Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog de Bernard Collot
Le blog de Bernard Collot
Derniers commentaires
9 avril 2023

1940-2021 (201) - Épilogue - III Les transports, la voiture

Les transports, la voiture.

 

voiture1   voture2

À Virignin dans le Bugey, seuls le boulanger et le boucher avaient une camionnette nécessaire pour leur commerce. Même l’infirmière faisait ses visites en vélo. Il y avait bien un autobus qui passait le jour du marché pour aller à Belley, le chef-lieu, mais si nous avions besoin de nous y rendre un autre jour comme aller à la pharmacie, c’était 20 km AR en vélo. Le vélo ce n’était pas pour faire du sport, c’était notre moyen de locomotion utilitaire ; ma grand-mère bressane faisait chaque semaine la quinzaine de km pour aller vendre ses poulets au marché de Vonnas, les volailles dans une cage sur la remorque attachée à son vélo.  Les voitures que nous voyions passer sur les routes étaient nécessairement celles de commerçants ou de riches.

Si dans le Bugey il fallait faire plus de vingt km pour prendre un train pour aller par exemple à Lyon, ce qui n’était arrivé qu’une fois dans ma vie d’enfant, dans beaucoup de petits villages il y avait une voie ferrée et sa petite gare à proximité. Lorsque je suis arrivé dans le Poitou à Moussac en 1975, la voie ferrée venait juste d’être désaffectée. Auparavant, un train ou une micheline assuraient plusieurs fois par jour les navettes entre Poitiers et Limoges, ils étaient même doublés les jours des grandes foires régionales. À Oradour sur Glane c’était un tramway qui faisait les 20 km qui séparaient de Limoges. C’était bien un apport de l’industrialisation et du progrès, mais c’est au nom du même progrès et d’une fausse rentabilité que ces voies ferrées ont été supprimées. L’énergie, les moyens et le temps qu’il avait fallu pour construire les ouvrages de ce quadrillage dont on voit encore les innombrables viaducs ont été gâchés au bénéfice d’un autre progrès, le développement industriel de la voiture.

voiture2

Il a fallu attendre que la situation financière de mon père s’améliore et qu’il monte en grade pour qu’à Chavanoz à une trentaine de km de Lyon, il achète en 1957 sa première voiture, une 4 CV. Mais ladite bagnole ne nous servait pratiquement qu’une fois l’an : pour partir en vacances dans les camps des PTT, ces vacances annuelles qui devenaient avec l’équipement des maisons le seul but de tous les travailleurs qui le pouvaient.

Et un nouvel esclavage commença. Au début de ces années 1960, nous n’avions pas besoin de voiture : il y avait encore l’épicerie pour les besoins courants et des cars passaient tous les jours si l’on ne voulait pas aller dans les magasins de Pont-de-Chéruy en vélo. D’ailleurs ma mère, comme la plupart des femmes, ne conduisait pas. Même pas besoin d’aller à Lyon dans les grands magasins : dans toutes les familles il y avait les catalogues des « Trois Suisses », de « La Redoute » ou de la Manufacture de St-Etienne, les ancêtres d’Amazon.

Dans ce qu’on a appelé « les Trente Glorieuses », les achats à crédit se sont développés. Avec l’inflation galopante, seule la première année de remboursement était difficile. Devenu instituteur, si ma première voiture avait été raisonnablement une 2 CV, très vite j’achetai avec un emprunt une puissante 404 ! La plupart des hommes, nous nous sentions puissants au volant, jouissions du plaisir d’être maitres d’un engin. La dodoche (2 CV) ne nous coûtait pas grand-chose, il n’y avait pas besoin d’être un mécano chevronné pour se débrouiller pratiquement en toute occasion avec une ou deux choses à savoir-faire. Avec la 404 cela a commencé à être un peu plus compliqué et le budget à consacrer à son entretien un peu plus important. Aujourd’hui, même les garagistes doivent demander à un ordinateur ce qui ne va pas. On a pu croire que le contrôle technique obligatoire n’était que pour assurer la sécurité des véhicules qu’on te disait de plus en plus fiables, bizarrement il ne suffit plus d’avoir des freins et des pneus en état, chaque année se rajoutent d’autres choses qui ne vont pas même si ta voiture continue à pouvoir rouler, à se demander quel avait été le progrès tant vanté.

voiture3

Dans les années 1950, il y avait la célèbre Nationale 7 chantée par Charles Trenet. Pendant les vacances il y avait bien des bouchons puisque c’était la grande direction des campings du soleil, mais elle traversait villes et villages où tu pouvais t’arrêter un moment à une terrasse, on avait le temps de regarder le paysage, de s’arrêter pour faire pipi...

Années 60, nous délaissâmes la nationale puisqu’il y avait l’autoroute… et les premiers péages. Nous les payions sans trop rechigner : de tout temps les routes et les chemins avaient été l’affaire de l’État ou des collectivités locales, les Ponts-et-Chaussées s’occupaient de tout, étaient un service public, comme la poste au service des usagers, leur objectif n’était pas de faire du profit, c’étaient nos impôts qui nous en faisaient bénéficier.

voiture7

Que ceux qui prenaient ces autoroutes y  participent un peu ne semblait pas anormal puisqu’ils n’y étaient pas obligés. Et puis… vous connaissez la suite et l’histoire des privatisations ! 

À quoi nous servait-elle cette autoroute dite du soleil ? À gagner un peu de temps, à ne plus être ralenti dans les traversées des villages et des villes, et puis à aller vite. L’argument de vente des différentes marques d’automobiles était surtout la puissance du moteur. Votre voiture vous permettait de rouler à 180 km/h ? Vous rouliez donc aux alentours de 150-160 km/h en ralentissant de temps en temps pour laisser refroidir le moteur. Cela vous demandait juste d’être un plus concentré et vous n’aviez plus trop le temps de regarder le paysage. D’ailleurs, le paysage vous ne pouviez pas en voir grand-chose, en dehors du ruban d’asphalte qui se déroulait devant vous entre les bords aménagés qui obstruaient la vue. Quant aux terrasses où se goûtait le premier parfum des vacances, c’étaient des aires toutes standardisées où l’on s’entassait le temps de midi. Je ne sais pas si à cette époque il y avait plus d’accidents que de nos jours : on ne nous communiquait pas les statistiques, d’ailleurs y en avait-il ? Toujours est-il que les limitations de vitesse qui ont été imposées ont été un bien. Au début de ces limitations, il suffisait de repérer de loin les estafettes de la gendarmerie pour ralentir un peu, de toute façon la maréchaussée jugeait au pifomètre si tu allais vraiment trop vite. Et puis, arrivée des radars de plus en plus perfectionnés ; même plus besoin de gendarmes, aujourd’hui tu reçois automatiquement l’amende qui t’indique où, à quelle heure tu as dépassé la limitation, si bien que, ou tu roules l’œil rivé sur ton compteur de vitesse, ou tu as une voiture récente à qui tu peux dire de ne pas dépasser telle vitesse.

 Mais alors se pose une question : pourquoi les bagnoles sont-elles toujours aussi puissantes et de plus en plus sophistiquées et chères puisqu’elles n’ont plus d’utilité, en ont de moins en moins lorsque les vitesses autorisées ne peuvent déjà plus dépasser 110 km/h sur les routes à quatre voies, 80 km/h sur les autres ? Une simple 2 CV qui consommait moins que toutes les autres voitures, qui était décapotable, qui était increvable, remplirait la plupart de tous nos besoins ordinaires.

voiture5_1

Passer le permis de conduire était très simple, n’obligeait même pas de payer les coûts d’une auto-école, quant au Code de la route il n’y avait pas besoin de passer des jours à apprendre par cœur une kyrielle de panneaux et les réponses à des questions parfois saugrenues. L’essentiel était de connaitre les panneaux de sens interdit et la priorité à droite, de savoir faire un créneau, ce qui était vérifié au cours du passage de la conduite. C’est vrai que pour l’obtenir, certains comme mon père graissaient un peu la patte aux inspecteurs, n’empêche qu’il n’a jamais eu le moindre accident ! Aujourd’hui, le passage de l’examen de conduire et le stress et le bachotage qui l’accompagnent ressemblent à l’épreuve du bac et surtout nécessitent un petit investissement : à 18 ans il vaut mieux avoir des parents aisés qui le permettent. Je ne dis pas que, vu ce que sont devenus le trafic routier et la complication des infrastructures routières, ce ne soit pas aujourd’hui nécessaire à la sécurité, voire à rendre possible de rouler sans perturber toute la circulation.

Si toutes les limitations de vitesse sont plus que raisonnables, paradoxalement si vous roulez tranquillement en dessous de ces limitations, vous n’arrêtez pas d’être klaxonné par ceux qui vous suivent qui eux doivent arriver pile poil à l’heure du boulot ou aller chercher leurs mômes à l’école et vous avez une file de voitures aux chauffeurs énervés qui vous suivent. Même pour vous arrêter pour faire pipi, sur les autoroutes il faut le prévoir pour que votre vessie puisse vous laisser tranquille d’une aire à une autre, sur les petites routes vous ne pouvez plus vous garer n’importe où sans que vos roues ne basculent dans le fossé à ras du goudron qui les draine.

C’est avec ce qu’on appelle les aménagements routiers que j’ai vu se transformer le plus les paysages. Lorsqu’il m’est arrivé de repasser ensuite dans les villes où j’avais été, je ne reconnaissais absolument plus rien : ronds-points, échangeurs monstrueux où parfois tu ne sais plus comment tu vas en sortir, périphériques, sens obligatoires… Lorsqu’auparavant une adresse et une carte vous permettaient d’arriver à bon port, maintenant sans GPS qui vous guide vous êtes perdus. D’ailleurs je ne sais plus si beaucoup savent encore se servir d’une carte en dehors de quelques randonneurs, mais eux aussi ont des GPS au poignet. Je connais des personnes qui font des centaines de km sans trop savoir où elles sont exactement.

Très vite cette satanée voiture devint une obligation. Nous avions fait disparaître les petits commerces de proximité en n’y allant plus. Nous montions de moins dans les transports en commun qui de ce fait disparaissaient de toutes les zones rurales. Comme nous les instituteurs avions tous une voiture, l’administration ne se privait plus de nous convoquer au chef-lieu de circonscription ou de département. Comme une prothèse, nous ne pouvions plus nous en passer. Nous ne nous rendions pas compte qu’en n’ayant plus à nous soucier des distances, nous devenions des prisonniers d’une boite métallique et des handicapés moteurs ainsi que des prisonniers de l’horloge. Il a fallu attendre aujourd’hui pour s’apercevoir que la voiture était devenue le problème n° 1, surtout des salariés obligés d’en avoir une pour se rendre au travail. En somme, le système économique demande absolument le déplacement quotidien du bétail humain des travailleurs à qui on demande, en plus, d’en assurer eux-mêmes son coût en même temps que le coût des dégâts que cela provoque : on lui fait payer une taxe carbone et on l’oblige à se débarrasser de sa vieille voiture à essence pour en acheter une électrique bien plus chère… quand on sait parfaitement que la production de l’énergie électrique est déjà un autre problème. Les taxes sur l’essence sont probablement ce qui alimente le plus les caisses de l’État, cela a été la goutte qui a fait déborder le vase des Gilets jaunes.

Même le vieux retraité que je suis aujourd’hui a besoin d’avoir une voiture sinon il ne pourrait pas chercher sa baguette de pain (18 km AR), amener ses déchets jusqu’aux containers de tri (4 km AR) ou à la déchetterie (20 km AR), faire ses courses courantes, aller à la pharmacie, chez le médecin (14 km)… Et j’habite dans une région rurale à forte densité de population ! 

Il n’y a pas que les écolos qui nous rabâchent qu’il faudrait moins utiliser la voiture comme si nous étions responsables (coupables !) de ses méfaits. Mais on se garde bien d’envisager que c’est LE système (qui englobe tous les systèmes) qui nous l’impose et que c’est lui dont il faut sortir, au plus vite.

Prochain chapitre : l'argent - chapitres précédents

Commentaires