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Le blog de Bernard Collot
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16 octobre 2013

L'enterrement d'une musaraigne

Depuis une dizaine d’années, le terme « projet » est devenu celui qui a le plus d’occurrences en même temps qu’une multitude de sens (et de non sens !) dans tous les discours. Nous l’utilisons aussi beaucoup dans une école du 3ème type[1]. Mais dans un sens simple et unique :

Nous considérons comme projet ce qui précède immédiatement l’activité et l’engage. Ils peuvent être formulés ou non formulés, réfléchis, préparés, déclarés ou inopinés, distanciés de leur réalisation ou simultanés à leur réalisation (je vais prendre l’air !), personnels ou collectifs, donner lieu à une activité à programmer ou immédiate, courte ou ayant une durée plus ou moins longue.

Dans une école du 3ème type, les projets dont découlera toute son activité sont tous ceux dont la source est l’enfant, proviennent de son être (Le projet originel qui s'exprime dans chacune de nos tendances empiriquement observables est donc le projet d'être.[2]).

Leur variété est donc infinie. Aucun projet n’a besoin d’être pédagogiquement correct puisque tous nécessitent l’utilisation et la complexification de langages dans leur réalisation. L’environnement et la structure de l’école devant induire et favoriser l’utilisation des langages sociétaux (langage écrit, langage mathématique, langage scientifique). La seule contrainte étant leur faisabilité dans le collectif et son organisation. Ils provoquent aussi l’évolution de l’organisation de l’espace et de la structure (auto-organisation).

La problématique de l’école du 3ème type est donc de permettre et de favoriser l’émergence, l’expression, la réalisation, les prolongements et les rebondissements dans les interrelations, de tout projet de l’enfant, des enfants.

L'enterrement d'une musaraigne

Un collègue m'écrivait un jour "Je suis assez découragé, l'école du 3ème type cela ne marche pas dans ma classe. Cette semaine un enfant a apporté une musaraigne morte. A la réunion, j'ai essayé de profiter de l'occasion pour que les enfants se lancent d'eux-mêmes dans des recherches et des exposés sur les musaraignes, leur différence avec les rongeurs, etc. Rien à faire ! Rien ne les intéresse, tout au moins rien ne les intéressait ce jour. J'ai bien imposé de mettre sur le plan de travail l'étude de la musaraigne, mais il faut que je les force à réaliser ce projet de la même façon que si c'était un exercice du programme. Comment fais-tu ?"

A la campagne, il est très fréquent que des enfants ramènent des cadavres de rongeurs ou autres bestioles. J'en ai eu beaucoup, pas toujours dans un excellent état de fraîcheur ! On les regarde, on discute, "Où tu l'as trouvé ?, Qu'est-ce que c'est ?..." Et bien sûr j'étais amené à poser la question fatidique "Qu'est-ce qu'on en fait ?" Suivant l'odeur plus ou moins nauséabonde dégagée, il était rare que la direction future fût l'atelier sciences. Mais, dans presque tous les cas, la fin définitive du cadavre n'était pas "on le jette" mais "il faut faire son enterrement" !

L'épisode marquant de "Jeux interdits", le film de René Clément, n'était pas une invention de poète. Je ne chercherai pas à en chercher les raisons qui relèvent de l'affect, psychiques, culturelles, sociologiques... peu importe, c'est un fait. De nombreuses bestioles ont ainsi été cérémonieusement enterrées, le plus souvent en cachette.

D'années en années, l'événement se reproduisait épisodiquement. La proposition de l'enterrement de la musaraigne ou du rongeur, émanant souvent d'un petit, obtenait presque toujours l'adhésion de la majorité de la classe. Sans aucun problème, elle était alors inscrite dans les activités importantes à réaliser dans la journée. Dans l'enthousiasme général...

Mais un enterrement en grande pompe, cela s'organise ! Il est facile d'engager les plus grands dans des recherches sur les rituels funéraires dans le monde ou dans l'histoire. Parfois cela débouchait sur un aspect des religions, sur les croyances diverses, la philosophie de la mort. Lorsque je ressortais "l'enterrement d'une feuille morte" de Prévert, même les petits voulaient que les grands le leur lisent. Et pourquoi pas écrire une épitaphe ? Mais qu'est-ce qu'une épitaphe ? Une année, des enfants voulurent même fabriquer un cercueil : contreplaqué, balsa, plan, mesures, volumes...  Et l'invention d'un cérémonial. Lorsqu'un enterrement précédent était resté dans les mémoires, il fallait en inventer un différent. Il était rare que personne n'ait envie de narrer l'événement dans le journal, ce qui provoquait immanquablement des réactions des autres classes lectrices.

La bestiole se retrouvait avec une minuscule tombe dans le jardin. "Mais qu'est-ce qu'elle va devenir ?" Encore une question que posaient les petits. Et nous pouvions être enfin dans la science ! La nature dont nous faisions partie. Du coup, la tombe était oubliée et piétinée sans état d'âme au bout de quelques jours.

La mort est toujours un sujet délicat avec les enfants, on craint à juste titre de l'aborder tant on sait qu'il inquiète ou traumatise la plupart. Nous-mêmes d'ailleurs ! Et puis c'est toucher aux croyances dont nous avons souvent besoin pour nous rassurer... et vivre avec elle. Nous avons quand même à l'affronter quand elle touche un proche de l'enfant. Mais, au cours des quelques "enterrements" imprévus de bestioles ainsi vécus, j'ai toujours observé l'apaisement des enfants. Bien sûr, il ne s'agissait pas de leur chat ou de leur lapin préféré. C'était dégagé de l'affect. Le jeu (pardon, l'activité !) de l'enterrement de la musaraigne n'était pas qu'un jeu. Il y a toujours des raisons, parfois profondes, dans ce que font les enfants.

Les projets des enfants, quand ce sont les leurs et quelle que soit leur incongruité, entraînent toujours dans des chemins imprévisibles quand on les accepte, quand on les accompagne. L'enfant, source de ses apprentissages autant qu'auteur de ses apprentissages, donc de sa construction dans toutes ses dimensions.

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[1] Nous ne situons pas du tout l’école du 3ème type dans ce qu’on appelle « la pédagogie de projet »

[2] Jean-Paul Sartre, Être et Néant

Commentaires
N
Bonjour,<br /> <br /> <br /> <br /> J'ai une enfant dyspraxique visuo spacial. Elle a fait une année à l'école du troisième type d'allex en Drome. Cela a été très bénéfique sur le plan psychologique (elle avait une phobie de l'école et régressait dans les écoles Classiques). Par contre, sur le plan des apprentissages nous n'avons rien observé ne serait-ce qu'une grande frustration de ne pas avoir les outils pour pouvoir lire et écrire. (crie, pleure, demande pourquoi elle n'y arrive pas). Par contre , emporté par la dynamique de la classe, elle oublie de demander cet apprentissage. Je pense qu'a force de privilégier les projets de groupe, on enterre les projets individuels. C'est là le soucis de mon mari qui ne souhaite plus qu'on l'inscrive dans cette école qui pour lui n'en ai pas une. Ce que je comprends de ce fonctionnement c'est qu'il faut que l'instituteur encourage autant les projets de groupe que les projets individuels: à ne pas le faire, le risque pour ma fille est de finir illettrée.<br /> <br /> <br /> <br /> Que pouvez-vous nous répondre?<br /> <br /> <br /> <br /> Un grand remerciement
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B
J'oubliais, dans le tome 1 des chroniques d'une école du 3ème type qui va être publié d'ici une ou deux semaines par les édictions de l'Instant Présent !<br /> <br /> Les amis de la liste de diffusion "pratiques" (déjà signalée" en racontent aussi presque chaque jour !
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B
Vous en trouverez beaucoup d'autres dans "la fabuleuse aventure de la communication" ou dans "multi-âge"
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C
J'adore ces anecdotes qui éclairent les propos plus théoriques !
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