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Le blog de Bernard Collot
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27 avril 2023

1940-2021 (211) - Épilogue - XIII La violence

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Aujourd’hui on ne parle plus que de la violence, violence des banlieues, violence de la police, violence des manifestants, violence conjugale, violence enfantine, etc., comme si autrefois c’était une société paisible.

Pendant mon enfance en milieu rural (tome 1), à l’école, recevoir une claque, des coups de règles sur les doigts, se faire arracher une poignée de cheveux, le tout souvent redoublé à la maison par une fessée, se retrouver enfermé à la cave ou au grenier, voir le martinet aux lanières de cuir pendu comme une menace permanente, tout cela était banal, voire le B A BA d’une bonne éducation. C’était d’ailleurs surtout les garçons qui subissaient ce que l’on n’appelait pas du tout des sévices. Sur ce plan, au moins aujourd’hui, les châtiments corporels sont devenus répréhensibles. Par contre je n’ai aucun souvenir de bagarres entre enfants tout au moins je n’y ai jamais été confronté. Pas plus que de bagarres entre adultes ou de violences conjugales dans le village. Il est vrai que la violence conjugale n’a jamais lieu publiquement, que la condition des femmes était acceptée et aussi que les couples avaient bien assez à faire à assurer de façon complémentaire la survie alimentaire et matérielle de la famille, il y avait peu de place pour les sentiments quand les loisirs étaient réduits à peau de chagrin. Les hommes n’avaient pas le temps d’aller au bistrot pendant la semaine pour s’alcooliser et se laisser aller aux bas instincts, les habitués étaient quelques vieux paisibles.   

Fin de l’enfance et adolescence en milieu ouvrier (1950-1960, tome 2)

Cette fois j’ai connu la violence, mais elle était tout aussi banalisée qu’auparavant. Pas tellement à l’école de garçons de la part des instituteurs, peut-être même était-elle moindre. Dans les cours de récré c’était plus chaud, mais surtout dans les jeux et dans le vocabulaire utilisé, pas tellement entre enfants, je n’ai jamais eu à me défendre contre qui que ce soit. Par contre nous savions tous nous fabriquer des lance-pierres, mais ils étaient surtout utilisés contre les merles ou les tasses des poteaux électriques, je n’ai jamais vu ou entendu parler d’enfants blessés par un tir de lance-pierre, à moins que nous sachions beaucoup mieux viser que les CRS d’aujourd’hui ! Par contre c’est là-bas que j’ai connu la guerre des boutons (sans arrachage de boutons !), le jeudi entre nous les mômes du hameau ouvrier où était installée la grosse usine de textile (les rouges !) et ceux du bourg rural très catholique (la calotte !), lorsque nous devions nous rendre au cathé, mais c’était une sorte de rencontre rituelle à mi-chemin où la « calotte » nous attendait dans un bosquet. La guerre était surtout un jeu verbal où nous nous donnions l’illusion d’être face à une armée.

 

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Par contre, au cours complémentaire, la violence physique de profs vis-à-vis des élèves, de l’institution, des élèves entre eux avait atteint un degré inimaginable aujourd’hui (tome 2). Paradoxalement c’était aussi peut-être le seul endroit où les filles étaient protégées puisqu’en dehors des cours nous étions soigneusement séparés. Hors de l’enceinte scolaire, beaucoup de celles-ci, et surtout les filles d’ouvriers émigrés, subissaient le harcèlement sexuel, dans les recoins de rue, voire aux yeux de tout le monde, pouvant aller jusqu’au viol.

 

En dehors de ceux qui pouvaient être choqués, l’opinion ne s’émouvait pas plus que ça, ce n’était pas grave, « Il faut bien qu’elle y passe un jour ! » entendait-on souvent. Aucune d’ailleurs n’aurait osé se plaindre. Moi-même n’avais jamais parlé de ce qui se passait au CC dans ma famille (il a fallu que je m’attaque à cette rétrospective pour que je l’évoque !).

Dans les bals populaires, nous savions qu’après minuit y rester était à nos risques et périls : comme un rituel c’était l’affrontement des bandes, Arméniens de Décines, Algériens de Crémieux, Polonais de Pont-de-Chéruy, mais le fait de les dénommer ainsi tenait beaucoup plus du fait que les uns et les autres provenaient des mêmes habitats que par leur origine. En dehors de ce moment, dans la vie courante tout le monde cohabitait. Il n’y avait aucun endroit où il était déconseillé d’aller par peur des agressions.

Lorsque je fus à l’école normale d’instituteurs de Lyon (1956-1959) sont apparus les blousons noirs. Comme pour les bals, nous savions qu’il valait mieux ne pas trainer après minuit dans l’immense vogue (fête foraine) devant la gare de Perrache. Il y avait le quartier de la Part-Dieu (complètement rasé ensuite), qui était réputé comme mal famé parce qu’occupé surtout par des Maghrébins, pourtant j’aimais bien m’y balader avant de prendre mon car place Raspail sans n’avoir jamais eu le moindre ennui ; j'aimais beaucoup son animation, ses odeurs...

 

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À  Lyon, sur les anciennes fortifications dont mon père me racontait que de son temps elles étaient un coupe-gorge, avait été construit le « Boulevard de ceinture ». Un oncle qui devait l’emprunter tous les soirs avec sa 4 CV pour rentrer du travail avait toujours sur le siège d’à côté une barre de fer parce qu’on racontait qu’il pouvait être arrêté par des truands et dévalisé. Il était vrai que dans les abords du boulevard des règlements de compte avaient souvent lieu, mais les médias peu nombreux n’en faisaient jamais la une d’un journal, si les infos passaient c’était dans les rubriques des faits divers avec les chiens écrasés. En tout cas il a continué à avoir sa barre de fer pendant des années alors qu’il n’avait jamais rien vu pouvant sembler suspect.

 

 

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Ce n’est vraiment qu’avec la guerre d’Algérie que les Algériens (ou tout basané) ont subi de véritables ratonades, que la police est devenue vraiment violente, que les contrôles d’identité au faciès se sont multipliés, le point culminant ayant été la tuerie du métro de Charonne. C’est ce massacre, parce que les médias n’ont pu faire autrement que d’en parler, qui a peut-être provoqué la première vraie conscience politique de la violence par ce qu’étaient les partis de gauche. Jusqu’alors la police et la gendarmerie étaient à peu près respectées, même par les truands, leur conduite pendant l’occupation était oubliée. Et on a commencé à parler des « forces de l’ordre ». Pendant cette guerre d’Algérie, tout le monde était bien sûr au courant des attentats des deux bords, mais c’était loin.

 

Pendant les événements de mai 68 que nous suivions avec les postes à transistors sur la nouvelle radio Europe 1, la violence faisait vraiment son apparition radiophonique, mais cela a été des événements qui n’ont provoqué en dehors de Paris ni l’opprobre vis-à-vis des manifestants ni vis-à-vis de la police. Cette dernière, sous la direction du préfet Grimaud, ne commettait pas les exactions d’aujourd’hui. Tout ceci était majoritairement considéré comme une lutte légitime dont d’ailleurs tout le monde a bénéficié (accords de Grenelle).

 

Dans les années 1990, la peur de la violence et des autres, essentiellement de soi-disant hordes d’émigrés, a commencé à se répandre, même dans les campagnes où rien ne se passait et où personne n’avait jamais vu un émigré. Cette peur s’est surtout manifestée politiquement par la montée de l’extrême droite qui avait ainsi un autre prétexte que celle de l’Algérie française.

 

Et puis peu à peu tout s’est accentué. Par exemple, avant ces dernières années je n’avais jamais entendu parler de féminicides. Était-ce parce qu’avant les informations n’en faisaient pas état ? Je n’en suis pas sûr.

 

 

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Par contre il est certain que les trafics des drogues, inexistants autrefois, sont une des raisons du développement de la violence. Je ne peux m’empêcher de faire la comparaison avec la prohibition aux États-Unis. L’alcoolisme n’a jamais généré de trafic chez nous. Cependant il n’y a trafic que lorsqu’il correspond à une demande. Pourquoi ce besoin de produits qui permettent l’oubli de la réalité et une fausse évasion momentanée qui touche toutes les couches sociales ? Il faudra bien finir par le mettre sur le compte de la déstabilisation et de l’incertitude sociale, de la perte de toute perspective, de tout repère en particulier pour la jeunesse, du profit qui n’est plus que le seul but qui régente une société… pour pointer où sont les causes. Jusque dans les années 1990, les banlieues étaient tranquilles, tout au moins elles ne faisaient pas la une des médias.  Quitter les cités ouvrières insalubres et boueuses l’hiver à la Zola, comme celles de la région lyonnaise où j’ai habité, pour se retrouver dans les cités HLM propres et bétonnées était même apprécié. Mais il n’y avait pas ou très peu de chômage. C’est bien lorsque les jeunes des banlieues se sont retrouvés sans avenir et plus ou moins condamnés à rester dans ce qui devenait des ghettos que la violence y est apparue.        

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Ce dont on se rend peu compte, c’est que la violence, la provocation à la violence, est le meilleur moyen qu’ont les Pouvoirs en place pour étouffer toute velléité de contestation en engendrant la peur. La contestation devient d’autant plus dangereuse lorsqu’elle provoque chez les manifestants une réflexion beaucoup plus large que ce qui l’a provoquée sur l’organisation sociale et politique. C’est l’intelligence collective qui devient subversive. Les exemples récents les plus visibles sont ceux des Gilets jaunes (tome 9) et actuellement les manifestations contre la réforme des retraites ou contre les bassines. Il est quand même curieux que l’on ne sache strictement rien de ces blaks blocs qui surgissent comme par hasard dans toutes les manifestations de masse, dont le ministère de l’Intérieur lui-même annonce à l’avance la venue et même leur nombre, ne soient pas depuis longtemps connus par des Renseignements généraux qui pourtant savent tout de tout le monde, et empêchés d’agir.

Un syndicaliste de la police, d’un syndicat très minoritaire, a largement expliqué que les violences policières que l’on s’évertue à n’attribuer qu’à quelques éléments, sont bien dues aux stratégies choisies par le ministère de l’Intérieur et aux ordres donnés pendant les manifestations. Ses explications n’ont pas été relayées par les grands médias et lui-même a été limogé pour cela.   

Si on écoute ou on regarde les médias, nous sommes bien dans une société de violence extrême. Cependant dans la vie quotidienne elle s’exerce surtout en milieu urbain, géographiquement dans certains secteurs (quartiers ou grandes villes), dans les habitats entassés.

Mais, en dehors de la période scolaire du cours complémentaire dont j’ai parlé, de toute ma vie jusqu’à aujourd’hui je n’ai jamais eu à subir une scène de violence. Il est vrai que je n’ai pratiquement vécu que dans des milieux ruraux et qu’en plus la chance m’a évité d’aller en Algérie. Autrement dit, ce n’est que par ce qu’elle voit ou entend dans les médias qu’une bonne partie de la population se sent dans une société de violence physique.

C’est surtout la violence institutionnelle qui est devenue insupportable et elle, elle concerne tout le monde.

Prochain chapitre : la violence institutionnelle. chapitres précédents

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