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Le blog de Bernard Collot
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11 avril 2023

1940-2021 (202) - Épilogue - IV L'argent

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Autrefois les très riches étaient millionnaires et on se demandait bien ce qu’ils pouvaient faire de tous ces sous. Aujourd’hui les mêmes sont multimilliardaires (un milliard = mille millions !).

« Un sou est un sou », cela a été la philosophie économique de mon enfance ou rien ne devait être gâché, même pas les miettes dans l’assiette qu’il fallait essuyer soigneusement avec un bout de pain. Mais un sou, on le voyait ! On pouvait voir le tas de pièces et de billets augmenter ou diminuer dans la boite en fer ou dans sa poche. Les possibilités d’achat dépendaient de ce tas. Dans les transactions avec les maquignons, l’affaire se concluait par un « Top là ! » et par le comptage des billets passant d’une main à l’autre. Seul problème, il ne fallait pas les perdre ou avoir une poche percée, au sens propre comme au sens figuré. Presque personne n’avait de compte en banque, en dehors des commerçants et des artisans ou des… capitalistes. La seule banque que nous utilisions parfois était la poste : pour faire une commande et être livré par la Redoute ou les Trois Suisses, il fallait aller à la poste et faire un mandat postal : vous donniez au guichet les « sous » correspondant à l’achat et en échange vous aviez un mandat postal que vous pouviez joindre dans l’enveloppe de la commande et envoyer le courrier… encore par la poste. Pour toucher leurs salaires à chaque fin de mois, les salariés attendaient leur tour pour recevoir la poignée de billets correspondants. Le terme « économie » n’avait pour nous d’autre sens que faire des économies, c’est-à-dire de moins dépenser pour un futur proche. Les banques ne se voyaient qu’en ville.

Il y avait bien la caisse d’épargne qui permettait de ne plus avoir à entasser vos économies entre les piles de draps d’une armoire pour ne pas vous les faire voler, de déposer vos sous, encore à la poste, et d’aller retirer à nouveau des billets avec votre livret d’épargne lorsqu’il y avait besoin de puiser dans vos économies. Naïvement, on pouvait même croire que tout était entassé et dormait dans le coffre-fort de la poste en nous attendant. Le « compte-courant » obligatoire est probablement d’abord apparu pour les fonctionnaires et ce n’est qu’à la fin des années 1960 que les femmes ont pu avoir le leur sans autorisation maritale.  C’est lorsque je suis devenu instituteur que j’ai eu ce premier compte-courant puisque les salaires nous y étaient versés, et mon premier carnet de chèques. Les banques proposaient d’ouvrir ce compte-courant chez elles plutôt que chez leurs concurrentes, leurs agences se développaient dans toutes les petites villes ou grosses bourgades sans que l’on comprenne vraiment quel intérêt nous pouvions avoir à choisir l’une plutôt que l’autre. Les « sous » perçus n’étaient plus que le chiffre indiqué sur des relevés de compte, reçus par courrier. On ne voyait plus un tas de sous augmenter ou s’amenuiser au jour le jour. Il fallait quand même aller en retirer pour toutes les dépenses ordinaires, même quand les moyennes ou grandes surfaces commerçantes se sont développées... Donc, tu avais besoin d’argent liquide ( de l'argent qui te coule entre les doigts !) ? Tu allais en retirer, si tu n’en avais pas assez, tu le découvrais trop tard lorsque tu avais un « découvert » qui lui-même accentuait le trou que tu aurais à combler. Que de mots nouveaux avons-nous eus besoin d’apprendre ! Mais les chèques étaient bien pratiques pour les gros achats.

En 1940, nous comptions en francs. Puis en 1960, ce fut des « nouveaux francs » ! Le passage n’a pas été une gymnastique trop difficile puisque 1 F ancien était devenu 1 centime de nouveaux francs. Comme les centimes d’anciens francs n’existaient plus, les commerçants devaient bien arrondir l’ancienne somme au chiffre supérieur, mais cela n’allait pas plus loin. Il ne fallait quand même pas trop se mélanger les pinceaux lorsque l’on payait sa baguette, ne pas donner une pièce de 2 F au lieu des 2 centimes qu’ils étaient devenus ! Et puis en 2 002, le passage à l’euro a été beaucoup plus difficile. Le ministère des Finances avait mis le paquet : ma compagne pour se faire un complément de ressource avait accepté pendant ses temps de loisirs de faire partie de celles et ceux qui allaient partout animer des ateliers de passage à la nouvelle monnaie. À cette occasion, elle s'aperçut que les plus vieux qui s'étaient farci des années de calcul mental à l'école étaient moins brillants que les moins âgés qui eux avaient parait-il "subi" les horribles "maths modernes" où l'on n'apprenait même plus par coeur les tables de multiplication !

Cette fois la comparaison avec ce que l’on payait avant en francs n’était plus du tout évidente, de là à dire que beaucoup en profitaient…

Les cartes bancaires ne se sont vraiment généralisées qu’à partir des années 2 000, je ne me souviens plus quand j’ai eu ma première. Comment ne pas apprécier ce qui simplifiait considérablement la vie : même plus besoin d’avoir un stylo pour remplir un chèque, tu pouvais remplir un caddy sans trop savoir son coût, passer à la caisse sans même trop savoir si tu avais exagéré. Le progrès technologique aidant (encore lui !) avec les codes-barres ce devint encore plus rapide, les caissières elles-mêmes n’avaient qu’à faire glisser vos emballages devant la cellule, qu’à vous demander d’insérer votre carte, in fine même plus d’avoir à vous demander de taper un code, et vous ressortiez sans trop savoir s’il vous restait beaucoup pour finir le mois jusqu’au jour ou un robot vous annonçait que vous n’aviez plus ces fameux sous (« paiement refusé ! ») et qu’il fallait laisser votre caddy dans le magasin. Aujourd’hui, il est impossible de se dispenser de cette carte, même le paiement par chèque est de plus en plus refusé. On nous annonce pour bientôt la fin des pièces et des billets sous prétexte que cela sera bien plus pratique, en réalité ce sera la fin définitive de tout ce qui peut échapper aux déclarations comme le travail au noir, fini aussi les pourboires aux terrasses, mais j’ai constaté depuis longtemps que ce n’étaient pas les riches qui donnaient des pourboires, mais ceux qui savaient qu’être servi pour le même maigre salaire qu’eux, avec en plus un sourire, était un don qui n’avait pas de prix.

Ma mère me disait toujours « N’achète que ce que tu peux acheter ! ». On clame aujourd’hui les méfaits de ce qui est la société de consommation, mais nous y avions bien été conduits, entre autres par la technologie qui nous a fait perdre toute visibilité aussi bien sur ce que nous pouvions que sur ce que nous voulions. Et puis, avec le crédit à la consommation, pourquoi se priver ! Acheter à crédit paraissait différent d’avoir à emprunter et à rembourser, une société de crédit ne semblant pas être une banque. Que de gadgets inutiles avons-nous pu acquérir ! Ceux qui avaient acheté une maison avec un emprunt croyaient en être devenus les propriétaires… jusqu’au jour où les revenus devenant insuffisants pour les remboursements, ils s’apercevaient alors que leur maison appartenait encore à la banque qui les en éjectait. Sans le savoir, nous étions devenus la propriété des banques. En même temps nous devenions de plus en plus soumis au monde du travail avec la peur du licenciement et la menace du chômage.

On ne sait plus trop ce qu’est l’argent depuis qu’elle n’est plus des pièces d’or ou d’argent, « sonnantes et trébuchantes ». Il y avait bien eu dans l’histoire celle du système Law qui aurait pu commencer à nous éclairer. Sous Louis XV, il avait créé la « banque générale » et tout le monde avait été incité à y déposer son or en échange d’une monnaie papier qui devait représenter la valeur de ce qui était déposé. Bien plus pratique à utiliser que des pièces ! On pouvait imaginer que l’or était conservé et entassé dans les coffres de la banque. Lorsqu’il y a eu un doute et que beaucoup se sont mis à vouloir récupérer leurs pièces, on s’aperçut qu’il n’y en avait plus assez dans les coffres et que les billets ne valaient plus grand-chose. Pardi ! Il était bien trop facile à la banque générale d’émettre beaucoup plus de billets que ceux qui devaient représenter les dépôts et d’utiliser l’or des déposants pour les affaires royales et autres.

Aujourd’hui, c’est bien pire et je ne sais pas si beaucoup peuvent comprendre ce que nous racontent les ministres des Finances, ce qu’est ce système monétaire et sur quoi il repose, en tout cas pas moi. Autrefois lorsqu’on empruntait une somme à un ami, on savait qu’il la sortait de sa poche et qu’il fallait qu’on la lui rende lorsqu’on pouvait, c’était une dette. On pouvait avoir des intérêts à payer si ce n’était pas à un ami qu’on avait emprunté, mais si pour 1 000 F on devait rembourser 1 100 F, les 100 F supplémentaires devaient bien aussi sortir de notre poche. Aujourd’hui, lorsqu’on emprunte à une banque, on croit encore qu’elle nous prête une somme qu’elle possède, comme dans le système Law mais en bien plus pervers. L’argent est devenu quelque chose de totalement fictif manipulé et fabriqué au gré des financiers et des États suivant leurs intérêts… avec l’aide des ordinateurs. Aujourd’hui ce qu’est notre vie dépend des « marchés financiers ». Voilà que l’on vend et achète… de l’argent, mais en modifiant sa valeur pour ceux qui en ont besoin ! On peut même vendre de l’argent que l’on n’a pas et bien d’autres choses cruciales comme le blé ou le pétrole, les fameux traders peuvent devenir millionnaires en restant connectés tous les jours par leurs ordinateurs à ce soi-disant marché qui n’a rien à voir avec le marché du village où l’on vend ce que l’on produit et où on achète avec ce que l’on a. Avec les ordinateurs il se fabrique même des monnaies concurrentes et toutes aussi virtuelles, comme le mystérieux bicoint, que tu échanges contre beaucoup plus de dollars ou d’euros si tu le fais au bon moment.

On nous brandit sans cesse la dette publique et c’est en son nom qu’on nous impose de nous serrer la ceinture, qu’on nous explique que le travail que nous fournissons ne peut pas être rétribué à sa juste valeur alors que c’est lui qui fait la richesse d’un État et des entreprises. Bizarre quand même que cette dette publique, empruntée par des États sur des marchés financiers qui ne sont rien d’autre que ce que les États permettent ou contrôlent, ne puisse être effacée par simple décision des mêmes États. On nous dit même que cette dette publique ne sera jamais remboursée et que seuls les intérêts à payer seront perpétuels. Mais voilà, les besoins nécessaires à la vie individuelle et collective ne sont plus, parait-il, assurés par le travail et sa mise en commun mais par l’espèce d’ectoplasme financier totalement virtuel qui régit toute la planète (mondialisation). On ne sait pas d’où sort l’argent lorsqu’il s’agit de construire des porte-avions nucléaires ou d’envoyer des bombes ou des canons à un pays en guerre, on ne sait pas pourquoi il n’y en a plus ou pourquoi il a disparu lorsqu’il s’agit des caisses des retraites. Régulièrement le ministre des Finances nous fait une leçon à la télé pour nous démontrer par a + b que nous sommes des imbéciles et qu'il faut lui dire merci.

Pas facile de faire une révolution lorsqu’on ne comprend plus rien à l’irrationnel auquel on nous fait croire que l’on doit se soumettre. Mais plus c’est incompréhensible, plus on doit s’y soumettre. Notre président actuel a été un brillant banquier ! Suis-je complotiste ? [1]

Prochain chapitre : du téléphone au smartphone - chapitres précédents


[1] Jouons à l’économiste ignare. On aurait pu imaginer que la masse de monnaie nécessaire et circulant dans un pays vivant en autarcie corresponde à la masse de ses besoins, du travail à salarier ou des échanges à effectuer (commerce). On peut supposer que la naissance des monnaies a remplacé le troc qui n’était pas toujours pratique : « Je t’échange ma vache contre deux chèvres. – Zut ! Je voudrais bien ta vache mais je n’ai pas de chèvres, mais j’ai des ruches – Je n’ai pas besoin de ruches. Dommage ! » Si les valeurs de chaque chose dont on a besoin et celles du travail pour les produire étaient fixées (« 1 vache vaut 4 €, une chèvre vaut 2 €, une ruche vaut 1 € ») la masse de monnaie correspondante émise par une banque centrale pourrait augmenter quand les besoins ou les nouveaux objets ou services produits augmentent. Il n’y aurait donc pas d’inflation ni de dette publique. C’est un peu me semble-t-il le principe des monnaies locales. D’abord ce serait trop simpliste et ce serait du parfait communisme, ensuite il y a belle lurette qu’aucun pays ne vit plus en autarcie ! Mais ça fait du bien de rêver !

 

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