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Le blog de Bernard Collot
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22 avril 2023

1940-2021 (208) - Épilogue - X Les services publics

« Un ensemble d'activités dont le but est de satisfaire des besoins collectifs »

Autrement dit tout ce dont chaque membre d’une communauté a besoin et qu’il ne peut assurer lui-même est assumé par la communauté tout entière et ne peut être ce que lui fait payer une entreprise privée : son eau, ses routes, ses transports collectifs, une école pour ses enfants, etc. En principe l’impôt est fait uniquement pour cela. Ces activités ne peuvent être liées à du commerce et procurer des bénéfices. Il y a la notion de services et de biens communs. Je ne vois pas comment rationnellement on peut contester cela.

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De par le métier de mon père, postier, et le mien d’instituteur de l’école publique, j’ai baigné dans cette notion. Comme tout le monde mon père avait beaucoup de défauts, mais pour lui la notion de service public, être au service du public était sacrée, comme pour tous ses collègues qui constituaient une sorte de famille et ils ne cessaient de parler entre eux de la poste, même en vacances dans les camps de PTT. C’était pareil pour tous les autres services publics, les cheminots, conducteurs de locomotive, étaient même connus pour l’amour qu’ils portaient à leur machine pour qu’elle soit toujours prête à partir à l’heure. Au fur et à mesure que son âge avançait et qu’il montait en grade, le métier se compliquait, s’y ajoutaient de multiples obligations, mais je ne l’ai jamais entendu s’en plaindre : c’était ce qu’il devait au public. Si je prends l’exemple des instituteurs, en particulier des instituteurs ruraux, nous prenions sans nous poser de questions des charges comme la surveillance et la gestion des cantines et bien d’autres choses, ce qui ne nous était absolument pas demandé par l’Éducation nationale ni ne faisait partie de notre salaire mais nous semblait faire partie d’un service que nous devions aux enfants et à leurs familles.

Un service public devait évidemment être accessible à tous, c’était dans sa définition. Tout le monde devait pouvoir téléphoner, prendre le train, avoir l’électricité, se faire soigner à l’hôpital, envoyer ses gosses à l’école, avoir l’eau à son robinet, rouler sur une route en bon état, etc. Un service public n’avait pas de clients mais des usagers pouvant y accéder gratuitement ou à moindres frais. Dans les années 1990, les postiers avaient bien accepté le découpage des PTT entre La Poste et France Télécom qui devait rendre plus efficaces (et non pas rentables !) les deux services. Par exemple, il n’y avait pas très longtemps à attendre pour qu’une ligne téléphonique soit installée où que l’on soit et sans coût supplémentaire aussi éloigné soit-on.

Logiquement quel outil possède un pays pour assurer ces besoins communs ? Normalement cet outil est l’État. « l'État peut être considéré comme l'ensemble des pouvoirs d'autorité et de contrainte collective que la nation possède sur les citoyens et les individus en vue de faire prévaloir ce qu'on appelle l'intérêt général, et avec une nuance éthique le bien public ou le bien commun ».

Mais l’État est surtout l’outil au service des gouvernements. Les dépenses qu’il faisait pour bien d’autres raisons que l’intérêt commun ont fait qu’il lui est apparu que les services publics coûtaient trop cher à son budget et qu’il fallait qu’ils deviennent rentables. Les usagers sont devenus des clients.

 

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Puisqu’il s’agissait alors de clients, plus rien n’empêchait l’État de se débarrasser de cette charge et cela a été la valse des privatisations. « Vous verrez, avec la concurrence tout le monde sera gagnant », nous disait-on. Dans ce qui restait encore public et que l’on ne cessait de compresser et d’en réduire les moyens, fini le temps où ses employés trouvaient leur satisfaction dans l’appréciation de leurs compétences par celles et ceux à qui ils rendaient le service attendu. Comme pour la plupart des autres travailleurs, le sens premier de ce qu’ils faisaient était plus ou moins perdu. Sur la fin de sa carrière, mon père a été miné par cet abandon de la vraie notion du service public qu’il ne pouvait plus vraiment assurer et nous le trouvions chaque fois dans un état dépressif.

 

Même dans ce qui est directement au service de l’État comme les perceptions qui disparaissent de tous les chefs-lieux de canton, nous n’avons plus comme interlocuteurs que les robots sur lesquels vous tombez au téléphone ou les clics infernaux sur des ordinateurs ou smartphones. Ce qui n’empêche que par le numérique vous êtes encore plus contrôlé qu’autrefois.

Disons-le carrément : le service public n’existe plus en France ! C’est aussi une revendication qui n’est apparue qu’assez tardivement. La première manifestation a eu lieu en milieu rural à Guéret en 1995 qui avait abouti à un moratoire, pour deux ans seulement, sur ces suppressions dans les communes de moins de 2 500 habitants. C’est à cette occasion que nous avions pu faire inclure les petites écoles dans ce moratoire... qui n’a pas duré longtemps.

 

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Un service public devait être nécessairement dans la proximité de ceux qui en avaient besoin. Chaque commune devait avoir une ou plusieurs écoles suivant sa taille. L’école était publique et communale. Or, dès 1989, l’éradication des classes uniques et des petites écoles rurales a été entreprise sous prétexte du bien des enfants et de la modernité. Rationalité du travail scolaire dans la chaîne tayloriste du système éducatif ! En réalité il s’agissait bien d’abord « d’économie d’échelle », dont on n’a cessé de nous rabâcher les oreilles. Si certains maires étaient ravis de ne plus avoir à charge leur école, en fait d’économies il a été prouvé qu’en réalité cela n’avait été qu’un transfert des charges de l’État aux collectivités territoriales (transports, restauration scolaire), sans compter les coûts sur la santé enfantine occasionnée par la fatigue des journées prolongées par les déplacements jusqu’au chef-lieu et dénoncés en vain par le docteur Guy Vermeil. Sur le plan des apprentissages, l’accentuation des échecs scolaires date à peu près du même moment même si cela n’a pas été la seule cause. Nous avions beau démontrer et prouver que nos petites écoles étaient en tous points favorables aux enfants, rien n’y a fait, pas plus que les protestations de nombreux parents d’élèves (tome 8). Cette éradication n’a pas cessé et même été rendue plus facile avec les communautés de communes. En 2 018 les communes encore récalcitrantes ont bien été obligées de l’accepter dans des départements où les petites écoles étaient encore nombreuses sous le chantage de voir réduire le nombre de postes d’enseignants attribué à ces départements.

Dans la sphère des enseignants du public, il a toujours été brandi, surtout dans les années 2 000, le danger de la privatisation menaçant l’école publique pour tous, fondement de la République et de la Nation, ce qui avait bien été la raison de sa création après avoir été le fondement d’une monarchie catholique (Guizot 1830). Or ce n’est bien que dans ces dernières années, avec l’apparition du développement des écoles alternatives, que j’ai à nouveau beaucoup entendu prononcer cette crainte, même parmi les plus progressifs qui militaient pour une autre école. Depuis la manifestation géante de l’école privée (catholique !) à Paris en 1984, on n’entendait même plus « à l’école privée fonds privés, à l’école publique fonds publics ! » ; l’État lui s’était toujours accommodé d’une école privée catholique puisqu’il rétribuait lui-même les enseignants de ces écoles sous contrat et que les municipalités pouvaient les subventionner. Pourtant l’immense majorité des écoles alternatives apparues dans les années 2000 étaient profondément laïques, elles recrutaient essentiellement des familles qui ne trouvaient pas dans leur proximité une école avec des pédagogies dites nouvelles et dont les enfants étaient en souffrance dans l’école publique à la pédagogie classique. Toutes ne demandaient qu’à être intégrées au système éducatif comme l’avait été l’école Freinet de Vence ou être au moins sous contrat. Il est vrai qu’elles ne se prétendaient pas républicaines mais démocratiques, au service de l'épanouissement des enfants.

L’école est bien le seul monopole sur un service public que l’État tient à conserver, tout en amenuisant ses moyens, tout en acceptant bizarrement l’école privée catholique.

 

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C’est le développement de ces écoles alternatives qui l’a inquiété : il risquait de perdre la mainmise sur l’éducation devant conduire aux citoyens dont sa république et l’économie de marché avaient besoin, même si ce n’était plus des sujets de sa majesté comme en 1830. Bien sûr ce n’est pas cela qui a été évoqué. En 2 016, la ministre Najat Vallaud-Belkacem a été la première à mettre beaucoup de contraintes à la création des écoles alternatives comme à l’instruction en famille. Sa préoccupation (ou son prétexte) était que ne se développe pas par cet intermédiaire le radicalisme religieux, évidemment l’intégrisme musulman.

 

 

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Son successeur, Jean-Louis Blanquer ne s’est pas embarrassé de prétextes pour accentuer encore toutes ces contraintes en n’autorisant quasiment que les écoles alternatives qui étaient semblables à l’école publique (perdant alors tout intérêt) en allant jusqu’à rendre pratiquement impossible la liberté d’instruction dans les familles. Je ne pense pas que le service public de l’Éducation nationale ait beaucoup gagné à cela en rendant l’école publique obligatoire et non plus l’instruction, comme le service militaire qui lui n’existait plus, si ce n’est de crisper encore plus une frange des citoyens.

 

 

Ce n’est bien qu’avec les Gilets jaunes, puis au moment où j’écris ces lignes dans les manifestations contre la réforme de la retraite, que cette détérioration de tous les services publics est perçue comme une volonté délibérée des pouvoirs pour favoriser l’emprise du capitalisme sur tout ce qui fait la vie ou la survie.  

 L’État rappelle comme jamais aux employés de ces services publics qu’ils sont des fonctionnaires, c’est-à-dire au service de leur employeur, lui, et pas au service du public. Dans l’Éducation nationale, les premiers enseignants qui se sont proclamés désobéisseurs en 2010 pour ne pas appliquer les évaluations nationales néfastes aux enfants ont été immédiatement sanctionnés.

 

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En engageant le démantèlement et la privatisation de leurs services publics, les gouvernements affaiblissaient aussi la force de leurs syndicats. Ceux-ci, avec un ou deux autres syndicats comme ceux des mineurs ou des raffineries, ont toujours été les fers de lance des grandes contestations sociales : en effet, ils étaient ceux qui pouvaient le plus facilement mobiliser leurs adhérents dans de grandes grèves nationales paralysant l’économie puisque, a contrario, leur statut de fonctionnaire empêchait les licenciements. À l’heure où j’écris ces lignes, le gouvernement a été très surpris qu’ils réussissent à mobiliser autant de monde contre la réforme des retraites.

Il a fallu la crise du COVID pour que tout le monde se rende compte d’une part que des services publics comme le service hospitalier avaient depuis des années été privés de leurs moyens, d’autre part qu’ils étaient d’une importance cruciale pour les populations. Est-ce pour cela que le gouvernement a réorienté la répartition de ses dépenses ? Pas du tout ! En 2023, le seul budget qui a été carrément doublé a été celui des armées. L’État n’avait, parait-il, pas les moyens pour le reste sans augmenter la dette publique. Je suis toujours sidéré par le fait que les explications complètement incohérentes de nos gouvernements ne provoquent pas immédiatement des levées en masse.

 

 Le leitmotiv de ces politiques est sans cesse «Les services privés sont bien plus efficaces que les services publics qui eux ne savent pas gérer ! » et puis ce serait l’Europe qui impose la privatisation pour qu’il y ait une soi-disant libre concurrence. L’autre prétexte invoqué est l’économie d’échelle pour toujours en diminuer les coûts avec la suppression de toutes les antennes locales comme par exemple les maternités, la poste, les écoles… En somme, ce serait pour notre bien ! 

Prochain chapitre : Les réglements, les contrôles, la surveillances -  chapitres précédents

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