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Le blog de Bernard Collot
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16 octobre 2007

La stigmatisation à l'école

gilets-jaunes

"Pasde0deconduite", vous connaissez ? C'est le collectif qui s'est constitué à l'occasion du fameux rapport Bénesti et des lois qui en ont déjà découlé, pour surveiller, pratiquement dès la naissance, les conduites et comportements dits "à risques". Ce collectif organise d'ailleurs samedi 10 novembre 2007 à Paris (faculté de médecine Saint-Antoine) son 2ème colloque sciences et société "Enfants turbulents : l’enfer est-il pavé de bonnes préventions ?"

En dehors de cet aspect plus que déplaisant mais bien dans la ligne des choix de société qui sont fait actuellement, l'école a toujours été un lieu de stigmatisation quasi systématique, en faisant parfois volontairement ou non le levier de son ordre.

La maîtresse de CE1 de mon fiston a un problème : le groupe qui vient de débarquer dans sa classe est agité. Interpelée sur le terme qu'elle employait, elle a convenu que ce pouvait être plutôt bouillonnant. Ce qui aurait dû changer considérablement les données de son problème. Bouillonnant devenait alors une qualité et le problème n'était plus celui de ce qu'étaient les enfants et de ce qu'il aurait fallu faire pour qu'ils soient autre chose mais celui de sa difficulté à utiliser ce bouillonnement… que quelques enseignants aimeraient, eux, avoir constamment dans leur classe.

Mais ce qualificatif d'agités que ce groupe d'enfants va traîner comme un boulet au moins jusqu'à la fin de l'école primaire a un début :

Alors qu'ils étaient encore en grande section, ils devaient participer à la fête scolaire de fin d'année en y produisant un ou deux chants. Ce jour là, leur maîtresse était absente. Ils se sont donc débrouillés tout seuls sur scène, et ma foi, ils se sont fort bien débrouillés. Mais d'une façon décontractée, rigolote, et quelque peu animée ! Pour reprendre la main (« non mais, faut pas croire que ça se passe toujours comme ça chez nous ! »), mais de façon bonhomme (c'est quand même la fête !) le directeur reprend aussi le micro à la fin de la prestation : « On peut les applaudir, mais avec cette bande cela ne va pas être de la tarte pour les tenir l'an prochain ». Rires un peu niais de l'assistance. La bande était définitivement cataloguée. Pour tout le monde cela devenait des enfants difficiles. Lors des transmissions qui se font d'un enseignant à un autre à chaque rentrée, le commentaire classique : "avec ceux-là, tu vas t'en voir". Et je sais très bien que c'est ce qui est presque toujours signalé en priorité. Ce qui risque de troubler l'ordre et le déroulement du fonctionnement immuable prévu à l'avance.

Du coup, l'enseignante suivante à qui on annonce des agités… a bien des agités puisqu'ils le sont avant même qu'elle ait pu en juger et qu'elle agira d'emblée avec eux… comme avec les agités qu'on lui a annoncé qu'ils l'étaient. Elle s'organisera d'avance en fonction de ce qu'elle croit savoir. L'enseignante en question avait d'ailleurs des « projets intéressants » qu'elle nous déclara tout bonnement avoir abandonnés, vu les agités qui lui débarquaient. Les dits agités n'ont aucune chance d'être les bouillonnants qu'ils sont ! Et toutes les chances de s'agiter encore plus, vu qu'ils n'ont, de l'aveu même de la maîtresse, rien d'intéressant devant eux où ils pourraient utiliser une énergie qui ne demande qu'à être mobilisée.

Ce phénomène ne relève pas d'une volonté délibérée et mal intentionnée des enseignants. La plupart du temps ils sont surpris, voire offusqués lorsqu'on le leur fait remarquer. Il s'agit presque d'un mécanisme auto-protecteur qui dénote à quel point les positions de chacun, enseignant ou élève ou parent, sont sur la défensive.

Cette stigmatisation qui porte sur la conduite et relève du jugement moral, on la retrouve très régulièrement dans les annotations des livrets scolaires. "Ne fais pas suffisamment d'efforts" ou pire "ne fait aucun effort, X est paresseux", "Peut mieux faire", "bavarde trop en classe", "ne respecte pas les règles", "ne travaille pas" etc. Quand ce n'est pas parfois carrément insultant et pouvant relever de la diffamation donc du droit commun, comme je l'ai trouvé une fois dans le bulletin d'un de mes grands « Y. est un fumiste ».

Pour beaucoup d'enfants ou d'ados, cette stigmatisation non seulement les suit d'une année sur l'autre mais, en plus, est reprise par la famille. C'est d'ailleurs ce qu'en attendent souvent des enseignants qui pensent qu'une fustigation supplémentaire ne peut que faire du bien. Mais elle a surtout l'intérêt de les dédouaner de toute responsabilité dans ce qu'on appelle « l'échec » dont alors l'enfant est le seul coupable. C'est d'ailleurs une des fonctions essentielle de la stigmatisation. A priori on peut espérer que ce n'est pas dans une volonté de détruire (quoique !), mais il s'agit surtout de mettre hors de cause l'institution et ceux qui y ont une mission, l'organisation sociale et sociétale en général.

Il n'y a même pas besoin d'un fichier national pour pointer les comportements à risques : le livret scolaire qui suit les enfants et ados, qui est conservé, c'est déjà cela. En plus, ce qui y est porté ne dépend que de la subjectivité de ceux qui les annotent. Ils avouent tous avoir même des difficultés à remplir des item purement techniques sur les évolutions des apprentissages, ce qui est un comble pour des professionnels. Le prétexte que les parents n'y comprendraient rien est un faux prétexte : c'est bien le rôle d'un professionnel d'expliquer en termes clairs ce qui est nécessairement technique. Mon mécano me le fait à chaque panne !

Ce qui suit aussi chaque enfant, pratiquement dès la maternelle, c'est la catégorie dans laquelle il se trouve : bon ou très bon élève, élève moyen, élève médiocre (Eistein faisait partie de cette dernière catégorie !) Il est exceptionnel qu'un bon élève devienne médiocre, tout autant qu'un médiocre devienne un bon. Il faut bien sûr rajouter que le qualificatif de « bon » inclut la docilité en même temps que des « résultats » scolaires. La stigmatisation scolaire étant alourdie par la stigmatisation familiale, recherchée je l'ai dit plus haut. Les conversations chez le boucher ou la boulangère devraient figurer dans un florilège « Ma fille ça va, c'est une bonne élève, elle n'a que des bonnes notes, elle suit bien – Ah ! Vous avez de la chance, moi je ne sais pas quoi faire pour le mien ! ». Ils sont déjà marqués pour toute leur vie scolaire, voire leur vie villageoise ou de quartier. S'ils n'ont pas la chance de tomber sur un prof qui sait voir et chercher au-delà d'une image scolaire, si le phénomène de résilience si bien exploré par Cyrulnick ne s'enclenche pas, ils sont cuits !

Dès le début, les enfants se voient affublés et n'ont plus qu'une identité scolaire, que l'on traduit à nouveau par un nombre, une note qui produit un classement de valeur, une immédiate hiérarchie scolaire et une future hiérarchie sociale. Et il faut revenir aux notes, ma bonne dame, clament les chantres du retour au passé, relayés complaisamment par les médias et les sacro-saints sondages. Il y a les premiers et les derniers, les gagnants et les loosers.

Et bien sûr, on s'étonne que l'enfant devenu ado pose quelque problème qu'il résout, à sa façon, dans la recherche désespérée d'une identité quelconque par les moyens qui lui restent. Pour être à nouveau… stigmatisé. Tout est joué d'avance mais il n'a eu aucune carte à jouer.

Ce qui est le plus stupéfiant dans la marche inexorable de la machine scolaire, c'est que l'on connaît depuis belle lurette l'effet pygmalion. Mais on le fait fonctionner surtout à l'envers. Cela a peut-être l'avantage de trier le bon grain de l'ivraie, de l'ivraie sociale !

Finalement, il faudrait peut-être simplement que les parents des cohortes de stigmatisés se révoltent au lieu de conduire en humiliés leurs enfants à ce qui finit par être un abattoir et défendre leur enfant et son potentiel inexploité ou étouffé plutôt que de pleurer devant ses notes ou les appréciations de son livret scolaire. Après tout, l'école capture la population de la jeunesse pendant l'essentiel du temps où elle se construit. Chacun est en droit de lui demander d'assumer correctement cette construction pour chacun d'entre eux et non de contribuer à la destruction de ceux qui ne lui conviennent pas.

L'égalité des chances, c'est chacun toutes ses chances.

 

 

Commentaires
A
Merci pour cet article très intéressant. Maman d'un garçon de 5 ans, je suis confrontée à une maîtresse de grande section qui me bloque mais alors… Elle a remanié les groupes de la classe début Janvier. Résultat, les élèves "hyper sociables, très scolaires etc" sont passés tous dans le même groupe… Et les plus jeunes (nés à partir de Septembre), ceux qui ont besoin de plus de temps pour avancer ont tous été réunis.<br /> <br /> Mon fils n'est pas fan du graphisme, dessiner etc, c'est pas son truc pour le moment. Alors écrire correctement les chiffres de 0 à 8... Du coup, zou, direction ce groupe.<br /> <br /> Sans parler qu'il n'y a aucune fille dans ce groupe ! Et oui, les filles ça travaillent bien, c'est moins turbulant… On en reparle de l'importance de la mixité dans un groupe ?<br /> <br /> Mais moi, j'ai récupéré un gamin fin Décembre bloqué et démotivé alors qu'il adore l'école, car à force d'entendre des "il faut que tu t'exerces à écrire correctement les chiffres", et de voir écrit sur son cahier "il faut impérativement que tu t'exerces", il n'avait plus confiance en lui et en ses capacités pour avancer et apprendre.<br /> <br /> Il a fait de gros efforts, je l'ai accompagné pendant toutes les vacances, elle l'a noté sur son "cahier des réussites" oui, mais elle a quand même commencé par "XX réalise un travail irrégulier".<br /> <br /> Alors oui, je sais qu'en tant que parents on peut manquer d'objectivité quand aux capacités de son enfant certes, mais… En grande section, ils préparent déjà une thèse ou j'ai loupé quelque chose ??
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I
j'aime beaucoup lire certains parents qui ramènent leurs enfants devants l'école comme si c'était une garderie ! que doivent instaurer les enseignants dans les classes pour pouvoir faire passer des apprentissages dans le calme pour que tout le monde écoute, en profite. quand certains se comportent comme des ... se jetant sur les autres, leur donnant des coups de pieds, ou bien les pinçant àcause de problèmes résultants de la maison! Mais que devons nous faire? Chers parents mais donner la solution pour tenir près de 30 élèves dans une salle de classe.Quand vous n'arrivez même pas à tenir un chez vous! Oui c'est notre travail! Nous ne sommes pas formés pour être des assistants sociaux ou des psychologues! Bref, arrêtez de fustiger les enseignants qui font ce qu'ils peuvent pour faire avancer, réussir tout le monde. Vous croyez que c'est simple, d'avoir un perturbateur dans la classe, ou un enfant qui refuse l'autorité criant tout le temps dans une classe, les autres se bouchant les oreilles, vous rentrez chez vous ne pouvant même pas vous occupez des vôtres tellement vous en avez bavez! les jours passent et se ressemblent et quand on ajoute les parents premiers arrivés le matins derniers arrivés le soir qui ne comprennent pas que leur enfant ne respecte pas les règles, on le met au coin pour se calmer, mais continue à interpeller les autres, danse, rit se moque de vous. Vous avez quel autre solution que le coin? Le renvoyer?<br /> <br /> mettez vous à la place d'un enseignant et arrêtez de juger, venez faire une matinée dans une classe et on en reparlera!
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S
Nous sommes en 2016, près de 10 ans après ce billet, et je viens de vivre la même situation… avec la maîtresse de MS/GS de mon fils ! Réunion de parents ce soir, elle (25/30 ans) commence en disant que les élèves sont très remuants (ça veut dire quoi ??). L'an dernier, la maîtresse disait de la classe "ils sont dynamiques, ils m'entraînent loin dans les apprentissages, ils sont très demandeurs, je vais où ils me portent" ; à la fin de l'année, on nous a dit que la classe serait éclatée, pour ne pas effrayer les maîtresses de MS/GS qui allaient arriver…<br /> <br /> Puis la maîtresse de cette année déroule le fil de leurs journées et de ce qu'elle met en place : segmentation des activités (problèmes mathématiques, puis problèmes de français... euh, mais on est bien en MS/GS là ??) ; et puis il faudrait des photos pour les fleurs qui sont au tableau (énormes, les fleurs, de quatre couleurs différentes, on ne voit que ça quand on entre dans la classe), "ça permet de placer les enfants sur les fleurs selon leur comportement, s'ils se comportent bien ils ont un bon point, au bout de la semaine ça leur fait une petite image, et au bout de x petites images ils en ont une grande". Mais on est encore sous la IIIème République ?? Et ceux qui seront dans la fleur rouge ? A l'âge où on se construit, ou on se compare ?<br /> <br /> J'avais le ventre noué à la fin de la réunion. J'ai été incapable de m'élever contre ce système. Et en discutant avec d'autres parents, plusieurs trouvaient ça très bien. Le pire, c'est que je ne peux pas dire à mon fils : on ne donnera pas les photos à la maîtresse ; parce qu'il ne comprendrait pas pourquoi lui n'aurait pas le droit d'avoir des bons points.<br /> <br /> "L'employé du mois" dès la maternelle.<br /> <br /> J'espère qu'en prenant de l'expérience, cette maîtresse changera. Mais le problème c'est que mon fils, aujourd'hui, en 2016, va en faire les frais.<br /> <br /> Quant à la curiosité des enfants : "oui, si certains veulent aller plus loin, je leur ferai faire des petites activités". <br /> <br /> L'année va être longue...
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B
Je voudrais rajouter à mon propos précédent que le stigmatisation, dans ses processus et conséquences, se rapproche beaucoup du harcellement qui, lui, est reconnu comme une souffrance et une atteinte délibérée aux personnes.<br /> Les droits de l'enfant, qui, s'ils sont bien de nature identique aux droits de l'homme, ont beaucoup de mal à être pris en considération. Le retrait de l'institution "défenseur des enfants" en est une des preuves actuelles.
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B
Toutes les pédagogies actives éliminent de facto la stigmatisation.<br /> Mais elles sont rares !<br /> Pour y être confronté comme parent d'un enfant en école traditionnelle, le seul contrefeu que l'on puisse allumer, c'est notre position vis à vis de notre enfant et par rapport à ce quoi il est confronté : si, un silence, une désolation, un regret, est notre seule réaction, alors il subit de plein fouet la stigmatisation et ses conséquences, le repli sur lui-même et l'auto-dévalorisation ou la réaction violente et la fuite en avant (je vais être ce que vous dites que je suis). <br /> Il y a d'une part à dénoncer clairement et en sa présence,face à ceux qui sans même s'en rendre compte, opère un véritable délit s'apparentant au délit de faciès, l'injustice et la fausseté d'une opinon qui va être colportée. Cela n'aura probablement aucune influence sur le comportement des stigmatiseurs, mais l'enfant saura qu'il peut s'appuyer sur le regard des personnes qui le touchent, peuvent affirmer une autre réalité, et qui doivent être ou redevenir sa référence vitale.<br /> D'autre part, il faut l'aider à comprendre qu'autour de lui, c'est, malheureusement et tristement, une jungle dans laquelle il faudra qu'il vive (ou survive)en s'autoprotégeant. En élaborant des stratégies... de survie. Ramener ce fait qui pour lui et très réellement est un fait d'injustice, dans la banalité des tristes comportements et relations sociales qui font de l'humanité la pauvre espèce qu'elle ne cesse de devenir. Il faut lui apprendre tout doucement à être... cynique éclairé. Dans une société de plus en plus cynique.<br /> Son problème, notre problème, c'est notre connerie. Il faut s'en extirper, tout en y évoluant et s'y sauvegardant.<br /> Comme tout serait plus simple dans un monde à la Rousseau ou à la Illich !
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