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Le blog de Bernard Collot
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28 avril 2023

1940-2021 (212) - Épilogue - XIV La violence institutionnelle

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Elle commence seulement aujourd’hui à être perçue. Pourtant, elle n’a fait que s’accroître au cours des années. Je vais prendre l’exemple que je connais le mieux, celui de l’école publique.

Elle date depuis son origine (Guizot, 1830) et de ses finalités réelles et peu dissimulées : arracher les enfants de l’influence des familles des classes sociales inférieures (au début, les pauvres) pour en faire d’abord de bons sujets de sa Majesté catholique, puis de bons citoyens de la République (Jules Ferry, 1875), puis aujourd’hui des travailleurs exploitables par l’économie de marché (traité de Lisbonne 2009). Cependant l’école élevait quand même le niveau de connaissances, ouvrait à d’autres possibles que celui des milieux familiaux, de ce fait pendant longtemps elle n’a jamais été contestée par les familles.

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Pendant mon enfance, ce n’était qu’à partir de six ans que nous y allions, et passé le traumatisme de la première rentrée il y avait l’intérêt des copains, des trajets pour nous y rendre à pied. En fait, l’obligation était plus ou moins la même que celle d’aller au catéchisme le jeudi ou à la messe le dimanche ou d’aller nous coucher à telle heure ou de ne pas laisser une seule miette dans son assiette. La domination des instituteurs n’était pas très différente de la domination paternelle. Bien sûr il ne fallait faire que ce qu’on nous disait de faire, ne pas parler sauf répondre, rester assis sur des bancs qui nous talaient les fesses… mais nous nous rattrapions largement à la sortie. « C’est comme ça la vie ! – Il faut bien que tu t’habitues ! – Il faut bien que tu apprennes ! », etc. L’école était le seul endroit où nous étions censés apprendre, il ne serait venu à personne la pensée que l’école n’était pas aussi indispensable que de manger ou dormir.

De 6 à 14 ans, l’Institution était la maîtresse d’une partie de nos journées. De 10 à 14 ans, nous pouvions aller au cours complémentaire. Se terminant par le brevet, celui-ci ouvrait quelques possibilités de plus que le certif, devenir fonctionnaire des postes, infirmière ou rentrer à l’école normale d’instituteurs, mais pas grand-chose d’autre. J’ai raconté sa violence institutionnelle et physique, mais nous n’étions pas obligés d’y aller et nous pouvions finir tranquillement notre carrière d’écoliers à l’école primaire.

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Devenu instituteur rural (1963-1995), dans les deux écoles où je suis resté, je ne me rendais pas trop compte de la violence de l’école : pratiquant la pédagogie Freinet, puis ayant transformé ma classe unique en une école du 3ème type (tome 7), celle-ci n’exerçait plus aucune pression sur les enfants, pouvait tolérer une certaine souplesse dans les horaires d’entrée et de sortie, les enfants pouvaient jouir d’une grande liberté tout en apprenant à la vivre. Et puis mes propres enfants étaient dans ma classe. J’étais surtout en relation avec d’autres collègues de classes uniques allant dans le même sens. Il y avait bien la violence de l’Institution dans nos rapports avec l’administration, nous en voyions d’ailleurs beaucoup plus son absurdité, mais nous avions appris à la contourner ou à tricher avec elle. D’autre part les dernières classes uniques, isolées et un peu en dehors du système éducatif, n’intéressaient pas trop l’administration qui n’attendait que leur disparition définitive par diminution des effectifs au-dessous de 9 élèves (grille Guichard).

C’étaient surtout les collègues en pédagogie Freinet dans les classes de type urbain qui subissaient cette violence institutionnelle. Tout d’abord leur pédagogie atypique troublait quelque peu leurs collègues classiques qui leur reprochaient de troubler aussi le fonctionnement de l’école. Elle troublait aussi des parents. Et surtout elle dérangeait fortement l’administration qui voyait remettre en cause tout ce qu’avait décrété l’Éducation nationale. Ces collègues ont été ainsi en but à un nombre incroyable de tracasseries et d’injonctions et beaucoup ont été ainsi mis en cause dans à ce que j’ai appelé « des affaires » qui ont pourri leur vie et leur carrière dont beaucoup d’aboutissements ont été soit un retour à la conformité, soit leur limogeage, soit leur démission. Les circonstances m’ont fait suivre attentivement certaines de ces affaires dont le « Procès d’Erwan » (tome 9).

 

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Nous croyions encore que la finalité de l’école était les apprentissages. Or depuis le début du siècle, les pédagogies actives ou Freinet avaient démontré que c’était ainsi que tous les enfants apprenaient, même Célestin Freinet lorsqu’il a acquis une notoriété internationale ne pouvait qu’être reconnu par l’EN… du bout des lèvres. Qu’aurait fait n’importe quelle entreprise qui se serait aperçue que les pratiques d’un de ses ateliers étaient les plus efficaces ? Bien sûr elle ne l’aurait surtout pas empêché de continuer, mais tenté de généraliser les façons qu’il mettait en œuvre. Pas du tout l’Éducation nationale ! Aujourd’hui comme avant, aucun enseignant ne peut s’adonner à fond dans ces pédagogies que l’on qualifie encore de « nouvelles ».

 

 

 

 

 

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C’est surtout à partir de 1989 que la violence de l’Éducation nationale m’était apparue dans tout son aveuglement, lorsque le ministère de l’EN décida l’éradication des classes uniques et des petites écoles, « pour le bien des enfants ». L’opération commença dans sept départements après une concertation entre les trois institutions et leurs « chefs » : inspecteur d’académie, président du Conseil général, maire du chef-lieu où devait avoir lieu le regroupement. On sait aujourd’hui ce que sont ces concertations ! Les parents, les premiers intéressés avec leurs enfants, n’avaient pas été consultés, même pas prévenus avant la rentrée, encore moins les enseignants qui eux n’avaient qu’à obéir. L’Éducation nationale pensait que comme jusqu’alors tout le monde allait se plier, voire apprécier ce qui était pour leur bien et celui des communes. Sa surprise fut immense lorsque beaucoup de ces « ploucs », parents et maires, refusèrent et entamèrent une lutte qui dura une dizaine d’années (tout le tome 8 lui est consacré). La violence de l’Éducation nationale allait jusqu’à ne pas se plier aux décisions d’une autre institution, le tribunal administratif, qui invalida plusieurs de ces fermetures au nom de la loi qui demandait à ce que chaque commune ait une école (école publique communale). Comme pour les pédagogies nouvelles, nous avions beau démontrer, preuves à l’appui, qu’à l’inverse ces écoles étaient bien plus performantes que leurs homologues urbaines, surdité absolue. Le ministère avait même commandité à ses services une étude comparative sur les résultats des écoles des classes uniques, ces travaux ayant démontré que c’étaient les classes uniques qui obtenaient les meilleurs résultats, il se garda bien de les publier et ce fut seulement la sociologue qui les avait menés qui nous les révéla. Comme toujours, c’est la lassitude qui nous a fait abandonner la lutte.

L’éradication continue aujourd’hui de façon plus perverse. Ainsi dans plusieurs départements les petites mairies sont sommées d’accepter la fermeture de leur école sinon la dotation globale des postes d’enseignants de leur département ne sera pas maintenue.

Ce qui est beaucoup moins visible c’est la violence encore plus générale aujourd’hui que le système éducatif fait subir quotidiennement aux enfants et aux adolescents. Ce n’est plus l’instruction qui est obligatoire (Convention internationale des droits des enfants, loi de Jules Ferry), mais de facto l’école de l’État. Maintenant les enfants sont « capturés » par l’école, c’est-à-dire qu’ils sont arrachés quotidiennement à leur milieu familial, dès l’âge de trois ans (2 019). Même si l’obligation scolaire dure jusqu’à 16 ans (14 ans autrefois), c’est jusqu’au bac (18 ans) que ceux qui sont devenus de jeunes adultes sont libérés. La France est connue pour sa maladie de la diplômite qui maintient toute une jeunesse sous la pression.

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Il est incroyable que personne ne perçoive que tous les enfants de France sont condamnés, quel que soit leur âge, à tous se lever à la même heure, à monter dans les voitures ou les cars de ramassages scolaires (l’expression dit bien ce qu’elle veut dire !), à attendre l’heure d’ouverture des grilles de l’école, à rester assis, à ne faire que ce qu’on leur dit de faire, à y rester après l’heure officielle jusqu’au moins 18 heures ou manger les mêmes choses dans les cantines puisque leurs parents au travail ne peuvent les récupérer, à encore continuer à faire ce que demande l’école avec les devoirs du soir qui continuent à être donnés même si aujourd’hui il est admis que c’est à l’école primaire ou au collège qu’ils devraient les faire. J’ai souvent entendu dire « il faut bien qu’ils s’habituent à ce qui les attend ensuite, ce ne sera pas drôle non plus ! », au moins il y a un début de conscience de l’anormalité à laquelle tout le monde est plus ou moins condamné. 

De 3 à 18 ans, voire plus, tous les enfants doivent se construire en adultes en étant condamnés dans la plus grande partie de leur vie à n’avoir aucune possibilité d’initiative, à ne rien expérimenter par eux-mêmes, à se couler dans le même moule. On ose parler d’apprentissage à l’autonomie ou à la responsabilité ! Il n’y a aucune espèce animale qui traite ainsi ses petits.

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Je pourrais ajouter à une liste qui n’en finirait plus que depuis 2 022 l’instruction en famille n’est pratiquement plus possible même contrôlée (finie donc une dernière liberté éducative aussi inscrite dans la chartre des droits de l’homme), que les écoles alternatives ne peuvent subsister que si elles se conforment comme l’école publique aux programmes et instructions (ce qui vide de leur substance toutes autres approches). Aujourd’hui, beaucoup d’écoles alternatives ne peuvent même plus faire ce que nous avions fait autrefois dans nos classes uniques de troisième type. Lorsque dans les années 1970 ont commencé à se développer ce que l’on appelait les écoles parallèles ou les communautés sans écoles, l’État se désintéressait complètement de ce que pouvaient y faire leurs enfants. Aujourd’hui sous le prétexte d’égalité républicaine (on brandit cette expression pour tout et n’importe quoi), celui d’empêcher les dérives sectaires ou des endoctrinements d’intégrismes évidemment musulmans ou celui de la supposée qualité des enseignements que seule l’école publique pourrait satisfaire, l’État à la mainmise sur toute la population enfantine pour soi-disant bien l’éduquer, personne n’ose encore trop dire la formater. C’est vrai que dès l’origine de l’école publique Paul Bert disait « seul l’État a le droit d’éduquer », mais c’était surtout pour contrecarrer l’influence de l’Église catholique.

 

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Autrefois il y avait bien le service militaire obligatoire. Mais, entre la fin de la guerre de 1940-1945 et le début de la guerre d’Algérie, c’était presque un rituel comme dans certaines tribus dites primitives il fallait que les jeunes passent seuls quelques jours dans la jungle pour revenir et être considéré comme des adultes membres de plein droit de la communauté Certes, c’était bien le dernier stade du formatage à l’obéissance et au respect des hiérarchies, mais pour beaucoup de jeunes des campagnes c’était aussi la première fois qu’ils quittaient leur milieu familial et celui de leur village, qu’ils découvraient d’autres mondes, avaient des relations avec d’autres jeunes, pouvaient passer le permis de conduire… une sorte d’émancipation !

 

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Si l’on ne veut toujours pas trop voir la violence institutionnelle de l’école, par contre dans tous les autres domaines elle apparait de plus en plus clairement. De façon générale, c’est toute la société qui doit se plier à ce qui est institué pour que chacun et ce qu’il fait soit conforme à ce qui est attendu de lui.  

Ce n’est que dans les dernières manifestations depuis les Gilets jaunes que les protestations qui les ont enclenchées se sont transformées en une contestation beaucoup plus générale de la violence de l’Institution, y compris de la violence politique, qui se dit légitimée par le système qu’elle a instauré elle-même. Lorsqu’elle évoque la démocratie ou la République, ce n’est que sa démocratie, sa république. On commence à s’en rendre compte, mais cela va-t-il durer ?

Prochain chapitre : la santé - chapitres précédents

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