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Le blog de Bernard Collot
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5 mai 2023

1940-2021 (215) - Épilogue - XVII La condition féminine

ou la domination masculine [1]

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1940… Période de l’enfance en milieu rural[2].

Pendant mon enfance et pendant longtemps, dans mon environnement que l’on peut qualifier des classes populaires, personne ne pensait que les hommes dominaient les femmes[3]. Certes, on sait que des siècles de culture judéo-chrétienne créent des habitus qui rendent normal et non discutable ce qui a été instauré. Ce n’est pas parce que personne ne voyait de domination qu’il n’y en avait pas. Il a fallu longtemps pour que l’on considère qu’être dirigé par un roi qui serait de « droit divin » était une mystification.

 

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En milieu rural, dans la ferme de mes grands-parents, la différenciation entre ce qui incombait à l’un ou l’autre des deux sexes ne relevait que du partage et de la complémentarité de ce qu’il y avait à faire pour assurer la survie de la famille et reposait surtout sur la différenciation physique musculaire. Le domaine de mon grand-père c’était tous les gros travaux agricoles extérieurs, celui de ma grand-mère c’était la basse-cour, l’intérieur et les enfants. On pourrait le résumer grossièrement ainsi : « Je produis ce qui va être nécessaire pour survivre, toi tu le transformes pour qu’on l’utilise ». Cuisine, tissage ou tricotage, entretien des vêtements, volailles… c’étaient les femmes, labours, semailles, moissons, téléchargementbovins… c’étaient les hommes. Dans la plupart des fermes, le jardin était l’affaire des femmes ; le grand-père était embauché pour le bêchage, mais ensuite il n’avait plus son mot à dire. En ce qui concerne les enfants et leur éducation, les hommes n’étaient en général sollicités que comme une menace : « Si tu continues, je vais le dire à ton père ! »  Dans la gestion du budget, la part des hommes était les dépenses nécessaires pour les travaux agricoles, celle des femmes les achats afférant à la maison, aux vêtements y compris ceux des hommes. Pour faire rentrer de l’argent en numéraire à la maison, les recettes c’étaient pour les hommes les ventes aux maquignons et minotiers, pour les femmes la vente des volailles au marché, mais c’étaient les femmes qui géraient toutes les dépenses courantes. Comme la seule forme de l’argent était des billets ou des pièces, le tout étant souvent dans la boite en fer blanc sur la plus haute étagère, les femmes n’étaient pas obligées de demander pour y puiser ce dont la maison avait besoin.

 

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Bien sûr après le repas de midi le grand-père allait faire une sieste pendant que la grand-mère faisait le ménage, le soir c’était lui couché le premier. La fatigue physique, et le fait qu’apparemment elle pouvait être plus importante pour les hommes, était-elle la justification de cette différence ? En tout cas les hommes en profitaient.

 

Pour nous qui n’étions pas paysans, c’était relativement semblable. Il y avait à peu près le même partage traditionnel du travail. Lorsque mon père avait terminé son service de facteur, l’hiver il partait dans la montagne faire la coupe de bois pour l’année suivante, s’occupait du jardin et du champ de pommes de terre, des réparations, allait faire les foins, les moissons ou d’autres travaux chez des paysans en contrepartie des boudins lors des morts des cochons ou d’autres services. Bien sûr lorsqu’il s’absentait ainsi alors qu’il aurait dû garder le guichet de la poste c’était souvent ma mère qui le remplaçait… bénévolement. Il n’acceptait jamais une invitation à boire l’apéro au bistrot… parce qu’il aurait fallu qu’il paye sa tournée à son tour et le budget était réduit. Si c’était lui qui apportait le numéraire à la maison, par contre c’était ma mère qui tenait les cordons de la bourse, mais je les ai toujours entendus discuter pour les grosses dépenses occasionnelles et c’était lui qui in fine décidait (par exemple l’achat de la machine à laver dans les années 50). Je pense par contre qu’elle n’a jamais eu un seul compte en banque personnel, même quand les femmes ont obtenu ce droit.

 

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Chez nous les mômes, il y avait bien des différenciations. Il était rare que les filles subissent des punitions, aussi bien à l’école qu’à la maison. Le martinet, les claques ou les fessées, les coups de règles sur les doigts ou les cheveux tirés, les exclusions à la cave ou au grenier nous étaient réservés. Par contre la plupart des filles n’avaient pas le droit de sortir de chez elles quand nous courions par monts et par vaux comme dans la « Guerre des boutons ».

 

 

 

 

 

 

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À la maison, si j’étais embauché pour balayer, cirer les escaliers, essuyer la vaisselle ou éplucher les pommes de terre, c’était ma sœur qui participait aux préparations culinaires. Par contre, si les travaux de sarclages au jardin m’incombaient, elle pouvait être embauchée pour l’arrachage des mauvaises herbes ou le ramassage des pommes de terre. Filles et garçons allions bien dans la même école et dans la même classe, mais nous devions être soigneusement séparés en classe et dans deux cours de récréation différentes. La mixité n’a été généralisée que dans les années 1960.

Le dimanche matin, pendant que la grand-mère allait à la messe, pour le grand-père c’était la réunion du conseil municipal qui se terminait au bistrot de la place et le dit grand-père qui se faisait remonter les bretelles lorsqu’il rentrait un peu pompette. C’est à ce propos que l’on peut relever ce qui était des non-droits. D’abord les femmes ne buvaient que très modérément à table, rarement le petit digestif du dimanche ou des grandes réunions de famille, et elles ne fumaient pas. Celles qui le faisaient avec la volonté de s’émanciper étaient considérées comme étant de mauvaises mœurs y compris par les autres femmes … et c’était surtout dans les milieux aisés ou intellectuels. Dans les bistrots on voyait rarement une femme sauf parfois la tenancière.

 

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Ensuite et surtout elles étaient exclues des fonctions politiques. Lorsqu’elles ont obtenu le droit de vote en 1945, bien sûr ma grand-mère et ma mère sont allées voter, mais je les soupçonne d’avoir toujours voté comme leurs maris le leur disaient. En tout cas pas, plus que mes tantes, je ne les ai jamais entendues parler politique ni mette leur grain de sel dans les discussions de ce genre des hommes, d’ailleurs et tout au moins dans ma famille même pour les hommes c’était un sujet quasiment tabou.  

 

 

En ce qui concerne l’acte sexuel, en général il était réglé par la loi catholique : « Tu te maries et après, homme ou femme, tu satisfais au devoir conjugal pour faire des enfants ». Pas de contraception en dehors de l’abstinence ou du retrait avant éjaculation encore que pour ce dernier point tous les hommes n’étaient pas forcément au courant. Le choix des uns et des autres était limité. L’éducation sexuelle se limitait à cela. La notion de plaisir ne faisait pas partie de la philosophie rurale, surtout pas celle du plaisir des femmes. La domination masculine s’exerçait surtout à l’intérieur de couples, la femme ne pouvant qu’accepter le « devoir conjugal », qu’elle en ait envie ou non.

Si je résume cette période, je peux dire que l’enfant que j’étais ne percevait aucune domination masculine dans ce milieu rural, les conditions de vie d’un sexe ne semblant pas plus enviables que celles de l’autre sexe. Selon la formule « C’est comme ça ! »

 

1950-1960, période en milieu ouvrier.

Un autre monde. Là, la majorité des femmes étaient salariées de l’usine de textile et avant de partir et en revenant il fallait qu’elles fassent la double journée pour assurer toutes les tâches des logements dont la plupart, y compris la poste, appartenaient à l’usine. Ma mère qui continuait à aider mon père au bureau de poste était cette fois considérée comme « auxiliaire des PTT » et percevait une petite indemnité pour une heure officiellement consacrée à la poste bien que mon père lui demandait beaucoup plus que l’heure attribuée.

 

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Cette fois le partage n’était plus équitable, ce d’autant que, revenus du travail salarié, les hommes n’avaient plus à se coltiner comme en milieu rural les travaux qui ne se terminaient qu’à la nuit tombée, pour eux c’étaient de courts moments de loisirs et les bistrots étaient beaucoup plus occupés qu’ils ne l’étaient dans le Bugey et la Bresse où ils n’étaient remplis que le dimanche matin. L’inégalité devenait plus flagrante. L’inégalité des salaires à l’usine textile tenait surtout aux tâches qui étaient réservées aux uns et aux autres. Le salaire des ateliers où ne travaillaient que des ouvrières était moins élevé que celui des ateliers où il n’y avait que des ouvriers.

Il n’y avait plus l’école géminée des petits villages ruraux, école de garçons et école de filles étaient soigneusement séparées. Ce n’a été qu’à la fin des années 60 que les écoles mixtes se sont généralisées. Seules les écoles de filles ou les écoles maternelles avaient une directrice. Il a fallu attendre très longtemps pour que la direction d’une école mixte soit demandée par une institutrice, bien que rien dans les textes ne l’en empêchait.  

Pour les garçons et les filles, si ces dernières étaient toujours plus ou moins préservées des châtiments corporels à la maison ou à l’école, c’est à partir de l’adolescence et au niveau de la sexualité qu’il valait mieux ne pas être une fille, surtout une fille d’émigré. Il n’y avait pas plus d’éducation sexuelle qu’auparavant, le sujet était toujours aussi tabou, mais pour un certain nombre de garçons c’était l’apprentissage que je ne peux que qualifier de sauvage.

 

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Le harcèlement que subissaient des filles n’était pas qu’oral, mais physique. Dans le camion qui nous emmenait au cours complémentaire, il y avait une fille, blonde, fille d’émigrés polonais (Wanda !). Une année, fréquemment lors du trajet retour, trois garçons obstruaient avec un béret la loupiote qui éclairait vaguement l’espèce de bétaillère qui nous transportait, l’encadraient et la violentaient dans l’obscurité malgré ses dénégations. Avec un autre garçon, nous étions bien choqués, mais n’osions rien dire pour la défendre, il est vrai que nous étions un peu moins âgés et beaucoup moins costauds. Les filles qui subissaient cela n’osaient jamais rien dire, il est certain d’ailleurs qu’elles auraient été rembarrées et considérées comme les coupables. Cette violence à l’égard des filles, soit était soigneusement ignorée, soit c’était dans une espèce de normalité. On la retrouvait aussi dans les bals populaires où les garçons faisaient leur choix de la fille qu’ils allaient pouvoir tripoter en dansant et entrainer ensuite hors de l’enceinte du bal pour aller plus loin. À cette époque je n’avais jamais entendu prononcer le mot de viol, comme si c’était un acte qui n’existait pas.

Peut-être est-ce à cette époque que l’inégalité hommes/femmes a été la plus flagrante… et acceptée.

1960-1975, instituteur dans le Beaujolais, 1975-1995, instituteur dans la Vienne, environnements ruraux.

J’avais été nommé directeur d’une école à deux classes dans le Beaujolais. Lorsqu’au bout de trois mois j’ai été incorporé dans l’armée pendant la guerre d’Algérie, mon épouse d’alors qui s’occupait de la classe des petits a été nommée directrice, à titre provisoire puisque j’avais été remplacée par une autre institutrice. Lorsque j’ai été démobilisé, j’ai retrouvé automatiquement mon poste de directeur comme si cela était normal, d’ailleurs moi aussi je le trouvais normal ! Toutes les écoles étaient devenues mixtes, mais très peu de femmes occupaient cette fonction. Peut-être parce qu’elles ne le demandaient pas, peut-être aussi parce que la majorité de ces écoles étaient occupées par des couples… et il nous paraissait tout aussi normal qu’après la classe il fallait bien que les mères s’occupent des enfants pendant que nous les hommes nous devions nous affairer à ce qui nous donnait de l’importance, c’est-à-dire tout ce qui relevait de la vie politique ou culturelle des villages. Il n’y avait toujours aucune femme dans tous les conseils municipaux. Pendant très longtemps on peut dire que toutes les décisions politiques, économiques et sociales qui ont entrainé notre société aux impasses d’aujourd’hui ont été prises par des hommes.

Il faut cependant distinguer différents milieux qui se côtoyaient. Pour ma part c’était le milieu de la fonction publique, des cols blancs plutôt que celui des bleus de travail, de ce qui était alors la gauche. Dans ce milieu j’étais aussi dans celui plus particulier du mouvement Freinet qui était encore quasiment révolutionnaire pas seulement en ce qui concernait l’école. Nous avions toutes et tous vécu avec enthousiasme Mai 68, adopté la contraception, voire la possibilité de l’IVG, la notion du plaisir… Certes nous n’étions pas des hippies, mais ce que l’on commençait à appeler des gauchistes… pacifiques et joyeux !

 

Dans le milieu des vignerons de mon village, il y avait encore la notion de partage de ce que demandait l’exploitation du domaine, c’est ainsi qu’en dehors de la participation des hommes aux conseils municipaux dont les réunions avaient toutes lieu le samedi soir, ils n’avaient pas le temps de s’investir dans la vie sociale et culturelle après leur travail qui ne se terminait qu’à la nuit tombée.

dubout-porter-la-culotte-e1617064030545Dans les réunions que j’organisais à l’école, il n’y avait que les mères de famille, il est vrai que l’éducation a été longtemps le domaine réservé des femmes. A contrario, en dehors de ce qui était visible publiquement, il se disait que c’était souvent des femmes qui « portaient la culotte », comme quoi il ne faut pas toujours se fier aux apparences !

Aucune femme ne conduisait, les rares que l’on pouvait voir à un volant étaient celles des familles très aisées. Ma propre épouse n’a passé son permis qu’au moment où nous nous sommes séparés. Je ne me souviens pas qu’elle l’ait demandé ou que je lui aie proposé avant ! Nous devions penser qu’elles en étaient incapables. Comme avant, tout cela paraissait normal, dans la nature des choses, et, dans nos milieux, personne même pas les femmes ne s’élevait contre cette situation.

Après 1975 dans le village de Moussac il y avait seulement deux ou trois familles d’agriculteurs. La plupart des mères de famille de mon école occupaient des emplois dans le domaine du tertiaire. Parfois c’étaient elles qui assuraient la plus grande partie du numéraire qui rentrait dans le budget familial. Toutes conduisaient en dehors des plus âgées (sauf ma compagne d’alors, mais c’était elle qui refusait, je reconnais n’avoir pas trop insisté !). À l’école il y avait de plus en plus de pères dans les réunions de parents que j’organisais tous les 15 jours, peut-être la pédagogie du 3ème type y a été pour quelque chose. La première présidente des parents d’élèves a d’ailleurs été une femme, infirmière, alors que dans ce qui s’appelait le « Sou des écoles » du Beaujolais cela avait toujours été un homme.

Ce n’est qu’après 1968 que l’inégalité des sexes a commencé à apparaitre comme une injustice ou que les femmes ont commencé, non seulement à revendiquer, mais aussi à oser occuper ce qui était jusqu’alors réservé aux hommes. Ainsi c’est seulement en 1973 que j’ai vu arriver dans ma classe la première inspectrice de l’Éducation nationale, son inspection avait d’ailleurs été la meilleure de toutes celles que j’ai subies. Cette évolution n’a d’abord commencé que dans les milieux un peu plus intellectuels ou dans ceux de la bourgeoisie. À l’école et surtout dans nos écoles du mouvement Freinet, en dehors du foot dans tous les jeux c’étaient garçons et filles, voire petits et grands. Dans les programmes il n’y avait plus les séances de couture pour les filles et de jardinage pour les garçons, il n’empêche que par exemple dans les projets ou rêves des filles apparaissait rarement celui de devenir aviatrice, camionneuse ou charpentière. Le plus osé et réalisable était celui d’institutrice. La première émancipation admise avait été d’épouser qui elles voulaient sans autorisation ou opposition paternelle. On ne voyait plus ou beaucoup moins le harcèlement sexuel par les garçons, tout au moins en milieu rural.

 

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On pouvait divorcer, mais les tribunaux ne prononçaient un divorce que si une faute au contrat de mariage (adultère) était prouvée ou reconnue, voire inventée, en général le coupable était l’homme. Divorcez et vous deveniez souvent le renégat de la famille. Ceci avait été mon cas, mon père à partir de ce jour ne m’a plus parlé pendant des années, et pourtant il n’était pas particulièrement dévot ! Systématiquement la garde des enfants était confiée à la mère, la pension alimentaire censée le permettre fixée par le juge. Il faut reconnaitre qu’en général cela nous arrangeait, nous les hommes, seul le montant de la pension pouvait gêner tous ceux dont la situation était modeste et il fallait prendre et payer un avocat qui plaide en faveur du ou de la coupable. Dans mon cas où je n’avais pas pris d’avocat, cela m’avait conduit à une situation financière difficile pendant une vingtaine d’années, mais qui m’avait obligé à vivre radicalement et même philosophiquement autrement, ce qui paradoxalement a été la chance de ma vie.

C’est après 1968 que le féminisme a commencé à se développer, mais il était circonscrit aux milieux intellectuels. Inconnu dans la classe ouvrière ou paysanne, dans la classe intermédiaire à laquelle je commençais à appartenir, il n’était ni apparent ni revendiqué, au moins intellectuellement. Dans les faits, nous, les hommes, commencions à participer à certains travaux ménagers, laver la vaisselle, éplucher les légumes, balayer… et cela semblait contenter nos compagnes. Dans les déménagements, c’étaient les épouses qui suivaient leurs maris même si c’étaient elles qui devaient abandonner leurs situations professionnelles ou en trouver une autre. Ce n’était quand même que très occasionnellement que nous restions à la maison pour nous occuper des enfants pendant l’absence de leurs mères.

 

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Dans le mouvement Freinet où l’égalité hommes/femmes ne posait pas de question, il n’empêche que pendant longtemps cela a été les hommes qui ont été mis en avant ou qui se sont mis en avant. Dans les congrès c’étaient eux qui tenaient les micros des tribunes et enflammaient les hémicycles, le plus souvent les femmes animaient les ateliers. Certes, Élise a bien été liée à Célestin, mais lorsque l’on évoque les grands noms de ceux qui ont fait avancer la pédagogie Freinet, il n’y a que des hommes, Paul Le Bohec, Bernard Monthubert, Maurice Berteloot… Or, moi qui les connaissais très bien, je savais que sans leurs épouses ils n’auraient rien été et qu’elles avaient très largement contribué aux avancées dont ils étaient les porteurs. Je n’ai échappé à cela que parce que ma première épouse institutrice ne faisait pas de pédagogie Freinet et que la suivante n’était pas institutrice. Dans ce qui a été la révolution de l’apprentissage des maths, Suzanne Coquard a été un des premiers à en avoir été à la fois la conceptuelle et la poétesse, mais vous ne retrouverez nulle part son nom comme de bien d’autres. Peu de personnes savent que le grand mouvement de la pédagogie active que sont les CEMÉA a été lancé en France par Gisèle de Failly dont elle devint la première directrice en 1944. S’il est impossible de rayer des mémoires Maria Montessori, on n’a pas osé lui reprocher d’être une femme, mais, pour la dénigrer, on lui a asséné son catholicisme fervent et, à une période, des soupçons de connivence avec Mussolini, sa philosophie n’ayant rien à voir avec cela. Dans le même temps, on n’a jamais reproché à Freinet d’avoir tenté, à un moment aussi, de convaincre Pétain de ses idées pédagogiques avant de devenir un résistant.

À l’école la mixité généralisée a contribué à un changement de vision sur les rapports hommes/femmes. Si le corps enseignant était en majorité féminin, par contre les institutrices peu à peu n’ont plus été cantonnées à s’occuper seulement des petits dans les maternelles ou au CP, de plus en plus en plus elles ont été des directrices d’écoles, principales de collèges ou proviseures de lycée. À l’inverse, des hommes ont même pu demander des postes dans des écoles maternelles.

Il a vraiment fallu attendre les années 2 000 pour que le féminisme et les inégalités hommes/femmes fassent partie du paysage sociétal. Les femmes rentraient alors plus couramment dans le jeu politique, même s’il fallait qu’elles fassent la preuve des mêmes capacités que les hommes, voire beaucoup plus, le milieu masculin dans ce monde étant peut-être resté beaucoup plus misogyne que la moyenne de la population.

 

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Bien sûr le féminisme a été et est toujours un combat à mener. Mais je vais probablement faire hurler en pensant qu’un certain féminisme fait probablement une erreur en prônant l’égalité confondue avec la similitude hommes/femmes. Il est bien dommage que des femmes politiques ou chefs d’entreprises se comportent justement comme des hommes et en soient même fières ! L’actualité récente en est un cruel exemple et ce qu’a fait par exemple une Margaret Tatcher en Angleterre est pire que ce qu’un homme serait arrivé à faire.

Bien sûr qu’il y a toujours eu une domination masculine, mais cela a toujours été les mères qui ont quand même été (un peu moins aujourd’hui) avec l’école celles qui ont éduqué les garçons, cette domination masculine personne ne peut vraiment s’en exonérer.

Ceci dit, entre 1940 et aujourd’hui, s’il reste encore des inégalités, au moins sur le plan moral et depuis peu sur le plan juridique il est admis que la domination masculine n’a aucun fondement, qu’hommes et femmes se doivent le même respect, ont les mêmes droits comme les mêmes libertés. De plus en plus d’hommes acceptent des rôles qui autrefois les auraient déshonorés, parfois ils les revendiquent. On peut vraiment dire : c’est beaucoup mieux aujourd’hui !

Reste la domination des adultes sur les enfants. Si les enfants ne doivent plus subir de châtiments corporels, la claque fait encore polémique. C’est tout le problème de l’éducation, en particulier le rôle de l’école, qui n’est pas vraiment abordé (j’y reviendrai).

 

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Lorsque je suis parti à la retraite en 1976, c’est moi qui ai suivi ma compagne dans les changements de lieu de résidence que nécessitaient ses changements de situation professionnelle, il est vrai qu’elle était beaucoup plus jeune que moi. Lorsque j’ai été à nouveau père en 2 000, j’ai été le père au foyer qui s’occupait de l’enfant, cela ne choquait plus personne. Le congé de paternité accordé en 2 002 a été une petite révolution.

En Sancerrois, ce n'est seulement que dans ces dernières années que des filles reprennent l'exploitation de leurs pères et ont leur prénom affiché dans les titres des domaines. Jusqu'alors on ne voyait à l'entrée des domaines que "Un tel, père et fils". 

Si je prends mon cas personnel, il est certain qu’au cours de tout mon parcours de vie je n’ai plus été le même qu’à 20 ans quant à ma vision de la femme, encore que le vieux que je suis a parfois encore quelques mauvais réflexes (nul n’est parfait !)

Alors comment se fait-il que lorsque quelque chose est devenu généralement admis, on retrouve toujours ce qui a été notre plaie ? Comment se fait-il par exemple que le viol et le harcèlement sexuel soient toujours aussi fréquents que dans les années 50 quand j’étais adolescent ? Si l’on qualifie enfin le crime de féminicide au lieu de le cantonner dans les faits divers, comment se fait-il qu’ils soient si nombreux ? La comparaison n’est pas facile puisqu’à cette époque personne n’en parlait, mais j’ai l’impression que cela s’est encore accentué alors que pourtant c’est devenu répréhensible.

Toute la seconde moitié du XXème siècle, surtout après 1968 (voir le tome 4) a été un basculement de tous les repères sur lesquels étaient bâtis les rapports sociaux, politiques, économiques depuis des siècles, et pas seulement en ce qui concerne la domination masculine ou la sexualité. Lorsque j’observe tout ce qui se passe j’ai vraiment l’impression d’un déboussolement total. Lorsque par exemple le mariage d’homosexuels est devenu possible, il faut reconnaitre qu’un bon nombre de la population ait pu être perturbé.

Il faut resituer la domination masculine dans toutes les dominations devenues mondialisées ; elles sont devenues visibles, mais un sentiment d’impuissance face à elles semble habiter tout le monde. La possibilité d’une révolution sciemment voulue semble passée dans le domaine de l’utopie. Le mot même de révolution fait peur aujourd’hui.

 Prochain chapitre : le changement climatique - chapitres précédents


[1] Bien sûr, ce n’est que la vision qu’en a eu d’abord un garçon, puis un adolescent et enfin un homme.

[2] Je rappelle que dans ma rétrospective j’ai essayé de rendre compte comment étaient perçus les grands problèmes sociétaux à partir de ma position (point de vue) et de là où j’étais successivement. Bien sûr que d’un point de vue historique ce serait beaucoup plus complexe ou nuancé, mais je ne suis pas un historien !

[3] Je rappelle encore que j’ai passé l’essentiel de ma vie en milieu rural.

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