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Le blog de Bernard Collot
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1 avril 2014

L'angoisse du résultat

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La question qui m’était le plus fréquemment posée, c’était « Vont-ils suivre ensuite au collège ? ». Question légitime puisque les enfants étaient bien « condamnés » à y poursuivre ce qu’on appelle d’ailleurs d’un très vilain mot, leur cursus ! Il est évident que si ces enfants d’une école du 3ème type n’avaient pas « suivi » au moins aussi bien que les autres, mon école n’aurait pas perduré 35 ans, ses parents n’y étaient pas plus déraisonnables que tous les autres et avaient plus que les autres la possibilité du choix : il leur aurait suffit de faire prendre à leurs enfants les cars de « ramassage scolaire » (quelle autre horrible expression !) passant devant leur porte et d’envoyer leurs enfants dans l’école publique du canton ; ce qui aurait ravi l’administration ! Ce qui est devenu très rapidement la référence, c’est ce constat que tout le monde pouvait faire : ce n’était plus des « résultats » mais un effet : suivre au moins aussi bien voire mieux que les autres dans la poursuite de leur vie d’adolescents et d’adultes, en y étant plus solides.

Avec les enseignants de ces classes uniques allant dans le même sens, nous suivions d’ailleurs régulièrement ce que faisaient les enfants de nos classes au collège, au lycée, et même plus tard dans la vie active. Nous n’étions pas plus déraisonnables que les autres et c’était la seule évaluation réelle de ce que produisaient nos pratiques. L’observation des effets. La confiance en soi, la confiance des autres, ne s’établissent que sur des faits. Je dirais même que c’est parce que ces faits étaient avérés que nous dérangions et continuons de déranger le système éducatif.

J’ai écrit dans un des chapitres du tome 2 des chroniques que nous sommes dans la société des programmes. Programmes, évaluations et résultats. Bilans, bilans… La culture du résultat, celui-ci se traduisant par des chiffres s’inscrivant dans des tableaux, des courbes, des pourcentages… On n’arrête plus d’évaluer, chacun dans l’entreprise (ce mois vous avez moins produit, moins vendu…), l’entreprise (Les bénéfices sont en baisse, les actionnaires ne sont pas contents, vous allez être délocalisés !), le nombre de chômeurs et la courbe (Vous n’êtes pas encore dans les chiffres ? Méfiez-vous cela va venir !), le PIB (un chiffre qui règle la vie de tout le monde même si personne ne sait comment il est fabriqué), le résultat du nombre d’arrestations (les policiers doivent faire du chiffre pour leur carrière) et même celui du nombre de voitures brûlées, résultats au bac par lycées (Ah ! surtout ne pas t’envoyer dans ce lycée, les chiffres disent qu’il est mauvais !), etc… Résultats, obligation de résultats rappelée à tout bout de champ ! Bulletins scolaires et de tous ordres. « Bons résultats », « résultats insatisfaisants », on retrouve ces expressions dans tous les domaines. C’est la menace permanente, celle qui maintient chacun dans l’ordre social ou scolaire, qui justifie que l’on s’y soumette, qu’on le subisse, comme mathématiquement inéluctable.

Au moins en matière d’éducation et d’école, les résultats attendus et devant être obtenus par tous à des moments fixés à l’avance n’ont aucun sens.

Il n’empêche, qu’au moins dans un premier temps, il est difficile aux parents de ne pas établir des comparaisons. « Sa petite cousine, qui a le même âge que ma fille, sait déjà faire des divisions à deux chiffres ! ». C’était d’ailleurs souvent ces histoires de mécanique de la division ou des tables de multiplication sues et récitées par cœur qui servaient de référence aux parents. Quand, dans le même temps, la même fillette manipulait et s’amusait avec les nombres rationnels (les fractions) ou les nombres relatifs (quand il y a des nombres négatifs), mathématisait des situations, ou jouait avec un tableur… cela ne rentrait pas dans les références simples et connues pouvant calmer l’inquiétude.

Il faut donc un « certain temps », de nombreuses discussions, de nombreuses visites en classe, pour que la totalité des parents saisisse ce qu’est l’essence d’un langage (écrit, mathématique, scientifique…) et sa construction. Mais j’ai pu constater que tous les parents, quel que soit leur niveau culturel, pouvaient s’intéresser, voire se passionner, à la discussion de ces sujets auxquels on ne les convie jamais de participer. Et là, ce sont les références de leur propre passé scolaire qui surgissaient, comme si on avait enlevé le mouchoir qui les maintenait enfoui dans la poche de leur mémoire. Et nous étions alors sur un terrain commun et concret. Ce qui fait aussi la richesse d’être enseignant dans une école du 3ème type, c’est cela. Etre dans une vraie intelligence collective où chacun est reconnu, apporte, et dont tous ressortent plus forts et plus intelligents.

L’inquiétude du résultat est donc normale dans notre contexte sociétal. La résorber est aussi un moteur. Lorsqu’on s’en libère peu à peu, y compris pour les enseignants, alors tous les possibles sont ouverts… et tout devient facile, surtout pour les enfants. Ce sont alors d’autres constats qui rassurent et servent de référence. La course aux résultats, la nature de ces résultats, apparaissent alors comme contreproductives, comme les principaux obstacles à toute évolution. Une des leçons de l’école du 3ème type qui pourrait s’appliquer à tous les domaines !

alternative schools. Change the school. - escuelas alternativas. Cambiar la escuela..scuole alternative. Cambiare la scuola. - escolas alternativas. Mudar a escola.  - Alternative Schulen. Umwandlung der Schule

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Commentaires
B
Mes anciens élèves me racontaient aussi des choses semblables. Dans les conversations, dans ce qu'on peut lire parfois, je n'ai encore jamais entendu d'appréciations négatives de celles et ceux qui sont "passé" dans une classe unique. C'est avec elles et eux que les souvenirs d'école sont les plus forts, les plus attachant quand ce n'est pas émouvant. Bien sûr il doit y en avoir de moins bons. Par exemple je n'aime pas du tout la classe unique de "être et avoir" ; mais même là les défauts des usines à enfants sont atténués.
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D
Je confirme, j'ai vécu la classe unique en tant qu'élève, et l'arrivée au collège s'est faite "les doigts dans le nez". Pendant 2 ans, j'ai même clairement surfé sur mes acquis. Tous les élèves provenant de mon école primaire avaient les mêmes facilités. <br /> <br /> En revanche, là où ça devenait dur, c'était quand il fallait (bêtement) apprendre par cœur (mais bon, ça devait l'être pour tout le monde...).<br /> <br /> Et là où ça s'est fortement compliqué, c'est au lycée, puisque j'y ai redoublé ma seconde et que les passages suivants ont été "acceptés" (ah ah !) de justesse. Mais là, quant à savoir pourquoi : mon année d'avance ? (difficile d'arriver à 13 ans dans un univers de très grands), l'éloignement de ma cellule familiale (j'étais interne), l'inintérêt face aux enseignements ?<br /> <br /> Tiens, je pencherais plutôt pour ça étant donné qu'une fois arrivée à la fac, dans un cursus choisi par moi, je suis arrivée... major de promo !
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