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Le blog de Bernard Collot
Le blog de Bernard Collot
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22 mai 2006

L'école, cabane à lapins

Je viens d'amener Martin, 5 ans et demi, à l'école. Petite école d'un RPI rural (regroupement pédagogique intercommunal), une classe, grande section (5ans) et CP (6ans).

Chaque matin je suis effrayé par la tristesse de cette cour goudronnée, où le marronnier a quand même dû échapper à la suppression de tout ce qui pourrait salir parce qu'il ombrage quand même l'entrée de la mairie. Les vieux WC ne sont plus utilisés lorsque l'adjonction de la section enfantine a imposé l'installation de sanitaires à l'intérieur, mais ce n'est pas pour cela qu'on a essayé d'en faire autre chose : ils sont restés tel quel ! l'odeur a juste disparu. Une triste cabane en plastique défraîchi qui se traîne au milieu de la cour, drôle d'endroit pour se réfugier, est le seul "aménagement" pour ce lieu de petits. Et que dire du préau poussiéreux en plein courant d'air... Un désert bitumé en miniature.

Cour de récréation ! drôle de récréation quand, par exemple, c'est le seul endroit où des petits de 5 et 6 ans doivent attendre l'heure de l'interclasse pour ceux qui mangent à la cantine. Qu'il pleuve, vente ou gèle à pierre fendre !

Il ne s'agit pas d'un cas particulier, tout le monde le sait. Aussi incroyable que cela puisse paraître, les lieux dans lesquels sont captifs(1) nos enfants, parfois dès l'âge de 2 ans et en général jusqu'à 18 ans, ceci de parfois de 7H30 du matin à 18 heures le soir, c'est à dire une immense partie de leur vie en construction, ces lieux n'interrogent personne ! Quand on commence à voir les conséquences des entassements verticaux urbains, personne ne voit les cabanes à lapins où l'on entasse nos enfants. Quand je dis personne, cela veut dire même pas les défenseurs patentés des enfants, même pas les chantres des pédagogies nouvelles, même pas les penseurs de l'éducation ayant pignon sur rue... et même pas la majorité des parents !

On proteste justement quand les prisonniers ne disposent pas de plus 4 ou 5 m2 dans leurs cellules mais on ne dit rien quand il y a beaucoup moins d'espace (2) par enfant qui purge lui une scolarité de près de 15 ans ! Qui ne connaît les interminables couloirs des bâtiments scolaires desservant parfois plus d'une dizaine de salles alignées comme des cellules.

Il ne paraît pas incongru dans une entreprise, une administration, une mairie, une gendarmerie d'installer des coins de détente, de pose café, des fauteuils, des espaces fleuris, des coins promenades... et même des salons de massage ou autres salles de télé pour voir la coupe de monde de foot. Il est même reconnu que c'est essentiel pour la rentabilité de l'entreprise ! Mais quand cela concerne nos enfants, les conditions du XIXème siècle dans lesquelles l'Etat les oblige à vivre n'émeut personne. On s'étonne juste quand ils n'ont plus envie d'aller à l'école ou que la violence explose dans les cours.

Vous me direz qu'en banlieue par exemple les conditions de l'habitat quotidien ne sont pas mieux que celles de l'habitat scolaire. On connaît très bien les conséquences de cet habitat indigne du XXIème siècle. Mais il ne vient pas à l'idée que l'habitat scolaire provoque aussi des conséquences tout aussi graves. Il ne vient pas à l'idée que pour ces enfants là il faudrait qu'au moins l'aménagement de l'espace scolaire compense un peu ce qu'ils doivent subir en raison des conditions de logement, parfois de non logement, de leurs familles. On va chercher des solutions dans des concepts savants comme la discrémination positive, on ne voit pas ce qui crève les yeux... et ne coûterait finalement pas très cher : transformer l'aspect des écoles qui sont qu'on le veuille ou nom des lieux ou se construit la vie d'enfants et d'adolescents, scinder tous les gros établissements en petites structures à taille humaine si ce n'est à taille d'enfants ou d'adolescents (3).

C'est bizarre, mais c'est une revendication probablement trop simple que l'on n'a jamais entendue au cours de ce que l'on a appelé pompeusement "débat national sur l'école". On ne l'entend dans aucune bouche de "responsables" politiques ou militants (parents d'élèves, mouvements pédagogiques...), on ne la lit sous aucune plume de nos grands penseurs philosophiques ou spécialistes.

En tous cas, j'ai commencé à essayer d'en parler avec mes collègues parents d'élèves de cette petite école. Au début j'ai bien vu à leur tête que je proférais comme une sorte d'incongruité. D'abord, ils l'avaient toujours connue comme ça cette école, même du temps où ils y étaient, même du temps où leurs parents y étaient ! Et puis l'important c'est la lecture, les notes, les résultats..., la cour n'y est pour rien. Comment d'ailleurs la cour pourrait y être pour quelque chose, dites-moi voir(4) ? Et puis quand même, insidieusement, le regard commence à changer. La commune dépense beaucoup d'argent pour fleurir le tour de son église, de sa mairie (les conseillers ont fait refaire la salle du conseil et changer les sièges pour des fauteuils plus confortables pour poser leurs fesses deux ou trois heures maximum par an), alors pourquoi les enfants du village, eux aussi, n'auraient-ils pas aussi droit à un peu de couleur ? Pourquoi leurs dos s'éreintent encore sur des bureaux datant d'une centaine d'années alors que plus personne ne s'asseoit encore sur un banc de ferme ? Le jardin scolaire qui est fermé et inutilisable depuis la fin du certif ne pourrait-il pas être réouvert pour offrir un espace où l'on puisse planter des fleurs, voire des légumes, se rouler dans l'herbe au lieu de se peler régulièrement genoux et coudes sur le bitume récréatif ?

C'est long pour que fasse son chemin une idée toute simple, de bon sens comme on nous dit seulement quand cela va dans le sens qui arrange.

 

(1) Non seulement la "peine" est obligatoire mais ni eux, ni nous parents n'avons la possibilité, dans le cadre de l'école publique, de choisir le lieu où elle "s'exécutera".

(2) Des calculs ont été faits et dans certaines classes l'espace disponible par enfants, hors des meubles, est de moins de 1 mètre carré. L'espace minimum nécessaire à un prisonnier fait l'objet d'une législation, pas l'espace nécessaire à l'enfant (à une époque seul le volume d'air était précisé !)

(3) Je reviendrai sur ce problème de la taille des structures scolaires.

(4) La cour est-elle pour quelque chose dans l'apprentissage de la lecture ? j'y reviendrai aussi !

Commentaires
C
Bonjour Bernard, ravie de lire tes écrits d'il y a 13 ans ! (époque où j'ai lu ton tout premier livre chez l'Harmattan). Je trouve que compte aussi (et surtout) l'envie d'être là. Même dans un lieu dense et bétonné, si on a choisi d'être là parce qu'il y a des copains, un entourage sympa, des choses à explorer, pas de rythme imposé, ça change tout (sur le béton on peut dessiner des marelles et faire du roller !).<br /> <br /> <br /> <br /> >Le jardin scolaire qui est fermé et inutilisable <br /> <br /> quelle tristesse
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T
Madame Cressonnette.<br /> 1. Si vos enfants ne sont pas bien à l'école communale, mettez les à l'école libre. Vous verrez, beaucoup de choses s'arrangeront toutes seules: pas de grèves, des éducateurs davantage motivés, une collaboration plus étroite avec les parents, etc...<br /> 2. J'ai passé mon enfance dans une école similaire à celle décrite sur le site, je n'en suis pas mort. Le dévouement de mes "instits" comptait davantage que le revêtement de la cour de récréation. Ils n'avaient pas fait l'IUFM . . .<br /> 3. Dans le cas qui nous occupe, ce n'est pas le gouvernement qui a en charge le goudron de l'école, c'est le conseil municipal.<br /> 4. En novembre 2006, ce n'est pas des vieilles écoles du temps passé qui ont été dévastées, mais des établissements modernes et coûteux. "L'école va mal, très mal.". Je pourrais vous donner 20 exemples précis, concernant mes propres petits enfants, où l'attitude des enseignants leur a fait beaucoup plus de mal que la couleur du bitume. Je ne parle pas des bancs des classes : ils sont depuis longtemps remplacés par des sièges "fonctionnels".
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G
j'avoue que je ne m'étais jamais posé la question sous cette angle...<br /> bien vu...
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T
Tiens, j'ai fait un stage dans un RPI qui ressemble presque trait pour trait à celui décrit ici!<br /> Les murs avaient été peints par les élèves quelques années auparavant dans un souci de rendre la cour moins austère, mais c'est le genre de décor qui vieillit mal...
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C
L'éducation est très souvent le domaine le plus sacrifié par nos gouvernements. Quand il est question de faire des économies, on licencie, on rogne sur le budget pour l'encadrement, et on impose à des professionnels de moins en moins reconnus de "faire avec", de pallier tous les manques et de porter l'éducation de nos enfants à bout de bras. En fait on demande à des gens de moins en moins motivés de faire de plus en plus de miracles et ce, chaque jour.<br /> L'école va mal, très mal. <br /> Pourtant c'est avec elle que nous préparons l'avenir de nos enfants, l'avenir de notre société, l'avenir de notre planète.<br /> Triste constat.<br /> Pourtant...
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