtaient dans les champs comme pouvait le faire croire le tableau de Millet. Pour les paysans, c’était le soleil qui décidait de la fin de la journée.

 Il n’y avait peut-être que nous les mômes qui devions respecter les heures indiquées par l’horloge de la maison : celles du départ à l’école. Les matins d’école, pas question de faire la grasse matinée, plus nous habitions loin de l’école, plus il fallait nous lever tôt pour nous y rendre à pied, c’était la seule fois où nous entendions le fatidique « dépêche-toi, tu vas être en retard ! ».

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Mais le retour lui pouvait s’éterniser suivant ce que nous faisions, rencontrions le long de la route et de tous ces détours. Les mères ne s’inquiétaient pas, sauf à midi où il fallait arriver dès la table mise et la soupe chaude. Les plus éloignés amenaient leur casse-croûte dans un sac n’ayant pas le temps de faire l’aller et retour jusqu’à la maison.

 

 

 

Dans la région industrielle, près de Lyon (1950-1960).

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Cette fois nous rentrions dans le monde des horaires. Dans la semaine, les sirènes des usines vrillaient dans nos oreilles les deux temps obligatoires de la journée, impossible d’y échapper. Les ouvriers et ouvrières devaient pointer à l’entrée des usines, mais pas à la sortie puisqu’il était impossible de quitter l’atelier avant que le contremaître le décide ! Dans le travail à la chaîne généralisé, il fallait se conformer à la vitesse de la chaîne, pas question de la ralentir et de casser le rendement. Apparaissaient aussi les « trois huit ». Mon père aimait bien jardiner avec notre voisin grec, mais impossible d’aller le réveiller lorsqu’il était une fois sur trois de nuit et qu’il fallait qu’il récupère un peu de sommeil pour retourner au boulot les matinées et les après-midi suivants… et recommencer ses huit heures d’affilée. En somme, il n’avait que le dimanche à lui.

L’école ne nous prenait pas plus de temps que lors de la période précédente. Même les devoirs à la maison étaient assez insignifiants et vite expédiés. À cette époque, il n’y avait pas encore les statistiques sur les résultats scolaires, les injonctions de l’Éducation nationale à obtenir l’amélioration des résultats scolaires ou à la diminution des échecs prouvés par des chiffres, il n’y avait bien que les « compositions mensuelles », la seule corvée obligatoire d’un vague contrôle. Et puis l’instituteur avait déjà bien suffisamment de mal à tenter de tenir en main tout ce monde beaucoup plus perturbateur qu’en milieu rural pour ajouter le supplément de devoirs dont il savait qu’ils n’allaient être que déprimants à corriger. Les enfants d’agriculteurs pouvaient même s’absenter pendant les vendanges.  

À l’école et au cours complémentaire (CC), je faisais connaissance avec les horaires des emplois du temps rigoureusement respectés par les enseignants, soit parce que c’était la première chose que vérifiait l’inspecteur lorsqu’il passait, soit parce qu’au cours complémentaire il fallait bien que nous allions sans perdre de temps dans la salle du prof suivant.

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Au cours complémentaire (tome 2), mes oreilles étaient vrillées par les sonneries, tout aussi stridentes que les sirènes des usines, qui martelaient le début de la journée scolaire et chaque fin d’heure.  Cette fois, le temps scolaire a couvert tout le temps de mes journées : lever à 6 h pour aller jusqu’à l’usine à 7 h prendre le camion qui nous amenait jusqu’au CC à 7 h 30, attendre 8 heures dans une salle le début des cours, attendre 6 h 30 dans une salle d’études pour aller reprendre le camion qui avait ramené les ouvriers de l’usine, arriver à la maison à 19 h 30, finir les devoirs qui cette fois pouvaient se solder par une punition s’ils n’étaient pas bien faits, coucher, pour recommencer le lendemain. Pour les internes ce n’était pas mieux : lever, déjeuner, cours, étude, repas, coucher, extinction des feux, tout était régulé par la sonnerie. En somme, camion, boulot, dodo, nous étions prêts pour la vie active ! Même le jeudi matin était souvent occupé par les heures de colle qui nous faisaient retourner au CC, en vélo cette fois, copier et recopier x fois ce qu’il fallait que l’on se mette dans le crâne pour être conforme. C’est vrai que le temps bien à nous était celui du retour puisque nous étions toujours deux ou trois à subir des colles et nous avions tout notre temps pour le faire traîner puisque nous avions l’excuse qu’il fallait que l’on ait fini notre pensum. 

J’étais rentré dans la… modernité !

De 1956 à 1960, interne à l’école normale, c’était semblable mais curieusement beaucoup plus cool. Adolescents puis jeunes adultes, nous savions beaucoup mieux tricher ou contourner, les surveillants étaient à peine plus âgés que nous, bref nous pouvions détourner ou profiter du temps, et, tout au moins en ce qui me concerne, j’en ai bien profité en ayant parfois l’impression d’en être libéré. Même les heures de colle devenaient intéressantes parce qu’elles me permettaient de ne pas rentrer chez moi et, en dehors de l’heure à faire la « colle » le samedi matin, j’avais ensuite un jour et demi où je pouvais écouter de la musique, me balader dans la Croix-Rousse ou aller au ciné avec l’argent du billet de l'autobus que je n’avais pas eu à acheter.

1963-1995, instituteur rural, dans le Beaujolais puis dans le Poitou.

Pour les vignerons du village, le temps était encore régulé par le soleil et les saisons, mais il devenait beaucoup plus compressé : ils laissaient beaucoup moins faire la nature : les traitements anticipés systématiques, la surveillance permanente de la vinification… se rajoutaient la mise en bouteille, la commercialisation, l’entretien des machines, la comptabilité, le recrutement des vendangeurs, etc. Ils étaient déjà comme des entrepreneurs qui devaient faire tourner leur microentreprise. Cependant ils arrivaient à prendre du temps. Par exemple, lorsque je devais aller en voir pour quelque affaire concernant leurs enfants, surtout lorsque j’amenais des amis qui voulaient acheter du vin, pour n’importe quelle raison immanquablement ils cessaient toute activité, nous recevaient dans leur cave qui était un peu leur salon, et cela pouvait durer des heures à faire tourner une tassée et à discuter, même si in fine il n’y avait l’achat que d’une bouteille. Évidemment pour eux les vacances étaient inconnues sauf deux semaines pour les ouvriers viticoles.

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À Moussac dans le Poitou, toutes les mères de famille étaient des salariées, ouvrières ou employées dans les entreprises de la région ou de professions libérales (infirmières). Elles commençaient à courir après le temps et beaucoup étaient très contentes que la classe unique, devenue de 3ème type, ait des horaires souples et permettait à leurs enfants d’arriver ou de rester dans l’école après les heures scolaires. Les samedis, c’était la course dans les grandes surfaces. Quant à moi, en dehors du temps scolaire j’étais encore maître de mon temps qui lui était régulé un peu comme celui des paysans par les nécessités pour assurer la vie et la survie à la maison (tome 5).

 

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En dehors du cadrage scolaire, j’aurais dû disposer d’un large temps pour me consacrer à la maison, à mes enfants, à moi-même. Dans le Beaujolais je n’avais même pas de temps de déplacement à effectuer pour me rendre sur mon lieu de travail : le logement de fonction était au-dessus des classes ! Mais voilà, d’une part la plupart des instituteurs ruraux du Beaujolais prenaient sans se poser de questions la charge de la surveillance et de la gestion des cantines scolaires (avec les provisions à aller chercher le jeudi) du Sou des écoles et des équipes de basket. D’autre part, nous pensions qu’il fallait que nous militions pour tout ce qui était éducation populaire ou œuvres laïques, si bien que nous entonnions régulièrement la ritournelle « Désolé, je n’ai pas le temps, j’ai une réunion ! ». Mais c’était volontaire, nous aurions pu nous contenter d’assurer le temps scolaire puis de prendre tout le reste uniquement pour nous.

 

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Il n’empêche que nous avions l’un dans l’autre quatre bons mois de vacances, sans compter qu’être en arrêt maladie, payé et remplacé, ne posait pas de problème ! Je rajoute encore que l’Éducation nationale n’était pas encore obnubilée par le rendement scolaire chiffré par des statistiques et dans les classes uniques ou multiâges il n’y avait pas à courir chaque année pour que le programme soit terminé pour chaque niveau. Ce n’était pas forcément la vocation qui nous faisait rentrer dans l’enseignement ! Nous étions très certainement les plus privilégiés de tous les enseignants et de tous les salariés.

Avec du recul, je me demande comment j’ai pu faire tout ce que j’ai fait pendant toute la période de 1975 à 1995. Il est étonnant toute l’activité que l’on peut déployer non pas lorsqu’on a du fameux « temps libre » dit de loisirs, mais lorsque librement on choisit ce qu’on peut ou doit faire dans un temps devenu continu. Comme ensuite j’ai été à la retraite, j’ai vraiment été un des rares privilégiés du temps. Peut-être était-ce seulement parce que les circonstances m’avaient obligé à vivre différemment (tome 5).

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Il s’est passé un événement pendant cette période qui a perturbé complètement les rythmes biologiques naturels du temps : déjà l’heure légale n’était plus l’heure solaire (décalage d’une heure) ; mais sous prétexte d’économies d’énergies qui n’ont jamais été effectives, nos brillants technocrates ont imposé l’absurdité d’une heure d’hiver différente de l’heure d’été ! Les perturbations sur les enfants comme sur les adultes ont été immédiates et se sont reproduites deux fois par an. Je vous prie de croire que dans les écoles cette perturbation supplémentaire était et est toujours très perceptible. L’Europe (puisque c’est elle qui aujourd’hui régule nos vies) a bien fini par admettre son absurdité pour voter la fin de ce changement d’heure, sans toutefois revenir bêtement à l’heure solaire qui a malheureusement l’inconvénient de pas être uniforme suivant les longitudes. Vote de l’assemblée européenne qui n’a toujours pas été appliqué !

 

Le temps scolaire.

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Le gros problème de l’Éducation nationale a toujours été celui des programmes à concocter, du nombre d’heure à consacrer impérativement à ce qu’elle a appelé « les apprentissages fondamentaux », à les répartir dans un emploi du temps. Dès leur arrivée, les inspecteurs contrôlaient si ce qui se faisait correspondait bien à la plage horaire fixée. De 8h30 à 16h30, le temps des enfants était découpé en tranches pendant lesquelles ils ne pouvaient faire que ce qu’on leur disait de faire, surtout rester assis, écouter, répondre, réciter, en dehors des deux quarts d’heure de récréation dans des cours bétonnées où ils ne pouvaient pas faire grand chose en dehors de courir, de crier ou pleurer. Même pour faire pipi, ce ne pouvait être qu’avant l’école ou pendant les récréations ; il a fallu longtemps pour que des médecins comme le docteur Guy Vermeil s’élèvent et dénoncent ce déni de la physiologie des enfants. La date à laquelle ils devaient tous savoir telle ou telle chose était impérativement fixée.

91337921Le serpent de mer des rythmes scolaires est bien apparu dans les années 1980, mais en fait, plutôt que d’adapter l’école aux rythmes des enfants ce qui est impossible puisqu’ils sont différents pour chacun et pour chaque âge, on s’est évertué à tenter d’adapter le rythme des enfants à celui de l’école ; pour n’importe qui de sensé, ce ne pouvait être que contre nature.

Si on rajoute la prolongation du temps scolaire par les devoirs à la maison, l’avancement aujourd’hui de la scolarité dès trois ans, on peut dire que pratiquement tout le temps de la construction de tous les enfants en adultes, y compris leur sommeil, est déterminé par ce qu’il doit faire chaque jour et chaque heure. Il est d’emblée formaté à accepter le « boulot, métro, dodo ». Rien n’a changé aujourd’hui depuis plus d’un siècle !

Seuls les enfants des classes rurales multiâges en pédagogie Freinet ou les classes uniques de 3ème type comme fut la mienne ont échappé en partie à ce découpage insensé du temps d’école et de l’activité obligatoire, encore fallait-il que nous composions, voire trichions habilement avec les impératifs des instructions officielles à absolument respecter. 

 

En 1965, quatre semaines de congés payés sont obtenues, mais pour nous instituteurs, c’était toujours les vacances à rallonge ! Le jeudi vaqué pour le catéchisme passait au mercredi. Théoriquement ce jour ne devait pas être vaqué pour les enseignants, il devait être consacré aux préparations et aux corrections, avec trois ou quatre fois l’an une matinée à suivre une conférence pédagogique. En réalité, pour la plupart c’était bien un jour à faire bien autre chose que de s’occuper de l’école, il n’y avait bien que les militants des mouvements pédagogiques qui en profitaient pour se rencontrer. Cependant, en milieu rural beaucoup d’instits s’occupaient comme si cela faisait partie de leur fonction de la cantine, des équipes de basket, des œuvres laïques… si bien que nous courions aussi après le temps. 

Jusqu’en 1969, la semaine scolaire durait cinq jours pleins. Le samedi après-midi était généralement plus cool, les inspecteurs ne venaient jamais ce jour de fin de semaine, nous en consacrions quelques-uns pour faire des rencontres sportives USEP entre écoles. Le samedi, les parents n’ayant pas leurs enfants à la maison pouvaient vaquer plus ou moins tranquillement à leurs affaires. Ce n’est qu’à partir de 1969 que la classe s’arrêta définitivement le samedi à midi. Cela ne convenait pas à tous les parents n’ayant plus que le samedi matin pour faire ce qu’ils avaient à faire sans leurs mômes et ils devaient tenter de les occuper l’après-midi, ou, au contraire, cela satisfaisait ceux qui voulaient profiter de leurs mômes. L’instauration de la semaine des quatre jours en 2 005 (mercredi et samedi vaqué) ou en 4,5 jours (la demi-journée pouvait être placée le mercredi ou le samedi) n’a satisfait personne, n’a rien arrangé et compliqué encore plus la vie de tout le monde.

Au début de ma carrière, les grandes vacances d’été débutaient fin juin, la rentrée étant fixée mi-septembre. La rentrée universitaire, elle, était beaucoup plus tard ce qui permettait par exemple aux étudiants de se faire un peu d’argent pour financer leurs études en s’embauchant pour les vendanges dans le Beaujolais ou ailleurs. Jusqu’alors les petites vacances scolaires étaient calquées sur les fêtes religieuses, ce n’a été que dans les années 1980 qu’elles ont été toutes allongées à deux semaines réparties en trois périodes découpant mieux le temps scolaire et surtout favorisant les saisons touristiques. J’étais parti en retraite lorsqu’ont été créées trois zones pour allonger la saison touristique, ce qui a beaucoup compliqué l’organisation du temps des familles ayant des enfants plus âgés allant dans des établissements hors de leur département.

Si tous les enseignants ne trouvaient pas leurs vacances trop longues, par contre un certain nombre se plaignait qu’elles étaient top longues… pour les enfants : à chaque rentrée la majorité de leurs élèves avait tout oublié de ce qu’elle était censée avoir appris l’année précédente ! Cela aurait peut-être dû les interroger sur l’inefficacité de l’école et de sa pression continue sur les enfants, mais on ne touche surtout pas à ce qu’est l’école.  

Le décalage entre le temps scolaire et le temps de travail salarié a été et est toujours ce qui pourrit le temps des enfants comme des parents, même en milieu rural où le nombre de salariés est devenu plus important que le nombre de paysans, ceux-ci, devenus exploitants agricoles et le plus souvent leurs épouses salariées, n’ayant pas plus de temps à eux. Tous les enfants de France, petits ou grands, devant être à l’école à 8 h 30, puis en sortir à 16 h 30, tous les parents salariés devant être au boulot à 8 h, n’en revenir qu’à 18 h, comment y amener ceux qui deviennent quotidiennement des élèves, comment aller les récupérer ou quoi faire d’eux pendant ce temps ? Quoi en faire pendant les vacances en dehors des quatre semaines dont disposaient leurs parents ? Il a fallu que se mette en place tout un dispositif de « garderie » après le temps scolaire ou de loisirs encadrés pendant les vacances. Les « jolies colonies de vacances » se sont alors largement développées (tome 3). Si l’éducation populaire a pu en faire des temps moins contraints et plus intéressants, il fallait cependant qu’ils restent « éducatifs ». Il n’empêche que la liberté des enfants pour faire ce qu’ils voulaient était toujours réduite à presque rien, voire à rien, pendant des journées qui n’en finissaient pas pour eux autant que pour leurs parents.  

Aménager l’école, telle qu’elle est, pour qu’enfin les enfants se construisent en adultes solides et épanouis dans un temps qui est celui de l’enfance est un leurre. Tout ce temps crucial est en réalité celui de l’Éducation nationale qui en dicte l’utilisation uniforme pour tous sans se préoccuper des besoins vitaux de chaque enfant. La seule solution raisonnable avant que l’on n’en ait plus besoin (« Une société sans école », Yvan Illich), serait de lui attribuer une autre finalité que celle de l’État, c’est-à-dire qu’elle soit simplement un lieu de vie, à disposition des enfants, des familles, des villages, des quartiers. C’est ce que nous avions essayé de faire dans nos classes uniques de 3ème type (malgré l’État !), c’est ce que tentent encore les écoles alternatives. Ce n’est que tranquillement, dans la vie, que les petits de toutes les espèces animales apprennent ce dont ils auront besoin une fois adultes.

 

Aujourd’hui.

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Aujourd’hui, pas grand-chose n’a changé si ce n’est qu’empirer. Le temps de tout le monde du travail qu’il soit celui des salariés, des artisans, des entrepreneurs, des agriculteurs… est régulé par l’horrible notion de rendement, par l’éclatement des lieux de travail qui ne sont plus dans la proximité des lieux de vie. Pour la plupart des travailleurs, leur vie est encore plus découpée par le calendrier et les horaires, le temps n’est plus que le temps mathématique des horaires, ce n’est plus le leur. Les seules attentes sont celles du WE, des vacances et de la retraite. Pour les deux premières, elles se résument surtout à tenter de récupérer pour être à nouveau à peu près rentables chaque lundi matin et à chaque rentrée. Les vacances, pour ceux qui le peuvent, c’est tenter de fuir l’habitat quotidien où la vie bétonnée et quasiment carcérale n’a pas beaucoup d’intérêt, et se joindre aux files et aux entassements touristiques. Pour la retraite… il n’y a qu’à écouter les millions de manifestants qui sont dans les rues à l’heure où j’écris ces lignes (29/03/2023).

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On pourrait ne comptabiliser que les heures passées sur le lieu de travail pour savoir le temps qui nous reste. Pas du tout, s’y rajoute le temps et la fatigue pour s’y rendre et en revenir tout comme le coût du déplacement qui oblitérera le salaire, d’autant plus que cela nécessitera pour beaucoup l’achat et l’entretien d’un véhicule. Autrement dit, il faut pouvoir payer avec ce que l’on gagne le transport pour aller travailler… et l’amputer à ce que l’on gagne ! Aujourd’hui les travailleurs payent pour aller travailler ! Le mouvement des Gilets jaunes a été déclenché par le coût de l’essence et naturellement ils ont porté leur réflexion beaucoup plus loin que ce qui ne paraissait qu’un détail (tome 9). Même aujourd’hui les politiques au pouvoir ont encore peur que les gens se mettent à penser quand les manifestants contre le recul de l’âge de la retraite remettent en cause tout le système coercitif que tout le monde subit. Le calcul du temps de travail salarié pendant lequel tu n’auras que très peu de temps pour toi ne se calcule pas seulement par rapport à l’âge où tu ne seras plus utilisable par les employeurs mais aussi par le temps effectif pendant lequel tu auras été utilisé. On appelle cela des annuités de travail si pour chacune tu as bien travaillé l’année complète. Tu auras donc intérêt à commencer à bosser à 14 ans, à ne jamais être au chômage, si tu veux enfin souffler à 64 ans !

Qu’est-ce qu’ont surtout réclamé depuis des dizaines d’années les travailleurs dans leurs luttes ? D’avoir un peu de temps à eux ! On ne leur accorde avec parcimonie que le temps nécessaire pour qu'ils soient à nouveau opérationnels au travail, lorsqu’ils ne le sont plus, on les jette comme on jette un kleenex après usage (chômage, retraite enfin accordée).

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Est-ce à dire qu’autrefois paysans, ouvriers, artisans, mères de famille… avaient plus de temps à eux ? Pas du tout, sûrement moins. Mais d’une part dans ce qu’ils faisaient ou dans ce qu’on leur demandait de faire c’était de le faire bien, pas d’en faire beaucoup ou de le faire vite. D’autre part dans le peu de temps qui leur restait en dehors du travail, ils étaient beaucoup moins poursuivis qu’aujourd’hui par les soucis engendrés par ledit travail, la crainte de le perdre ou l’angoisse de ce qu’ils y subissent. Même les vacances obtenues sont souvent pourries par la perspective d’une rentrée où tout recommencera[1]. Tous les travailleurs ne cessent de courir après un temps qui n’est même pas le leur. Lorsqu’ils atteignent l’âge de pouvoir enfin en disposer, ils n’ont plus les forces ni les moyens d’en jouir. On a cru que leurs luttes continues leur avaient permis d’enfin en disposer un petit peu. Non seulement ce qu’ils avaient obtenu a peu à peu été vidé de leurs possibles, mais en compressant ce qu’ils avaient à faire dans un temps apparemment réduit cela a rendu celui qui leur appartenait impossible à utiliser. Il est quand même très bizarre que la semaine de 35 heures qui mathématiquement en réduisant un peu le temps de travail de chacun tout en le répartissant sur un plus grand nombre, non seulement n’ait pas réduit le chômage et diminuer la fatigue mais aurait été néfaste pour l’économie. Pardi ! Il a tout simplement été demandé aux travailleurs de faire en 35 heures ce qu’ils faisaient en 40 heures !

Le vieux dicton « Le temps c’est de l’argent » doit être ré-écrit : « votre temps, c’est leur argent ! » Ou encore le « Travailler plus pour gagner plus » c’est en vérité « travaillez plus pour que vos employeurs gagnent plus ! »

Le temps est aujourd’hui conditionné par la rentabilité (chapitre suivant). La plus difficile révolution à faire sera de reconquérir le temps, peut-être celle qui rendra possible toutes les autres.


[1] On a inventé « le temps des loisirs », celui où tu n’es pas pris par le temps du travail salarié. On suppose donc qu’en dehors des horaires de travail, tu n’as rien d’autre à faire que de te prélasser aux terrasses des bistrots. Ces travailleurs qui réclament du temps à eux sont donc des fainéants, je l’ai encore entendu dire récemment par des hommes politiques, avec bien sûr ce qui est ressassé « C’est en France qu’on travaille le moins ! ». On n’ose pas trop le dire en ce qui concerne les femmes, ce qui n'empêche pas de reconnaitre que ce sont elles qui ont le moins de revenus ! Je suis toujours sidéré par la logique du raisonnement actuel.

 Prochain épisode : rentabilité, concurrence, compétition - chapitres précédents

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