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Le blog de Bernard Collot
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16 septembre 2011

3 - La magie du langage oral

Texte de la chronique audio précédente

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3 - Magie du langage oral

On ne se rend plus compte de l'étonnante création humaine qu'est le langage oral. Lorsqu'on se rend compte de sa complexité, on peut se demander comment un enfant a bien pu apprendre à parler !

 

Le langage oral, c’est vraiment quelque chose de magique.

C’est magique parce qu’il crée des mondes qui n’existent pas. Le seul monde tangible qui existe, c’est celui de l’instant, celui que l’on perçoit par les sens. L’instant passé n’existe plus dès qu’il est passé, quant à l’instant futur, il n’existe pas encore. Ces deux mondes, il faut que chacun les crée. Il ne s’agit plus de donner une représentation de ce que l’on perçoit, mais une représentation de ce qui n’existe pas encore ou de ce qui a existé.

Pour ce qui a existé, on sait que nous allons puiser dans toutes les informations qui ont laissé une trace dans nos circuits neuronaux. Mais ce n’est qu’une masse immense et informe d’informations stockées, faut-il encore en sélectionner, les réorganiser pour en créer de nouvelles représentations. Et on sait que le même passé est différent pour chacun, parce que la représentation que chacun en fait est propre à lui-même et différente de toutes les autres. C’est l’alchimie de chacun de nos cerveaux. C’est aussi ce passé dont on a une représentation inconsciente qui influe, modifie notre perception et notre interprétation du présent.

Lorsqu’un chat est à l’affut devant un trou de souris ou miaule pour réclamer sa pâtée, c’est bien parce qu’un langage construit avec des informations précédentes lui permet d’anticiper sur ce qui va arriver ou sur ce qu’il voudrait qui arrive. Il a donc bien une représentation d’un futur proche. Mais cela reste au niveau de l’inconscient. On peut même dire qu’il a de la chance parce qu’il ne se penche pas sur son passé, ne s’interroge pas sur son avenir et jouit de l’instant présent dès l’instant où il est repus.

Mais, nous les hommes, avons la particularité de disposer de langages qui permettent de créer des représentations symboliques. Nous pouvons matérialiser ces mondes que nous créons dans des signes, des agencements de symboles, et de ce fait leur donner une consistance et l’apparence de la réalité. C’est lorsque le langage oral devient un langage verbal. Nous devenons des magiciens.

 « Si je suis sage, j’aurais peut-être un bonbon ? »

Je ne sais si l’on se rend compte de l’extraordinaire complexité de cette phrase pouvant être prononcée par une enfant de 3 ans. Cette enfant invente la condition : si je suis sage, ce qui suppose qu’elle ne l’est pas encore, et qu’elle voudra l’être. Elle met sous le mot « sage » une abstraction qui n’a rien d’évident, qu’est-ce que c’est être sage ? Elle invente un futur hypothétique, elle sera éventuellement sage dans un moment à venir, et même un futur postérieur, l’épisode des bonbons ne pourra advenir qu’après celui d’être sage. Et tout ceci, en agençant des mots.

Mais elle ne peut le faire que si, avant, elle a pu créer, inventer ces étonnantes représentations. Les mots ne font que les exprimer. Mais comme elles sont extraordinairement complexes, l’agencement de ces mots est tout aussi extraordinairement complexe. Se représenter par un je, représenter l’autre par un tu si on lui parle, par un il s’il s’agit d’une tierce personne, par un nous s’ils sont plusieurs et que l’on fait partie du plusieurs. Représenter une action par un mot, modifier ce mot si l’action est passée, si elle est présente, si elle adviendra, le modifier encore suivant qui fait l’action, etc. Tout ceci, c’est ce que fait cette enfant qui a à peine trois ans ! Sans rien connaître bien sûr de la grammaire !

Comment cette extraordinaire construction a-t-elle pu se réaliser ? Nous les hommes, comme les abeilles, les fourmis, ne pouvons vivre isolés. Nous devons faire partie d’entités comme la famille, le village, l’école. Nous devons être reliés aux autres autrement que par les sens et nous devons avoir des représentations communes. Ce sont les langages symboliques, et en particulier les langages verbaux, qui créent ce lien et nous permet d’appartenir à un tout qui nous fait exister et que l’on fait exister.

C’est la même chose pour les abeilles ou les fourmis qui ont développés des langages que certains chercheurs pensent aussi sophistiqués que les nôtres comme le langage mathématique des abeilles.

Si bien que notre petit enfant, s’il vit dans un monde semblable à celui de tous les êtres vivants, il vit aussi dans un monde particulier fait de signes de symboles qu’il lui faudra interpréter, s’approprier pour y vivre.

Vous voyez où je veux en venir. Si on ne sait pas comment, par quels processus notre jeune enfant apprend à parler, on sait par contre qu’il ne peut le faire que parce que autour de lui on parle, on lui parle, parce qu’il a besoin de comprendre, parce qu’il a besoin d’être compris, parce qu’il a besoin de faire partie de notre monde.

Et c’est ainsi que par tâtonnement expérimental constant, il va réaliser l’apprentissage le plus fabuleux qu’un être humain doit construire.

Vous devinez peut-être où je veux encore en venir ? L’espèce humaine a créé d’autres mondes par l’intermédiaire d’autres langages : le langage et le monde de l’écrit, le langage et le monde mathématique, le langage et le monde scientifique. S’ils sont tous aussi complexes que le monde créé par le langage oral, ce qu’a été capable de faire le petit homme pour apprendre à parler, il le fera de la même façon, selon les mêmes processus cérébraux, dans les mêmes conditions de tâtonnement avec un environnement, pour apprendre à écrire, à mathématiser, à scientifiser. Cette fois vous commencez certainement à deviner ce que va être une école du 3ème type.

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